Aller ou non chez le médecin, souvent, parfois ou jamais. D’après la dernière «Enquête suisse sur la santé» (2017), 74% des hommes et 88% des femmes se sont rendus au moins une fois dans un cabinet médical en l’espace de douze mois. Le nombre moyen de consultations médicales chez les 15 ans et plus est d’environ 4,3 sur une année, un chiffre influencé par les personnes qui requièrent une prise en charge plus intensive. Cela signifie que 26% des hommes et 12% des femmes n’ont pas consulté de médecin durant un an. Pour quelles raisons? Il est difficile de faire la lumière sur ce phénomène. L’enquête menée par la Fondation du Commonwealth sur mandat de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) au printemps 2020 donne toutefois quelques éléments de réponse.
Les raisons du non-recours aux soins sont diverses et à classer selon deux grandes catégories: financières et non financières. Selon ce sondage, auquel près de 2300 personnes ont participé, 23% des Suisses ont renoncé aux services de santé pour des raisons financières, contre 10% en 2010. Les personnes ayant terminé des études supérieures sont particulièrement concernées par cette hausse. Selon les auteurs de l’étude, cela s’expliquerait par une plus grande sensibilisation à l’évaluation coûts-bénéfices de cette population. «En pharmacie, nous voyons beaucoup de jeunes actifs qui vont peu chez le médecin pour des raisons économiques (franchises élevées) et organisationnelles», relate Matthieu Goldschmidt, pharmacien à Rolle et membre du comité de la Société vaudoise de pharmacie.
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La situation socioéconomique joue un rôle dans la renonciation aux soins également pour d’autres catégories de la population, ajoute le Pr Raphaël Hammer, professeur à la Haute Ecole de santé Vaud (Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale): «La face sombre du non-recours aux soins concerne les gens qui requerraient des soins mais qui ne consultent pas.» Le Pr Jacques Cornuz, directeur d’Unisanté, rappelle en effet que «l’accès aux soins est plus compliqué notamment pour les personnes migrantes en raison de leur situation précaire».
Des motifs divers
Outre les considérations financières, d’autres motifs ont été invoqués dans cette enquête: 64% des sondés disent par exemple avoir voulu attendre de voir si le problème de santé allait disparaître de lui-même, tandis que 45,7% ont estimé ne pas avoir eu besoin de traitement médical. Ne pas engendrer de coûts supplémentaires pour la collectivité est un argument auquel 25% des sondés ont été sensibles.
Le facteur temporel joue aussi un rôle, puisque 13,9% des personnes admettent n’avoir pas eu le temps de se rendre chez le médecin pour des raisons professionnelles. «La question de la disponibilité et des horaires de travail est souvent invoquée parmi nos jeunes patients», raconte Matthieu Goldschmidt. Le fait de ne pas trouver le temps de consulter à cause de la charge familiale, des difficultés à obtenir un rendez-vous ou encore de communiquer dans une langue nationale sont d’autres raisons soulevées dans cette enquête. «Certaines personnes consultent à l’étranger, parfois dans leur pays natal, où la médecine est moins chère et où elles se font mieux comprendre, car elles parlent la même langue», ajoute le Dr Sébastien Jotterand, vice-président de l’Association suisse des médecins de famille et de l’enfance.
L’accès problématique à un médecin de famille, surtout dans certaines régions, est une réalité à ne pas négliger: 8,1% des personnes interrogées disent ne pas connaître un bon médecin. «Parfois, c’est la faible disponibilité des médecins de famille, surchargés, qui est en cause», commente le Pr Cornuz. Dans un registre plus psychologique, la peur de ce que le médecin pourrait dire touche 8,1% des sondés. La confiance envers le système de soins et ses acteurs concerne quant à elle 6,9% d’entre eux. «Aujourd’hui, nous pratiquons une médecine moins paternaliste et moins autoritaire. La relation avec le patient est envisagée comme un partenariat dans le concept de la décision partagée. Nous travaillons en équipe et valorisons une approche plus globale du patient», souligne le Pr Jacques Cornuz.
