«Mon premier roman, «Aux noces de nos petites vertus» (Ed. Le Cherche midi), est l’histoire d’un triangle amoureux, entre deux hommes et une fille. Il sort en 2017. Quelques jours plus tard éclate l’affaire «#MeToo», avec les révélations sur le producteur américain Harvey Weinstein. Et là, les critiques, qui ont lu un peu vite la quatrième de couverture – parce que, je le précise, ce n’est pas du tout un livre misogyne! –, sont empruntés. Ils me disent: «Ah, mais on ne va pas donner d’écho à ce genre d’histoire, on n’a pas trop envie de parler de ça...»
Mon deuxième, «Se réjouir de la fin» (Ed. Grasset), est un récit sur la contemplation de la finitude, les impressions d’un vieil homme au soir de sa vie. J’avais prévu, notamment, d’aller parler des directives anticipées dans les établissements médicosociaux, avec les résidents qui auraient lu le livre. Il sort en février 2020. Je vous fais un tableau? C’est le covid, les librairies ferment et on abandonne nos vieux dans leurs EMS… De nouveau, on me dit: «Ah, difficile de parler de ce livre…»
Ce que je veux souligner, c’est avant tout le fait que j’écris dans une certaine temporalité et que les livres sortent dans une autre, sur laquelle je n’ai aucune prise. Parfois, comme «Le consentement» de Vanessa Springora, ils paraissent pile au bon moment. Et parfois, pas du tout. Dans mon dernier, «Départ de feu», j’ai voulu parler de la quête de sens de ma génération, avec le portrait d’un jeune qui vit une vie de con, bouffé par un job aliénant, et décide de tout quitter. Je vois alors mal comment ce récit peut ne pas être d’actualité, entre le pétage de plombs des gens en quête existentielle, le retour à la nature, les rapports alarmants du GIEC… Mais la guerre en Ukraine éclate, et j’ai de nouveau l’air un peu idiot avec mon livre. Je devais être interviewé au téléjournal de la RTS, ça a été déplacé, puis annulé. Ces temps-ci, les médias s’intéressent davantage aux écrits politiques. Et c’est compréhensible, même si la culture devrait garder une place importante dans le débat.
Sur le moment, il y a de la frustration, bien sûr. Mais je la vis comme une secousse due à la force du hasard. Je trouve assez douteuse la théorie du «kairos», ce moment opportun où tout s’alignerait comme il le faut. Je crois plutôt aux coïncidences et aux «décoïncidences». Et je trouve qu’en fait, c’est lorsque les choses ne s’emboîtent pas parfaitement que la vie devient intéressante.
La frustration passée, je me rassieds devant l’ordinateur. La meilleure manière de gérer ses anxiétés, c’est de se remettre au boulot. Ce qui m’a toujours intéressé, porté, c’est l’œuvre, supposer que les gens vous liront sur le long terme. Si vous n’avez qu’un seul livre à défendre, et qu’il y a cette «décoïncidence» lors de la réception, que l’émission qui vous avait invité annule, c’est la catastrophe, au point, peut-être, de tout arrêter. C’est pour cela qu’il faut, à mon sens, avoir plusieurs fers au feu. Ecrire, publier, promouvoir, jongler avec tout ça, c’est parfois compliqué, mais c’est passionnant.»
Son actualité:
Adrien Gygax, 32 ans, travaille actuellement sur son prochain livre. Les dates de ses signatures pour la promotion de «Départ de feu», paru en février chez Plon, sont disponibles sur son site, www.adriengygax.com. Des lectures de «Se réjouir de la fin» dans des EMS sont également prévues.