Première publication le 12 décembre 2018
Juste après l’annonce de son élection, alors qu’elle recevait les embrassades de ses pairs, on a cru voir Viola Amherd essuyer une larme. Avant de très vite retrouver le sourire. Non pas celui, ravageur, de Doris Leuthard, à laquelle la Valaisanne succède au Conseil fédéral. Mais celui, tranquille, confiant, qu’elle a affiché durant sa courte campagne. Malgré les quelques interviews accordées, y compris en bon français, et la position de favorite de la Briguoise, la campagne – menée par son amie Brigitte Hauser-Süss, autre Valaisanne PDC qui a collaboré avec Eveline Widmer-Schlumpf et Doris Leuthard – a été si discrète que, la veille, Le Nouvelliste a pris peur: «Rarement une candidate aura fait si peu pour draguer l’élu électeur», se contentant «de laisser parler son bilan à sa place».
Inconnue hors du Palais
Le 5 décembre, Viola Amherd, 56 ans, devenait pourtant la huitième conseillère fédérale de l’histoire. L’Assemblée fédérale a adoubé une femme du sérail, entrée au National en 2005 et devenue vice-présidente du groupe démocrate-chrétien en 2011. Au fil de ces années parlementaires, elle a su gagner la confiance de ses pairs, qu’elle a achevé de convaincre lors des auditions de groupe. La vice-présidente des Verts, Lisa Mazzone, qui la côtoie à la Commission des affaires juridiques, la décrit comme «une personne à la colonne vertébrale solide, qui sait où elle va».
Dans le même temps, la Briguoise est longtemps passée inaperçue auprès des médias et du public. «Je préfère travailler dans l’ombre», dit-elle volontiers. Même les journalistes parlementaires expérimentés ont dû apprendre à connaître cette femme en tailleur-pantalon sombre. Responsable de la rubrique fédérale du prestigieux quotidien libéral Neue Zürcher Zeitung, Heidi Gmür ne lui avait jamais parlé avant son entrée en campagne. «Je savais que Viola Amherd était très appréciée au sein de son groupe et, au-delà, par l’aile gauche mais aussi par les Vert’libéraux et le PBD, qui ont mentionné son nom dès que Doris Leuthard a évoqué son départ. Mais elle n’a jamais cherché à se profiler sur le plan public et national. Par ailleurs, le PDC n’a pas beaucoup de femmes qui sont de véritables poids lourds», rappelle la journaliste.
Ouverte et pleine d’humour
Le seul écueil qui aurait pu véritablement nuire à la candidate: la révélation début octobre que, avec sa sœur, elle a été condamnée au printemps à rembourser plus de 250 000 francs de loyers perçus en trop à une société du groupe Alpiq. Une condamnation civile et non pénale, a insisté Viola Amherd, dont le recours est pendant au Tribunal cantonal. Heidi Gmür dit avoir été frappée par la manière «sereine» dont elle s’est défendue face aux attaques.
Pragmatique, «curieuse et ouverte», comme elle le dit d’elle-même, Viola Amherd s’est engagée pour le mariage pour tous et les quotas féminins. Ses dossiers de prédilection: les régions périphériques (elle s’est battue pour le deuxième tube du Lötschberg), le service public et l’enfance. Elle qui siège au conseil d’administration de plusieurs sociétés de transport et du groupe de cliniques privées Swiss Medical Network (anciennement Genolier), présidé par le PDC Raymond Loretan, a ainsi donné l’un de ses badges d’accès à Frédéric Mader, alors mineur et actif pour le Lobby suisse de l’enfant.
«Elle m’a beaucoup soutenu, sans jamais s’ingérer dans mes prises de position, indique Frédéric Mader, aujourd’hui majeur. Je la décrirais comme quelqu’un d’ouvert, qui écoute et débat volontiers de positions différentes des siennes. Et puis, elle a beaucoup d’humour, les relations avec elle sont très détendues.» Elle-même rejette l’étiquette de gauche qui lui a été attribuée, préférant le terme de libérale.
Viola Amherd naît le 7 juin 1962 à Brigue, quatorze ans après sa sœur Myriam. Leurs parents, propriétaires d’un magasin d’électronique, finiront par divorcer. Les deux sœurs sont restées proches; elles habitent le même bâtiment à Brigue. Viola a aidé Myriam, mère célibataire, à élever Lia, aujourd’hui âgée d’une trentaine d’années et aux premières loges le 5 décembre pour fêter sa tante.Adolescente, avant que le centrisme de son père, membre du PDC, ne la rattrape, la future ministre se rêvait plutôt punk, tendance anarchiste. Après une maturité au gymnase Spiritus Sanctus, elle part étudier le droit à Fribourg. De retour à Brigue, elle entre au comité local du PDC par le biais de Brigitte Hauser-Süss. Quelques années plus tard, elle sera son avocate lorsque les catholiques traditionalistes dénoncent son soutien au régime des délais. Elles auront gain de cause devant le Tribunal fédéral.
En 1991, Viola Amherd ouvre son propre cabinet. L’année suivante, elle est élue à l’exécutif communal de Brigue. En 1999, elle est candidate au Conseil d’Etat, mais échoue face au socialiste Thomas Burgener. En 2005, première des viennent-ensuite de la liste PDC, elle remplace au National Jean-Michel Cina, élu au Conseil d’Etat.
Célibataire revendiquée
«Ne te rends jamais dépendante de quiconque. En tant que femme, tu dois te battre pour toi-même», lui répétait sa mère. «Je n’ai jamais eu pour but de vivre en couple. J’ai toujours vécu en célibataire. Et c’est très bien ainsi. Je suis libre.» On sait aussi que, en bonne Valaisanne, elle apprécie la fondue. Qu’elle adore New York. Qu’elle se ressource dans le chalet hérité de ses parents à Bettmeralp, qu’elle est sportive: elle pratique le ski, la randonnée, le mountain bike…
La Genevoise Lisa Mazzone espère que l’arrivée des nouvelles ministres au gouvernement «permettra d’avoir des positions plus affirmées, alors que le CF passe son temps à ne rien décider». Rien n’est moins sûr, tant les deux femmes ont martelé leur envie de collégialité, de concordance et de compromis. Seul l’avenir dira de quel bois Madame la conseillère fédérale Viola Amherd se chauffe. Une chose est sûre: la «stille Schafferin» (travailleuse silencieuse), comme l’a surnommée la presse outre-Sarine, va devoir s’habituer aux feux de la rampe.