Le triomphe électoral en poche, Regula Rytz est partie se mettre au vert quelques jours. Pas bien loin: dans les montagnes tessinoises. En cinquante-sept ans, la Bernoise n’a pris l’avion que cinq fois. Une poignée de vols en une vie, de quoi couvrir de «flygskam», la honte de voler dans sa version originale suédoise, n’importe quel écolo autoproclamé.
«Grünen Fundi»
Regula Rytz est une Grünen Fundi, une vraie. Les Bernois ont l’habitude de la voir circuler à vélo dans la capitale fédérale. Elle n’a pas de voiture, pas même le permis, ne mange pas de viande, emprunte ses livres à la bibliothèque et porte ses vêtements aussi longtemps que possible.
Le train toute seule
Priée par les médias de décortiquer son empreinte carbone, qu’elle mesure d’ailleurs régulièrement, la cheffe des Verts n’a pas attendu l’avènement de Greta Thunberg pour être cohérente. Alors que d’autres politiciennes s’agacent des questions sur leur mode de vie, la Bernoise enfonce le clou. Elle raconte volontiers qu’elle avait pris le train, alors que ses collègues du Conseil municipal s’étaient envolés pour les Pays-Bas en 2008. Un geste alors passé inaperçu, évoqué ce week-end pour montrer qu’«il est possible, même pour un membre de l’exécutif, de rester fidèle à ses convictions et vivre de manière durable».
Certes, insiste-t-elle, ce n’est pas par le mode de vie que le changement se fera, mais par la politique. Si les marches pour le climat et la mobilisation de la jeunesse ont contribué au succès, à l’interne, le rôle de la cheffe, seule présidente depuis 2016 - qui devait achever son 2e mandat fin janvier 2020, mais qui l'a déjé remis en vuee de sa candidature au Conseil fédéral -, est salué, notamment son travail de terrain en Suisse occidentale. Une revanche pour celle que le Tages-Anzeiger avait qualifiée en 2015, comme sa coprésidente d’alors Adèle Thorens, de trop polie et réservée, passant face à des Darbellay, Brunner ou Levrat «aussi inaperçue qu’une plante ornementale dans un club échangiste».
Sur le plan personnel, dans un canton encore très agrarien, elle est arrivée pour le National derrière les sept candidats UDC emmenés par le président Albert Rösti, le mieux élu du pays avec 128 252 voix, mais a échoué lors du second tour des Etats le 17 novembre.
Sueurs froides
Sur le plan national, les 17 sièges supplémentaires des Verts donnent des sueurs froides à la droite. «Adieu, riche Suisse!» a titré la Weltwoche en égrenant les manières dont nous allons devoir nous serrer la ceinture. Regula Rytz, elle, assure que son mode de vie ne constitue «en rien un renoncement», nous dit puiser sa force «dans les petits bonheurs de la vie. Une bonne discussion, les échanges dans mon magasin de quartier (elle vit depuis vingt-cinq ans dans le même appartement au Breitenrain, ndlr), une jolie lettre, tout cela me donne beaucoup d’énergie. Ce qui m’importe aussi beaucoup, c’est le trajet quotidien à vélo vers le travail. Sentir le vent sur mon visage, avec la chaîne des Alpes en toile de fond: la liberté totale!»
Née le 2 mars 1962 à Thoune, elle grandit avec ses deux frères auprès d’un père architecte et d’une mère originaire de Silésie, musicienne, qui l’emmène à l’église écouter des oratorios comme «la Passion selon saint Matthieu» de Bach. A l’instar de Simonetta Sommaruga, elle caressera le rêve de devenir pianiste.
Marquée par Tchernobyl
Elle a 21 ans quand elle s’engage chez les socialistes – elle a le cœur à gauche et les Verts n’existent pas encore à Thoune. A Berne, où elle étudie l’histoire, la sociologie et le droit après avoir tâté de l’enseignement, elle fait partie des fondateurs de l’Alliance verte et sociale bernoise (Grünes Bundnis) en 1987. La catastrophe de Tchernobyl, l’année précédente, a été décisive. A l’université, elle est hyperactive, s’implique dans des associations féministes. La fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la grève des femmes de 1991 la galvanisent.
A 30 ans, elle devient secrétaire politique du parti. Elle saluera la stratégie de promotion de candidatures féminines qui l’a forcée à se mettre en avant quand, en «femme typique», elle doutait de ses capacités. Elle est déjà en couple avec Michael Jordi, comme elle Vert de la première heure et aujourd’hui secrétaire central de la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé. Lui aime l’escalade, elle aime courir quand elle trouve le temps: elle prend régulièrement part au Frauenlauf de Berne. Le couple n’a pas eu d’enfant, ce qu’elle se refuse à aborder dans les médias. Elle évoque par contre souvent la relation qui l’unit à son filleul de 11 ans, qui l’a appelée la semaine dernière pour la féliciter et s’inquiéter: serait-elle toujours en mesure de l’aider à préparer Halloween?
Celle qui avoue être «accro au travail» est élue au Grand Conseil bernois en 1994. Puis, en 2005, au Conseil municipal de Berne, chargée des Travaux publics, des Transports et des Espaces verts, jusqu’à son arrivée au National en 2011. Son expérience de l’exécutif a fait d’elle, selon maints analystes, une politicienne pragmatique, ouverte aux compromis. Des termes souvent utilisés pour décrire le profil du parfait conseiller fédéral. Depuis le soir du 20 octobre, où on l’a vue danser de joie, la voilà qui dirige la quatrième force politique du pays. Et d’être citée parmi les personnalités vertes en mesure de siéger au Conseil fédéral. Même si, pour la Vert’libérale vaudoise Isabelle Chevalley, par exemple, elle est «bien trop à gauche».
Formule magique en phase d'évaluation
Le renouvellement des sept Sages le 11 décembre donnera-t-il lieu à une surprise de l’envergure de l’éviction de Christoph Blocher en 2007? «Les Verts jouent désormais dans la même ligue que le PLR et le PDC, nous répondait Regula Rytz début novembre avant d'être désignée candidate. Et nous voulons prendre nos responsabilités, y compris au Conseil fédéral. Nous évaluons maintenant avec les autres partis comment renouveler la formule magique. Il est trop tôt pour parler de personnes. Je répondrais toutefois à Madame Chevalley que je représente des valeurs écologiques et sociales claires, mais que je suis toujours ouverte à de bonnes solutions avec les milieux économiques.»
Siège vert ou pas, l’écologiste sait combien le système politique est lent. Elle a d’ores et déjà appelé scientifiques et politiques à se réunir pour un sommet du climat. «Tous les partis reconnaissent aujourd’hui la nécessité d’agir. Mais tous ne voient pas l’urgence qu’il y a à agir. Nous ne pouvons pas perdre de temps avec des blocages.» Engagée et déterminée, plus que jamais.