Le trait est minimaliste, vif, d’une formidable richesse expressive. «J’ai toujours dessiné façon BD, confie Pitch Comment. Ma mère adorait Reiser, Bretécher ou Wolinski, que j’ai dévorés avant même de lire «Tintin» ou «Lucky Luke». Plus tard, Lewis Trondheim et Manu Larcenet ont changé ma façon de voir les choses.» Regard décalé. Dessin simplifié. L’art de la suggestion. «Comme je suis une feignasse, ça m’a parlé», rigole le dessinateur ajoulot en flattant Cora, la femelle berger basque de 11 ans qu’il a adoptée à l’âge de 4 ans.
Enfant de Courgenay (JU), Pitch Comment – personne ne l’appelle Pierre-Olivier, son vrai prénom – jouit aujourd’hui, à 53 ans, d’une reconnaissance à l’échelle romande. L’expo que lui consacre la Maison du dessin de presse à Morges en témoigne.
L’homme est discret, «un brin sauvage», dit-il. Barbu. Le regard fixe. Son arme absolue? Le second degré. Dans le Jura, tout le monde connaît sa griffe, grâce à la rubrique «La petite semaine de Pitch» publiée chaque samedi dans «Le Quotidien jurassien». Il avait même habillé une rame des chemins de fer régionaux (CJ) avec ses personnages!
Au-delà de son canton, il est reconnu pour ses dessins dans «Vigousse», «Le Matin Dimanche» et sur les sites Heidi.news ou La Torche, sans parler de la BD «Les Indociles» (Ed. Les Enfants Rouges), dont le scénariste Camille Rebetez a travaillé à l’adaptation pour la série télé de la RTS.
Vous avez dit Comment?
«J’aurais rêvé de vivre à New York», avoue-t-il, conscient du décalage, assis dans la cuisine vivante de sa jolie maison ancienne à flanc de colline. Le rez-de-chaussée est en travaux. Il accueillera l’atelier. A l’étage, salon et cuisine forment une seule et grande pièce, façon loft. Des objets hétéroclites, dont un Homer Simpson mécanique, sont disposés un peu partout. Un joyeux capharnaüm.
Il s’appelle Comment, mais n’a pas de lien de parenté avec l’écrivain Bernard Comment, qui a aussi grandi à Porrentruy avant de monter à Paris. «Mon arrière-grand-père disait que les Comment, c’est comme les chardons, ça pousse partout!» Il se bidonne. Son père Hubert, notaire, est une figure locale dont le sens de l’humour très affûté régale la «Revue des avocats». Membre actif du PLR, il a notamment siégé à la Constituante jurassienne. Sans doute est-ce grâce à lui si Pitch aime croquer l’actu. Il ne dément pas, mais précise: «J’ai commencé de m’intéresser à la politique à 36 ans seulement, au moment de lancer le blog Super-Elector en 2006.» Il dessinera ensuite dans «Arc Hebdo» (hebdomadaire disparu).
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Un artiste bien entouré
Dans le salon, une toile de sa main représentant un visage en noir et blanc attire l’œil. «J’ai peint jusqu’en 2005, puis l’envie et l’inspiration m’ont abandonné... jusqu’à aujourd’hui», avoue notre hôte qui a longtemps été fasciné par l’œuvre picturale d’Alberto Giacometti avant de flasher sur le travail de Yan Pei-Ming, artiste d’origine chinoise installé à Dijon. «C’est sûrement en partie à cause de ce dernier que je ne peins plus.» Il en sourit.
Cadet de deux enfants, Pitch Comment affirme devoir une fière chandelle à son entourage. «Mes parents m’ont toujours soutenu, y compris sur le plan financier. Gamin, je me souviens que ma mère, qui a fait les Beaux-Arts à Bâle, me dessinait certains personnages historiques pour m’aider dans mes devoirs. J’étais plus réceptif.»
L’école? «C’est bien allé jusqu’en 8e année, puis je me suis posé trop de questions et mes résultats ont chuté. Entré au lycée, je n’y suis resté qu’un an. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie. Sans mon attrait pour le dessin, j’aurais probablement repris l’étude de mon père...» soupire-t-il.