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Une expérience personnelle
La fréquence de l’accès aux soins dépend en outre de l’état de santé de chacun, mais aussi du rapport que l’on entretient avec sa santé et avec le monde médical. «Il y a des personnes qui ont une santé de fer et qui ne ressentent tout simplement pas le besoin de s’adresser au système de soins. Dès lors qu’elles se sentent bien, n’ont pas de douleurs ou de symptômes particuliers, elles ne voient pas l’intérêt de participer à des programmes de dépistage populationnel ou de faire des contrôles médicaux réguliers», commente le Pr Hammer.
La vision de la santé en général joue donc un rôle dans la propension à consulter, poursuit le spécialiste: «On peut opposer une conception fonctionnelle de la santé, du type «étant donné que mon corps me permet d’accomplir mes activités habituelles, je me considère en bonne santé», à une conception plus «médicale» selon laquelle sa santé dépend très largement de ce que la médecine a à offrir en termes préventifs et curatifs et du suivi des préceptes d’une bonne hygiène de vie selon les enseignements de l’épidémiologie (qualité de la nourriture, activité physique, tabac, alcool, etc.).» Le rapport au corps et à la douleur influence également la manière dont chacun vit ses symptômes et les interprète, et en conséquence le besoin d’aller ou non voir un médecin.
Consulter à titre préventif
En soi, il n’y a pas de risques à ne pas aller chez le toubib, sauf pour des maladies silencieuses telles que l’hypertension qui, à la longue, fait des ravages. Consulter un médecin à titre préventif peut néanmoins avoir du sens, indique le Pr Cornuz: «Cela peut être utile pour le patient, ne serait-ce que pour contrôler son poids, sa pression artérielle, faire un bilan sanguin, vérifier si ses vaccins sont à jour, évaluer ses facteurs de risque cardiovasculaires et évoquer avec lui les dépistages pour les cancers. C’est l’occasion également de parler des habitudes de vie de la personne et lui donner confiance en ses capacités à se prendre en main.»
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Cinquante ans, un âge clé
Quand est-il indiqué de vérifier ces paramètres de santé? «L’âge dépend du profil de risque de chaque patient», répond le Dr Sébastien Jotterand. En dehors de facteurs de risque particuliers (maladies graves dans la famille avant l’âge de la retraite ou antécédents personnels de maladies graves) ou d’autres éléments à risque (tabac, alcool, sédentarité, cholestérol, diabète, hypertension, stress), une visite chez le médecin est recommandée à 50 ans. C’est un âge clé auquel différents dépistages sont proposés. «Quel que soit son âge, il est préférable d’avoir un médecin de famille qui nous connaît, et qui pourra aussi nous recevoir en cas d’urgence», soulève le Dr Jotterand.
Se poser les bonnes questions
Savoir où l’on en est dans sa santé peut paraître une question évidente pour certains, mais d’autres ont besoin de consulter pour le déterminer ou pour se sentir rassurés. «Au quotidien, on est dans la performance et les résultats. On oublie parfois d’être attentif à soi et à ce que les autres nous disent», constate le Dr Jotterand. Aussi, il est bon de prendre le temps de s’interroger régulièrement, recommande le spécialiste: «Est-ce que je suis bien dans mon travail, dans mon couple, dans ma famille? Est-ce que mon équilibre familial et professionnel est préservé? Ai-je des douleurs, des pensées qui me tourmentent? Me fait-on remarquer que j’ai mauvaise mine, que je suis irritable, fatigué, d’humeur instable?» En cas de changement d’état de forme, d’humeur, d’énergie, mais aussi de perte de poids inexpliquée, de troubles du sommeil nouveaux et durables ou de tout autre symptôme persistant, il est recommandé de consulter un médecin ou de prendre conseil auprès d’un professionnel de la santé.
