Pénétrer dans le joyeux capharnaüm d’un appartement habité par une famille avec trois enfants en bas âge est une expérience qu’on recommande. Alors que le petit dernier ne quitte pas les bras de sa maman, le papa, Silvio Fernández, Vénézuélien et ex-numéro 1 mondial d’escrime, se prépare à emmener leur fille de 6 ans à la danse et le bambin du milieu donne tout ce qu’il a pour attirer l’attention, en changeant de jeu toutes les trois minutes.
Au cœur de l’action, Sophie Lamon garde un calme olympien. La fureur d’un combat d’escrime représente sans doute la meilleure des préparations pour devenir une maman de compétition. «Je suis une maman assez cool, je crois. Je n’ai jamais été très angoissée, par exemple pour les laisser sortir s’il fait froid ou pour partir en voyage. Je ne peux pas dire que j’avais une fibre maternelle prononcée avant d’avoir des enfants, puis c’est devenu naturel. Je me suis dit que j’allais apprendre.»
Peut-être aussi parce que, dans sa vie, elle a tout fait avec précocité. Après sa folle médaille d’argent des Jeux de Sydney, à 15 ans (!), ce qui en fait toujours la plus jeune athlète suisse à avoir décroché un tel honneur, elle prend sa retraite sur blessure à 25 ans, puis devient manager à 26 ans. Et là, à 33 ans, elle est déjà la hardie maman de trois enfants adorables aux traits joliment latinos, que le couple élève dans un lotissement de la banlieue de Berne où les familles sont reines.
Son champion de mari, elle l’a connu en 2004. Elle venait de s’installer à Paris et ils fréquentaient le même groupe d’entraînement, sous les ordres du fameux maître d’armes Daniel Levavasseur. Ils ont emménagé ensemble dans la Ville Lumière en 2006, puis ont gagné Berne en 2012. Entre-temps, la mort dans l’âme, Sophie Lamon a dû annoncer sa retraite, avant une deuxième opération de la hanche. «J’avais mal sans arrêt, même en dormant. Ce fut une décision longue à digérer, car j’avais encore plusieurs objectifs dans ma carrière. Mais aussi un soulagement.» Aujourd’hui, elle pratique assidûment le golf, ainsi que le vélo, la natation et le fitness. Mais ses hanches éprouvées ne lui permettent plus de courir ou de se livrer à haute dose à des sports d’accélération ou de changements de direction, tels le ski ou le tennis.
A défaut d’escrime, d’autres défis se sont immédiatement présentés. Tout s’est accéléré. Elle a d’abord mis son énergie à conclure un master spécialisé en sport, management et stratégies d’entreprise. Puis, futée, la Fédération suisse d’escrime, Swiss Fencing, est venue la chercher en 2012 pour un poste où tout était à créer, cheffe du sport de compétition. A 26 ans, aussi fine que déterminée, même si évoluer dans un milieu masculin fut un défi, la Valaisanne a aimé accompagner les athlètes et participer à l’organisation des Européens de Montreux, en 2015, ou à la médaille d’or masculine de la Suisse aux Mondiaux 2018, en Chine. Elle vient cependant de tourner la page de l’escrime, pour devenir cheffe de projet chez Omega, à Bienne. «J’avais besoin de voir autre chose, de me détacher de ce milieu dans lequel je baigne depuis l’âge de 4 ans. Même si j’aime bien sûr encore ce sport.»
L’Amazonie, un jour
Les enfants sont arrivés tous les trois ans. Celeste en 2012, Enzo en 2015. Et le petit dernier, Esteban, le 25 décembre dernier. La veille, alors que la table du Réveillon était dressée dans leur chalet de Crans (VS), Sophie n’a pas eu le temps de déballer les cadeaux. Il a fallu foncer avec son mari vers l’hôpital de Sion, en début de soirée. Ce n’était pas Bethléem, mais presque. Ils ont en effet passé la nuit à attendre. Comme ils avaient faim et que tous les commerces étaient fermés, Silvio a dû se rabattre sur un distributeur. «Mon repas de Noël, ce fut un Coca Zero et des chips», rit-elle. L’accouchement a été provoqué et le bébé est venu au monde le 25 décembre, vers 18 heures.
Depuis, ils gèrent, comme on dit, et plutôt bien. Tout est question d’organisation et de bonne humeur: «Pour le moment, je n’ai pas l’impression d’un gros cataclysme, dit-elle. Au contraire, comme je suis si occupée professionnellement, j’ai la sensation d’avoir du temps dans ma journée, pour les enfants, les activités. Et Celeste a 6 ans: elle m’aide beaucoup, elle aime cela.» Elle a quatre mois de congé devant elle. «Je suis très contente de pouvoir en profiter, je sais que cela passe vite. Quand je vois les deux grands, j’ai l’impression que je les avais dans mes bras hier. Je serai aussi très contente de retourner travailler.»
Son mari a également vécu un changement professionnel. Engagé dans une carrière diplomatique, il vient de quitter son emploi de premier secrétaire à l’ambassade du Venezuela pour se concentrer sur l’escrime, en tant qu’entraîneur et directeur technique au club de Berne et consultant tactique pour Swiss Fencing, ravis de disposer d’un tel crack à leurs côtés.
Le Venezuela, la famille ne s’y est plus rendue depuis plus de quatre ans. Ils ont failli y aller au printemps dernier, mais la situation politique dans ce pays en crise les en a empêchés. Ils y retourneront: Sophie rêve d’emmener sa famille en Amazonie. Pour l’heure, la coquette forêt d’Ostermundigen fera l’affaire. Et l’aventure est au quotidien.