A 16 ans, départ à Neuchâtel, où il étudie durant quatre ans à l'Académie Maximilien de Meuron, puis Pitch Comment bifurque vers Genève. «Je m’étais inscrit aux Beaux-Arts, mais j’ai été recalé. J’ai ensuite passé deux ans en auditeur libre aux Beaux-Arts à Paris, puis j’ai rejoint une école de peinture décorative à Bruxelles. Je suis spécialisé dans l’imitation de bois et de marbre.» Sans rire cette fois.
«Je faisais des expos, mais je ne vivais pas de mon travail.» On le mandate au théâtre Pulloff à Lausanne pour créer des décors de théâtre, une tâche dont il s’est encore chargé en 2022, lors de la tournée romande de la pièce «Hiver à Sokcho», coadaptée par l’autrice Elisa Shua Dusapin, elle aussi de Porrentruy. Il dessinait en direct sur tablette. Un vrai kiff.
«Depuis vingt ans, la chance m’accompagne», se réjouit Pitch Comment, dont le retour en Ajoie aurait pu se révéler piégeux et l’isoler. Il n’en a rien été. «Je suis rentré parce que je n’avais plus les moyens de vivre ailleurs», reprend-il.
Il n’est pas rare de voir chez les Jurassien(ne)s un dessin encadré de Pitch Comment représentant une ruelle ou un bâtiment de Porrentruy. L’idée lui a été soufflée. «En vacances ou en voyage, je remplis des carnets de notes de croquis, de phrases, d’aquarelles: un super procédé pour ensuite raviver les souvenirs.» Au retour d’un séjour en Grèce, il montre un carnet au mari de sa sœur, photographe. «C’est lui qui m’a encouragé à me concentrer sur Porrentruy.» Bien vu! Le succès est foudroyant.
Sans fausse modestie, Pitch Comment peine à se valoriser. «Je suis resté très peu sûr de moi», dit-il. A l’écouter, il aurait probablement végété dans l’anonymat sans le soutien de ses parents, de la femme qui partage sa vie depuis vingt-quatre ans et de ses amis, qui lui ont permis de «vivre de grandes choses».
«Quand je regarde les dessins de Chappatte, j’ai l’impression de mieux connaître le monde. Moi, je ne suis pas journaliste. Mes dessins n’ont pas cette profondeur.» Son objectif majeur? Susciter le rire. «Ce que je fais n’est pas trop mal, je le sais. J’en vis. Ça me suffit. Ma seule ambition, c’est de dessiner.»
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La marche du monde l’intéresse. Il suit l’actualité à la télé et sur les sites d’info en ligne. Pitch Comment a aussi crapahuté. Il a vécu à Paris, à Bruxelles et à Barcelone, s’est promené en Norvège ou à Chicago avec sa compagne. «J’adore vivre à Porrentruy, mais j’ai besoin d’aller voir ailleurs, sans quoi j’étoufferais.»
Certains voyages l’ont marqué au fer rouge, changeant sa perception du monde, notamment en Syrie où il s’est rendu deux fois avant le déclenchement de la guerre en 2011.
La Syrie qui a débouché sur la BD «Souvenirs de Damas», publiée en 2017 et où il ne serait sans doute jamais allé si Michel Angi, l’un de ses meilleurs potes, prof au Lycée cantonal à Porrentruy, ne l’avait convaincu de l’accompagner en 2009. Pitch Comment s’est ensuite rendu avec son confrère dessinateur Barrigue dans des camps de réfugiés à majorité syrienne en Grèce, en 2016, puis dans d’autres camps en Israël et à Gaza. «Là-bas, j’ai pris des claques monumentales, résume-t-il. Quand une réfugiée palestinienne de 14 ans t’explique avoir déjà vécu trois guerres, ça laisse pantois.»
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A propos du sort de Gaza, il confie, résigné: «J’ai l’impression que ça ne finira jamais.» De ses incursions dans les camps de réfugiés, Pitch Comment aimerait tirer une bande dessinée. «J’y travaille depuis plus de cinq ans. C’est un projet personnel qui m’aide à digérer tout ça, mais le finirai-je un jour?»
>> Retrouvez l'exposition «Pitch Comment, l’indocile» à la Maison du dessin de presse à Morges jusqu'au 20 mai.