Le pharmacien: un accès facilité au système de santé
Il existe différentes portes d’entrée pour accéder au système de soins. D’une manière générale, c’est le médecin généraliste qui est au cœur de la prise en charge, une solution d’ailleurs valorisée par certains modèles d’assurance. Mais d’autres professionnels de la santé jouent également un rôle clé pour le maintien de la santé et la gestion de symptômes bénins. C’est le cas des pharmaciens, comme l’explique Matthieu Goldschmidt, pharmacien à Rolle et membre du comité de la Société vaudoise de pharmacie: «Nous avons un rôle complémentaire au médecin de famille et permettons d’augmenter la couverture santé de la population pour ceux qui n’ont pas de médecin ou peinent à en trouver.»
La loi sur les produits thérapeutiques (LPTh), révisée en 2019, donne d’ailleurs beaucoup de latitudes à ces professionnels de la santé, poursuit-il: «Nous avons le droit de délivrer un certain nombre de médicaments qui sont sous ordonnance et de faire des mini-consultations dans des espaces prévus à cet effet.» Le pharmacien peut ainsi prendre en charge (tests et traitements) différentes situations telles que l’infection urinaire, la conjonctivite, la sinusite, les allergies, etc. Il peut aussi prescrire des médicaments comme des triptans contre les migraines, pour autant que le diagnostic ait été posé, le Viagra ou la contraception d’urgence après un entretien de conseil approfondi.
Le dépistage (cancer du côlon, par exemple) et la surveillance de différents paramètres de santé (tension artérielle, cholestérol, glycémie, taux de ferritine dans le sang, check-up des risques cardiovasculaires) peuvent également être faits dans les officines. Au même titre que la vaccination (grippe, encéphalite à tiques, Covid-19) et le contrôle du carnet, la préparation de semainiers ou la prise en charge et le conseil dans les situations d’urgence (soins des plaies, brûlures, etc.).
Autosoins: ce que l’on peut faire soi-même pour sa santé
Rester en bonne santé ou gérer les petits maux du quotidien, sans nécessairement consulter son médecin, c’est possible en mettant en œuvre différentes mesures visant à prendre soin de soi. «Cela commence par une bonne hygiène de vie: avoir une alimentation saine, veiller à un sommeil de qualité et bouger suffisamment», rappelle le Pr Pierre-Yves Rodondi, directeur de l’Institut de médecine de famille de l’Université de Fribourg. Le spécialiste conseille d’avoir chez soi une pharmacie de base avec notamment des antidouleurs, un thermomètre, voire parfois un appareil pour mesurer la tension artérielle. Il recommande aussi d’être à l’écoute de son corps et de ses émotions, mais aussi d’approfondir ses connaissances en santé (fonctionnement du corps, nutrition, etc.) en lisant des ouvrages sur ces sujets ou en consultant des sites internet respectant les principes de la charte HONcode.
Les médecines complémentaires peuvent également être d’un bon secours pour les affections courantes ou à répétition, comme des études scientifiques l’ont démontré. En matière de phytothérapie par exemple, la valériane et le houblon ont fait leur preuve pour les problèmes de sommeil. Le thé noir et l’euphraise peuvent soulager un début d’inflammation de l’œil. La lavande et l’orpin rose aident à mieux gérer le stress, au même titre que la méditation, l’hypnose, le taï-chi et le yoga. La méditation de pleine conscience permet quant à elle de réduire le risque de récidive après une dépression. La pratique régulière du yoga est un bon moyen de préserver son dos de lombalgies chroniques. L’acupuncture, qui nécessite le recours à un thérapeute, permet de réduire la fréquence des migraines. L’ostéopathie, de son côté, peut être utile en cas de douleurs mais aussi pour différentes problématiques de santé.
Si les symptômes persistent malgré les gestes d’autosoin, en cas d’inquiétude ou de problème aigu, il est recommandé de consulter son médecin.