Petite, elle regarde, fascinée, les avions voler au-dessus de Berne, où elle est née en 1961. Mais «Gaby» ne rêve pas de devenir hôtesse de l’air, le seul destin aérien autorisé aux filles à l’époque. Ce qui intéresse cette gamine têtue, c’est d’avoir les mains sur le manche à balai d’un de ces gros oiseaux métalliques. Elle va alors se dépêcher de passer un diplôme de commerce pour intégrer une formation de contrôleuse aérienne.
Et puis, en 1984, la Swiss Aviation School ouvre ses portes aux femmes. Gabrielle, qui a passé entre-temps une licence de pilote privé, est une candidate idéale. Bien sûr, il n’y a encore ni vestiaires ni toilettes pour les dames, et il faudra adapter l’uniforme spécialement pour elle, mais son rêve est au bout du tarmac.
En 1987, elle est la première femme à monter dans le cockpit d’un avion Swissair. Il y aura eu, inévitablement, quelques turbulences sexistes et une certaine tension chez ses mâles collègues jusqu’à son premier atterrissage. Elle se souvient aussi de ce passager qui lui commande un café sans remarquer les trois bandes sur les épaulettes qui caractérisent son statut de copilote. «En Arabie saoudite, l’équipe au sol m’ignorait complètement et ne parlait qu’au copilote.» En 1999, elle devient la première commandante de bord nommée par la compagnie helvétique.
Aujourd’hui, même si les femmes ne représentent encore, en 2019, que 5% de l’effectif des pilotes de Swiss, il n’y a guère plus de passager qui descende en courant de l’avion parce qu’il a aperçu Gabrielle dans le cockpit. Pour favoriser l’accession des femmes à son métier, elle préconise des plannings de vols établis plus à l’avance pour faciliter la vie des mères de famille. Elle-même dit n’avoir pas eu le temps de se consacrer à une vie de famille.
Trente-quatre ans et 17 000 heures de vol après son baptême de copilote, l’heure de la préretraite a sonné en juin, avec un dernier vol sur Boston aux commandes de son A330. «Being in the air va me manquer, nous confie-t-elle. Une grande partie de ma fascination pour ce métier vient du fait qu’à 10 kilomètres au-dessus de la terre, tous les problèmes, même les plus grands, vous semblent tout petits.» Gabrielle Ritter continuera à fréquenter le ciel. Mais ce sera désormais sur un siège passager.