Tout a commencé par un lien vers un site internet, reçu par SMS par un de ses amis. Morgane avait alors 12 ou 13 ans. Ce message lui ouvre les portes d’un monde inconnu et interdit: le porno. Intriguée, elle poursuit son exploration. «Bien que tous les garçons de mon âge en regardaient déjà, j’avais terriblement honte. Pour une fille, cela me semblait anormal, presque un comportement déviant. Quand j’en regardais, je me plaçais sous mes draps, dans ma bulle, comme pour mieux me cacher de moi-même», raconte-t-elle.
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Aujourd’hui âgée de 19 ans, l’étudiante en bachelor de psychologie a pu se rassurer auprès de ses meilleures amies, autour d’une bière et de longues conversations sur le thème de la sexualité. Bien sûr, il est normal de regarder du porno quand on est une fille. Les étudiantes s’agacent du tabou qui entoure ce sujet. «Pour les hommes, c’est une discussion tellement naturelle! Pour nous, cela constitue presque une nouveauté, un thème plus bizarre que les autres», constate Lolita, étudiante en littérature. La jeune femme s’est d’ailleurs entendu dire par des copains qu’elle était «accro au sexe», parce qu’elle n’éprouvait pas de gêne à aborder la question: «Si un mec parlait comme moi, on ne se ferait même pas la réflexion. Mais une certaine pudeur est attendue de la part des filles.»
«Le rapport au sexe pour les femmes, c’est globalement plus compliqué. La masturbation, par exemple, c’est hyper-tabou», remarque pour sa part Carmen, étudiante en bachelor de tourisme. «Nos copains ont du mal à comprendre que nous aussi, nous avons nos besoins.» Morgane confirme: «Dans la mentalité collective, le plaisir féminin est jugé plus difficile à atteindre. La satisfaction de l’homme passe souvent avant. Le porno permet d’apprendre à se connaître, d’explorer certains fantasmes et surtout de réfléchir à son propre plaisir, avant celui de son partenaire.»
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Pour Florine, étudiante en psychologie, qui hésite encore à se définir comme lesbienne ou bisexuelle, le porno l’a aidée à en savoir plus sur ses préférences: «Cela m’a avancée dans mes questionnements sur mon orientation. Pour les gens qui sont comme moi dans un entre-deux, c’est une possibilité enrichissante de comprendre qu’ils ont différentes attirances.»
D’ailleurs, parmi les catégories favorites classées par le site américain YouPorn, la plus consultée chez les femmes est la catégorie «Lesbienne». Elle revient fréquemment dans le discours des quatre copines, dont trois se définissent pourtant comme hétéros. «C’est tout à fait normal. Le corps de la femme est beau et suscite le désir. Les consommateurs passent plus de temps sur le corps des femmes que sur celui des hommes», explique la doctoresse vaudoise Amélie Andreani Jardot, spécialiste SSS en psychiatrie et sexologie. Faut-il voir cette préférence, souvent taboue, comme un refoulement de son orientation sexuelle? Pas nécessairement: «Entre les personnes strictement homosexuelles et celles strictement hétérosexuelles, il existe tout un panel de zones grises», décrit la sexologue. «2,3% de femmes sont homosexuelles strictes et 7-8% d’hommes homosexuels stricts. Ensuite, tout est question de nuance. On peut avoir des fantasmes.»
Les quatre amies trouvent parfois dans le porno une portée informative, voire éducative, mais elles se montrent aussi très critiques quant aux images qu’il véhicule: la position dévalorisée des femmes, la soi-disant surperformance des acteurs, le gommage des poils et de tous les potentiels «défauts»… Autant de facteurs qui peuvent créer une image faussée de la sexualité chez les jeunes consommateurs. «On éprouve très vite des complexes devant ces peaux lisses et parfaites», analyse Lolita. «Et chez les garçons, le porno peut créer des attentes pour quelque chose qui n’existe pas», ajoute Carmen. L’étudiante n’est pas une grande adepte: elle est plus sensible aux contenus suggestifs qu’elle déniche sur Twitter: «Pour moi, le porno classique manque cruellement de naturel. C’est surjoué, il n’y a aucune place pour la spontanéité.»
Si la Doctoresse Andreani Jardot recommande à ses patient(e)s d’en regarder s’ils en éprouvent la curiosité, elle les prévient aussi des potentielles dérives: «Quand on est à plus de onze heures de porno par semaine, on bascule dans l’addiction. C’est un trouble. Il ne faut pas non plus aller voir des contenus trop hards ou violents trop jeune, au risque d’aller trop loin. Il faut procéder par paliers. Comme les drogues, il y a un effet de tolérance.»
Selon les statistiques 2019 de YouPorn, le ratio de visionnement était de 31% de femmes contre 69% d’hommes. Mais d’après la sexologue, on arriverait presque à l’équité pour les jeunes au-dessous de 25 ans: «Nées avec les smartphones, les jeunes femmes ont une expérience de la pornographie très tôt. Elles sont habituées différemment.»
La Doctoresse Andreani Jardot conclut sur le manque énorme d’éducation sexuelle encore actuel: «Dans ce cadre, il n’est pas inutile de consommer du porno. Mais il ne faut surtout pas oublier de fermer les yeux et de se laisser porter par les émotions, l’imagination…»