«Quand on est musicien, on se nourrit bien évidemment de la musique mais aussi d’une multitude d’univers artistiques. Quand j’étais étudiant à l’Ecole cantonale d’art du Valais, j’ai découvert le travail de l’immense artiste contemporain Christian Boltanski. En me baladant dans les travées de la bibliothèque, j’étais tombé sur l’un de ses projets, Reconstitution d’un accident qui ne m’est pas encore arrivé et où j’ai trouvé la mort. Il m’avait bouleversé.
Bien des années plus tard, en 2019, une amie journaliste m’annonce qu’elle se rend à Paris le mois suivant pour interviewer… Christian Boltanski. Je la supplie de me prendre avec elle. Je pourrais prétendre être un assistant journaliste ou son stagiaire, qu’importe! Je souhaitais saisir cette occasion afin de dire merci à ce grand monsieur. Merci d’avoir été une source d’inspiration. Merci de m’avoir accompagné et guidé, sans le savoir, dans ma vie d’artiste.
Elle prend un temps de réflexion et finit par accepter en me disant: «OK, mais tu prends ta guitare avec toi!»
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J’embarque dans le TGV avec ma guitare sous le bras, destination Paris. Je venais de rentrer, la veille, d’une tournée qui m’avait mené en Azerbaïdjan, en Iran et en Australie. Avec le jet-lag, c’était plutôt rock’n’roll comme expédition. Je rejoins mon amie au point de rencontre, un grand bureau d’art contemporain. L’heure tourne, pas de
Christian Boltanski à l’horizon. Son agente l’appelle. Il a oublié le rendez-vous et demande si on peut reporter l’entretien ou le faire par téléphone. Je me décompose, mais mon amie insiste auprès de son agente. Il accepte finalement de nous rencontrer, juste avant le déjeuner, dans le restaurant où il avait ses habitudes, La Closerie des Lilas.
On traverse la ville en pressant le pas, il y a la grève, tout est bloqué. Miraculeusement, on arrive au restaurant et je l’aperçois, tout en noir, dans le fond du restaurant. L’interview débute et je reste silencieux. Je l’observe et je bois ses paroles. Il est d’une extrême gentillesse. Il parle des notions de disparition et dit que, au fond, nous sommes toutes et tous sur le départ.
A la fin de l’entretien, mon amie lance: «Mon assistant a une question pour vous.» Je le regarde et lui révèle mon identité: «Monsieur Boltanski, je ne suis pas journaliste, juste chanteur. J’aimerais vous dire merci et vous chanter quelque chose.» Il était très surpris. Il m’a laissé faire. Peut-être que je projette, mais ça a été un moment émouvant et tendre. S’est ensuivie une belle discussion autour de l’art et de la musique durant laquelle j’ai pu enfin reprendre mon souffle. C’était hyper-important pour moi de faire ce geste et de lui témoigner ma reconnaissance.
A 8 ans, j’avais découpé cette phrase: «Les gens qui veulent fortement quelque chose sont toujours bien suivis par le hasard.» Je l’avais glissée dans mon porte-monnaie. Il faut se créer des souvenirs. Rencontrer Christian Boltanski était l’un de mes rêves. Ça me conforte dans l’idée qu’il faut en avoir mille et que d’en réaliser un ouvre la possibilité à d’autres d’advenir.»
L'actualité de Marc Aymon
Sortie du coffret «Humains» le 21 septembre. Retrouvez Marc Aymon en concert les 22, 23 et 24 septembre au théâtre Le Baladin à Savièse, les 30 septembre, 1er et 2 octobre à l’Echandole à Yverdon et le 8 octobre au festival Assemblage’S à Troinex.