Il y a cent cinquante ans, on ne pouvait imaginer les grandes profondeurs que désertes. Comment la vie aurait-elle pu exister dans l’obscurité totale qu’on savait prévaloir au-delà de 500 mètres de fond? Pas de lumière, pas de photosynthèse, pas de photosynthèse, pas de phytoplancton: torpillée, la chaîne alimentaire! CQFD. Mais cette belle démonstration a pris l’eau en 1861, quand le câble télégraphique reliant la Sardaigne à l’Algérie a été remonté de profondeurs variant de 1500 à 2000 mètres pour des travaux de maintenance et qu’il est apparu couvert de mollusques et de coraux.
Le temps d’en créer les moyens, l’exploration des grands fonds a vraiment démarré à partir des années 1930 avec la bathysphère de l’Américain William Beebe, reliée à la surface par un câble, et a été marquée par le bathyscaphe, le submersible autonome du Suisse Auguste Picard, qui, en 1960, a touché le fond de la fosse des Mariannes, l’endroit le plus profond de la planète, à près de –11 000 m. La recherche s’est accélérée depuis, bien sûr, et l’arrivée de la pêche au chalut de fond, dans les années 1980, qui racle les fonds marins jusqu’à 1500 m de profondeur, a contribué à faire connaître et, très vite, à mettre en danger des espèces comme le poisson-lanterne, la baudroie des abysses, le grenadier ou encore le mérou gris, vulnérables à la (sur)pêche en raison de la lenteur de leur croissance et de leur rythme de reproduction.
Dictée par la rareté de la nourriture et de l’oxygène, par les pressions colossales et par les basses températures, cette lenteur n’est qu’une des adaptations propres aux poissons abyssaux. La plupart sont petits, mais il existe des monstres, comme le calmar géant Architeuthis dux, qui peut dépasser 10 mètres bien qu’il vive en dessous de 500 m. Ils ont souvent une grande gueule hérissée de grandes dents pour ne pas rater les rares proies qui passent, mais à moindre coût énergétique. Les yeux sont parfois disproportionnés, pour localiser proies ou prédateurs en captant leur bioluminescence, créée par une réaction chimique ou des bactéries luminescentes.
Bien qu’il occupe deux tiers de la surface du globe, le milieu abyssal compte parmi ses endroits les plus inexplorés. Mais si l’on fantasme aujourd’hui sur lui, c’est surtout qu’il recèlerait de quoi nourrir l’humanité. Pour un temps, du moins. En particulier grâce aux petits poissons à bouche hérissée, présents jusqu’à –4000 m, qui ont la particularité de commencer leur vie comme mâles avant de devenir, parfois, femelles. Et qui seraient surtout l’espèce vertébrée la plus abondante sur Terre, comptant des centaines de trilliards d’individus.