«Tu as des skis? L’hôtel où l’on va tourner n’est pas accessible à pied.» C’est donc à motoneige qu’on rejoint le réalisateur Pierre Monnard au Plein Ciel, à Champéry, établissement perché à flanc de montagne avec une vue imprenable sur les Dents-du-Midi.
Au mois de mai, le Fribourgeois entamera la réalisation d’une nouvelle série, «Hors saison»*, une coproduction franco-suisse (diffusée par la Radio Télévision Suisse et France 2) portée par un casting de choix, dont l’actrice française Marina Hands. L’occasion pour lui de s’imprégner du charme et de la lumière des lieux et d’effectuer les premiers repérages avec son équipe, ravie de le retrouver «en présentiel» après des semaines de préparation par écrans interposés.
Le Covid-19 n’a pas freiné cet hyperactif de 45 ans habitué à mener plusieurs projets de front. Son année 2020 a été couronnée de succès. Public, d’abord, avec son film «Les enfants du Platzspitz», qui a comptabilisé plus de 330 000 entrées, ce qui le place largement en tête des productions les plus vues en Suisse, devant des mastodontes comme «Tenet» de Christopher Nolan ou «1917» de Sam Mendes. Critique aussi, avec cinq nominations aux Quartz le 26 mars et le Prix du meilleur film suisse décerné par l’Association suisse des journalistes cinématographiques (ASJC) en février dernier. «On a de la chance. C’est un peu le graal, le rêve caché de beaucoup de réalisateurs, j’imagine. Avoir la chance de faire un film populaire et aussi de trouver grâce aux yeux des critiques. C’est cool car ça n’arrive pas souvent», confie le réalisateur romand, sans fausse modestie et heureux de partager cette reconnaissance avec son équipe. «C’est génial d’être nominé aux Quartz. On verra bien ce qui se passe. Je suis heureux pour mes comédiennes (Sarah Spale et Luna Mwezi, toutes deux nommées pour le Prix de la meilleure interprétation féminine, ndlr). C’est avant tout leur film. Je le suis aussi pour André Küttel et Sophie Blöchlinger (en lice respectivement pour le meilleur scénario et le meilleur montage, ndlr). J’espère surtout qu’on va être tous ensemble pour trinquer à cette soirée, même si ça sera sur Zoom.»
Comment un gamin de Châtel-Saint-Denis devient-il cinéaste? Il s’amuse du cliché mais il est littéralement né à côté du cinéma du village, le Sirius. Il y allait avec ses parents, puis avec ses potes cinéphiles avec qui il échangeait les revues Studio et Première conservées précieusement. Féru de cinéma indépendant américain des années 1990, «Barton Fink», des frères Coen, lui donne envie de réaliser. Si bien qu’à 14 ans, à la place du traditionnel vélomoteur, il demande un caméscope à ses parents pour son anniversaire. Maturité en poche, il s’inscrit en lettres à l’Université de Lausanne avec l’idée de tenter sa chance dans des écoles de cinéma prestigieuses. Il essuie refus sur refus. Puis, un peu par hasard, il intègre celle de Bournemouth en Angleterre.
Tout s’accélère. Son film de diplôme est remarqué. Il s’installe à Zurich et commence à travailler. Il alterne entre la réalisation de clips et de spots publicitaires durant dix ans. Il avoue, décomplexé: «Ça a été ma deuxième école de cinéma. Une magnifique époque, extrêmement formatrice. J’ai tourné avec des stars de la variété française comme Calogero, Pascal Obispo ou encore Grand Corps Malade.»
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Mais l’envie de faire des films est toujours là et en 2013 sort son premier long métrage, Recycling Lily, en suisse-allemand. Il enchaîne avec Anomalia, série fantastique dont l’intrigue se déroule sur ses terres d’origine, en Gruyère. Puis un documentaire sur Le business du sang à Cleveland et là, c’est le déclic. Se confronter au réel et développer un langage visuel sans être en contrôle de tout a eu un énorme impact sur sa manière de réaliser. «Pour la série de la SRF Wilder, j’ai rencontré l’actrice Sarah Spale, qui est devenue un peu ma muse. J’ai commencé à développer un intérêt pour le réalisme et le travail avec les comédiens. Je venais d’une démarche artistique où l’esthétique occupait beaucoup de place. Le visuel prenait le dessus sur le lien. Je suis aussi devenu papa, j’ai appris à hiérarchiser mes priorités. Cet autre rapport au monde m’a permis de devenir, j’espère, un meilleur réalisateur.»
Retour à Champéry, où il séjournait aussi pour les vacances en famille avec Florence, sa femme, et Jules et Loulou, ses deux enfants. «J’ai de la chance, ça fait vingt-cinq ans que je suis avec ma femme. Elle m’a accompagné durant tout mon parcours, des refus dans les différentes écoles de cinéma jusqu’à aujourd’hui. C’est grâce à elle que je suis là. Elle me soutient énormément.» Difficile de trouver l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle? «Je me sens très privilégié. Je n’ai jamais l’impression que je vais au travail. Je n’ai pas de loisirs, je ne fais pas de sport. Ça ne me dérange pas. Ma vie, c’est faire des films et la famille.»
Homme de famille, travailleur acharné, on l’aura compris, mais aussi extrêmement curieux et toujours à la recherche de nouveaux terrains d’expression. Dans la forme (séries TV, spots publicitaires, clips, documentaires et fictions) et dans les genres aussi. En véritable touche-à-tout, il s’est essayé au fantastique, au drame, au thriller et à la comédie. Rien ne semble lui résister. Sa philosophie? Foncer, prendre des risques, apprendre et progresser. Et essayer de ne pas se répéter. Tourner en suisse-allemand ou en français modifie-t-il son approche? Non. Il se définit avant tout comme un raconteur d’histoires. «Je pourrais même tourner en japonais!» s’exclame-t-il avant de poursuivre: «Ce qui est essentiel, c’est la sensibilité et l’émotion.»
Il est ainsi l’un des rares Romands à connaître le succès des deux côtés de la Sarine. Une fierté pour cet homme que l’on sent profondément amoureux de la Suisse. Il aurait pu rester en Angleterre après ses cinq années d’études mais quitter son pays lui a fait «comprendre plein de choses. J’ai commencé à aimer qui j’étais, nos particularités. Je n’ai aucun complexe à être Suisse, à affirmer mon identité. Nous sommes un beau pays et avons plein de spécificités culturelles à faire valoir. Nos paysages sont magnifiques et il faut les utiliser, c’est un bon investissement!» La ville l’attire aussi. «J’adorerais faire un film zurichois, un truc urbain à mort.»
Il fourmille d’idées et d’envies pour le futur et n’a pas peur d’être traité de cinéaste «populaire». «La question de moderniser le Heimatfilm m’intéresse. Avant, on était tous des paysans. Aujourd’hui, il y a des banquiers, des mecs qui travaillent dans les assurances. Mais finalement, quand on voit une montagne, on vibre tous un petit peu.» Il s’anime, parle avec ses mains et conclut. «Ça fait partie de nos gènes. Pourquoi on est comme ça? C’est notre culture, c’est qui on est! C’est peut-être un peu cliché, mais ça m’intéresse à fond.»
>> *La série «Hors-Saison» a été créée par Sarah Farkas, Claire Kanny et Marine Flores-Ruimi, et développée par Sarah Farkas et Marine Flores-Ruimi qui ont engagé une équipe de quatre auteurs franco-suisses.