Il arrive de noir vêtu dans le restaurant. Avec sa très haute taille et sa gueule de jeune Al Pacino, il ne laisse pas indifférentes les deux clientes qui le suivent du regard jusqu’à notre table. On lui fait remarquer son impact sur les femmes, il botte en touche: «Mais non, c’est parce que je suis grand, je mesure 1 m 98. Comme Michael Jordan et Oussama ben Laden. Quoique Ben Laden, il faut vérifier, certains disent qu’il mesurait 1 m 96.»
Vérifier, c’est normal, il est journaliste. Alexis Favre est le meneur de débats de l’émission Infrarouge sur la RTS. Seul en piste désormais depuis le départ d’Esther Mamarbachi à Mise au point. Il jure qu’il ne l’a pas poussée dehors. «Honnêtement, j’étais un peu surpris qu’elle parte après un an. Je n’en avais pas envie, je lui dois beaucoup, j’avais trouvé quelqu’un avec qui je rigolais beaucoup et qui me faisait confiance.»
Chercher la faille
Il commande du canard. C’est drôle d’animer une émission dont le titre évoque des ondes invisibles au regard, parce que s’il y a une chose qui caractérise le Genevois, c’est sa visibilité. L’homme irradie sur un plateau TV. Aisance verbale, œil de velours tout en osant recadrer, ce côté beau gosse qui le sait et doit certainement agacer ceux qui se situent dans la moyenne. En plus il est cultivé. L’autre soir, sur l’affaire Maudet, il a cité Camus en écho aux propos de Slobodan Despot qui disait qu’il faut appeler un chat un chat, soit un menteur, un menteur: «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», a ajouté Alexis et il le pense sincèrement.
Le voilà gêné qu’on lui fasse remarquer que les fées, si prodigues avec lui, n’ont pas dû laisser grand-chose au-dessus du berceau de ceux qui sont nés juste après lui ce 10 mars 1978. Assure que dans certains domaines «je suis poussif et je rame» sans pouvoir franchement en nommer un. «Je sais que je dégage un truc super sûr de moi, je souris, je virevolte, je suis sympathique, j’arrive, je prends de la place, mais je me rends compte que c’est toujours un peu la panique à l’intérieur, dans tout ce que je fais. J’ai toujours l’impression d’être un imposteur, je souffre de ça parce que j’ai longtemps fait l’imposteur quand j’étais jeune, là j’ai vraiment besoin de faire les choses pour savoir que je n’en suis pas un.»
Il a joué Shakespeare au Collège Sismondi. Son héros d’enfance, c’est Jean-Paul Belmondo, il admire la présence magnétique des monstres sacrés comme Delon ou Depardieu. «Cela me fascine, c’est donné à peu de personnes, moi, je sais que je ne l’ai pas.» Cela explique peut-être qu’il ait choisi de faire HEI et de devenir journaliste, avec déjà une solide expérience professionnelle acquise au Matin Dimanche, à la Télé, au Temps, où il a dirigé la rubrique genevoise.
A la ville, il est marié avec Jennifer Covo, qui présente le JT du week-end. «On essaie de ne pas parler tout le temps boulot à la maison», confie-t-il. Il n’y a pas de rivalité entre eux, à l’entendre. «Elle fait autre chose. On essaie d’avoir un regard critique mais constructif l’un sur l’autre.» N’empêche, Elie, leur fils de 3 ans, est déjà fan de Macron. «Pas de Macron, mais du président de la Marseillaise. Il adore l’hymne national français. Il m’a demandé l’autre jour ce que voulaient dire tyrannie et étendard.» Et de décrire la tête des passants quand il se promène avec fiston qui entonne à tue-tête «qu’un sang impur abreuve nos sillons...» On rit. Lui-même est un enfant de parents divorcés.
Deux beaux-pères qui étaient des figures du landerneau genevois. Michel Barde, ex-patron des patrons romands, Roger Pfund, le graphiste à l’origine de nos passeports et billets de banque. De quoi marquer son esprit. Michel Favre, son père, a cofondé la défunte compagnie d’aviation SATA. Il lui a mis le manche à balai de son avion privé entre les mains à l’âge de 7 ans et lui a appris à cuisiner. «On a une jolie relation. J’ai appelé papa deux hommes dans ma vie, c’est un peu bizarre, non? Bon, on s’arrête avant de tomber dans la psychiatrie.»
Porteur d’image
A la maison, c’était souvent Infrarouge avant l’heure. «Ma mère était socialiste. Il y avait des débats animés tous les soirs autour de la table!» Aujourd’hui, seul maître à bord de son émission, il a envie de casser les codes, souhaite encore plus de réactivité vis-à-vis de l’actualité, n’hésite pas à programmer la mort de Johnny, veut rendre son émission encore «plus flexible, plus sexy». Il n’astique pas encore son bouclier mais sait que la pose mannequin affichée dans ce magazine va lui valoir quelques moqueries. «Je vais me faire démolir», prédit-il. Tant pis, il assume. «Les Français n’ont pas peur de le faire. On est des porteurs d’image.»
«Alexis n’est pas dans une quête de pouvoir, mais dans celle de la lumière», assure un ami proche. Pas la lumière artificielle des projecteurs, celle plus dionysiaque de la Méditerranée, de cette Grèce où il s’est marié et retourne chaque année, celle magnifiée par Camus dans Noces, relu des dizaines de fois, «quand il décrit la sensation du plongeon dans la mer à Tipaza. On est là dans la pure ivresse du moment, l’essence de la vie. La lumière, ce n’est pas juste un truc de jouisseur, c’est photosynthétique; je suis beaucoup plus heureux quand j’ai la peau hâlée, pas parce que je me trouve plus beau mais je me sens gonflé d’une énergie pure. Un «juice» qui me porte. En fait, je marche aux photons!»
Son besoin de séduire est à mettre aussi du côté de cette lumière. «Le regard des autres, ça compte pour moi, autant celui des femmes que des hommes. Mais où mettre le curseur entre l’empathie et la séduction? Peut-être que dans la séduction il y a une recherche malicieuse qu’il n’y a pas dans l’empathie...»
Le temps passe, il évoque sa détestation de tout ce qui se finit. Même un simple repas. «Dès qu’une chose se termine, je ressens un sentiment de tristesse, j’ai la nostalgie du moment présent, je déteste le lendemain d’un mariage ou d’une belle fête, je suis triste dans ces moments-là. Je cherche à toujours maximiser le moment, alors évidemment cela pousse à faire un peu la fête. Tout ce que j’entreprends, je le fais de manière totale. Je ne conçois pas de vivre autrement.»
Vivre à ses côtés ne doit pas être de tout repos. Sa femme le ramène souvent sur terre, admet-il. Il admire chez elle «sa liberté de dire simplement les choses, sans trop de précaution, faux-semblants, culpabilité». Reconnaît que c’est une qualité dont il est dépourvu.