«J’avais 30 balais quand j’ai sorti mon premier album, «Boire». C’est vieux pour débuter dans la musique. J’ai acquis rapidement une petite notoriété, mais pas de quoi remplir des Zénith. J’étais dans une petite boîte de musique indépendante et on commençait à tourner avec mes musiciens. Un jour, un promoteur de concerts appelle et nous propose de faire la première partie de… Patti Smith. Enfin, c’est un grand mot. Il nous offre la possibilité de faire un «essai» pour accompagner la chanteuse lors de sa tournée française. J’étais plus qu’excité, c’était assez fou comme projet. Elle n’a jamais été une idole pour moi, mais elle avait fait partie de cette effervescente scène artistique new-yorkaise des années 1970-1980 qui me faisait rêver quand j’étais gamin.
On se retrouve à Concarneau, une petite ville close, cernée par des remparts, en Bretagne. Pas très loin de chez moi. Patti Smith avait exigé de nous voir à l’œuvre en répétition, histoire d’évaluer si ce qu’on faisait lui convenait ou non. En pleine journée, on se met en place et on fait la balance, c’est-à-dire qu’on règle le matériel, accorde nos instruments et vérifie les retours du son avant d’éventuellement ouvrir son concert. Sur scène, en pleine répétition, j’aperçois une silhouette esseulée au loin. Je me sens angoissé. C’est pire que L’école des fans de Jacques Martin. C’est un truc de fou. Ça ne m’était jamais arrivé de me faire juger, en train de faire ma balance, en milieu d’après-midi. Ni de voir Patti Smith, allant et venant sur les remparts, avec une espèce de droit de vie ou de mort sur notre musique. Un signe négatif de sa part, on remballait le matériel et chacun rentrait chez soi. On n’avait pas de thunes à l’époque. Se déplacer, sortir tout ce matos pour se faire virer d’un claquement de doigts, c’était assez surréaliste. Et dur. C’était vraiment l’esprit américain, pas vraiment à la bonne franquette. Ce n’est pas le même métier qu’en France, où il existe le statut d’intermittent du spectacle. On reçoit des aides ou des subventions. La musique, aux Etats-Unis, c’est beaucoup plus sauvage.
On termine la balance et la chanteuse fait dire à quelqu’un qu’on est engagés. On ne s’est pas adressé la parole de la tournée. Je la trouvais déjà très snob, mais là, elle l’était encore plus que d’habitude. Sur scène, elle était accompagnée du guitariste Lenny Kaye, le mec qui a fait la compilation «Nuggets: Original Artyfacts from the First Psychedelic Era», qui réunissait des morceaux de garage rock et de rock psychédélique des années 1960-1970. Il était très curieux et venait nous voir jouer avec plaisir. Il y avait aussi Tom Verlaine de Television, un groupe culte de la scène new-yorkaise des années 1970. Pour moi, les vraies idoles étaient ces deux-là! J’étais très impressionné. Symboliquement, c’était quelque chose! J’avais l’histoire de la musique qui se produisait devant moi. Toute cette scène punk new-yorkaise devant mes yeux!
Il faut s’imaginer cette scène. T’es à Concarneau, un bled juste à côté de chez toi. Et t’as Lenny Kaye, Tom Verlaine et Patti Smith qui sont sur le même plateau que toi. C’était dingo. Et complètement improbable.»
«Falaises!», le dernier album de Miossec
Le premier album de Miossec, Boire, s’offre une réédition pour célébrer les 25 ans de sa sortie. Avec sa compagne Mirabelle Gilis, il signe «Falaises!», un EP de quatre chansons réalisé durant le confinement. Retrouvez toutes les informations sur christophemiossec.com