«La personne devant moi laisse tomber un billet. (…) En une seconde me vient l’idée que je dois le rendre, que c’est bien de le faire, mais aussi que, tombé par terre, il n’appartient plus à personne sinon à celui qui le trouve, que son détenteur n’avait qu’à faire attention, et qu’après tout je suis dans la dèche, que j’en assez de cette vie de misère, qu’on m’a déjà trop floué… Mais toujours, en basse continue, l’idée que c’est bien de le rendre […]. Je ne peux pas me mentir en prétendant que je ne discerne pas dans cette situation précise où est le bien, où est le mal.»
C’est par cette fable réaliste que Laurence Devillairs, agrégée de philosophie, introduit la thématique du bien et du mal au cœur de son petit livre*. A l’heure où l’on se fait traiter de Bisounours ou de bien-pensant dès que l’on ose parler de conscience morale, elle réhabilite des valeurs comme l’attention aux autres et la gentillesse désintéressée. Ce moment où le billet tombe d’une poche, où le mendiant vous tend sa sébile est un moment clé, «un de ces carrefours de l’existence où se joue le sens du bien et du mal, où l’on peut bien ou mal faire». Devant ce choix, on est totalement libre, car «devenir quelqu’un de bien ne peut être que la vocation d’hommes libres».
Ce n’est pas une sinécure, mais une vocation qui demande courage et persévérance, qui «exige d’aller à l’encontre d’une indifférence facile». On ne choisit pas de faire le bien par faiblesse, par manque de lucidité ou par naïveté. «La bonté n’est pas l’incapacité à être méchant; elle est la force que l’on met à faire le bien.» Il faut du courage pour être gentil, car c’est une tâche quotidienne sans éclat, sans cesse recommencée, car «on n’est pas moral une fois pour toutes» et que «personne ne sera moral à notre place». Bref, être quelqu’un de bien, c’est pouvoir se regarder dans la glace sans jamais se dire: «Je suis comme ça, on ne me changera pas.»
Laurence Devillairs illustre fréquemment ses propos par des références cinématographiques qui vont de Trois enterrements, le magnifique et crépusculaire western de Tommy Lee Jones, au Festin de Babette, en passant par la série Westworld et son monde sans foi ni loi où les méchants triomphent. Pour elle, les méchants, souvent glorifiés au cinéma, sont des lâches et des faibles. «Etre méchant, c’est obtenir par le mal le bien que la vie aurait dû offrir; c’est une colère sur fond d’injustice.» Le méchant est esclave de ses envies et de ses passions. «Pour lui, le bien est optionnel. Il vient après son bonheur, son argent, son confort, sa tranquillité.»
A l’origine du refus de faire le bien, il y a toujours l’égoïsme et l’indifférence et une propension à catégoriser l’autre pour lui ôter sa part d’humanité. Je ne donne pas aux mendiants parce que ce sont des alcooliques, des étrangers, des paresseux, des victimes d’une mafia…
Bref, «être quelqu’un de bien», c’est faire mentir les cyniques et les sceptiques. C’est affirmer qu’un monde meilleur est possible, un monde du bien.
>> *Le livre: «Etre quelqu'un de bien. Philosophie du bien et du mal», de Laurence Devillairs, Editions PUF.