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Politique

Pierre Maudet est candidat au Conseil d’Etat genevois

Actuellement cadre dans une entreprise de cybersécurité, Pierre Maudet a annoncé à nos confrères du GHI son retour dans l’arène politique. En 2021, l’ancien conseiller d’Etat genevois nous avait accordé une interview intimiste sur les conséquences personnelles de son affaire, son travail, ses convictions, ses envies.

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Pierre Maudet

Pierre Maudet (qui tient ici un «picosatellite» équipé d’une puce fabriquée par la filiale française de WISeKey) s’est toujours intéressé aux technologies de pointe.

© Niels Ackermann / Lundi13
Philippe Clot

- Vous avez quitté le Conseil d’Etat à la fin du mois d'avril et vous avez commencé à travailler pour votre nouvel employeur, l’entreprise de cybersécurité WISeKey, au début du mois de mai. Cela faisait pourtant trois ans que vous étiez en situation inconfortable. On aurait pu s’attendre à ce que vous vous offriez un break. 
- Pierre Maudet:
J’aurais aimé prendre un temps de repos. Mais ce n’était pas vraiment possible pour des raisons économiques. La loi me permettait de prendre une retraite de conseiller d’Etat à 43 ans en percevant les 8000 francs mensuels de rente prévus. Mais cela ne me semblait pas convenable en l’état.

- L’affaire qui porte votre nom a duré trois ans. Trois ans durant lesquels vous êtes resté à votre poste contre vents et marées. Dans quel état en êtes-vous sorti?
- Ces années ont bien sûr été pénibles. Elles l’ont d’ailleurs aussi été pour ma famille et mes collaborateurs. J’en suis sorti cabossé. Cela laisse des cicatrices. J’ai dû m’adapter. Depuis six mois, j’ai une nouvelle activité professionnelle, j’ai repris le sport, je m’investis comme bénévole, je me suis mis au chinois (sourire), ce qui n’est pas une mince affaire. J’apprends même à rire de moi (re-sourire) dans la revue fribourgeoise «FriBug», dont les représentations débutent ce 24 novembre. Tout cela est revigorant; j’observe beaucoup, j’apprends énormément et, surtout, je vois grandir mes enfants.

- La politique active, c’est fini?
- La politique, c’est une grande partie de ma vie et une passion. Je ne pense d’ailleurs pas qu’on puisse bien en faire sans être vraiment passionné par la chose publique, car si elle apporte beaucoup, elle prend tellement. En quittant ma fonction élective, j’ai réfléchi à une possibilité de poursuivre un engagement politique pour répondre à certaines préoccupations et continuer le dialogue avec les centaines de personnes qui m’avaient sollicité lors des permanences mises en place pendant la campagne. Des gens me sollicitent encore régulièrement pour des conseils. C’est important d’avoir cette disponibilité-là, parce que je ne voudrais pas laisser penser aux quelque 40 000 citoyennes et citoyens genevois qui ont voté pour un programme quand je me suis présenté en indépendant ce printemps au Conseil d’Etat que je les ai lâchés. Mon nouveau travail s’inscrit d’ailleurs dans cet engagement, car je contribue à proposer des solutions à certains problèmes actuels de société.

Pierre Maudet

Dans le «data center» de l’entreprise WISeKey, où Pierre Maudet travaille depuis six mois comme chef de la transformation numérique.

© Niels Ackermann / Lundi13

- Se faire engager aussi rapidement par une entreprise privée après quatorze ans de politique active dans les exécutifs de la ville puis du canton de Genève, cela pouvait paraître précipité, non?
- Il y a en effet tout de suite eu de la suspicion par rapport à cet engagement. Certains insinuaient que je m’étais ménagé ce travail au cours de mes années au Conseil d’Etat. En fait, le fondateur et CEO de WISeKey m’a simplement proposé un emploi dans un domaine qui est au cœur des enjeux de demain, celui du numérique, et dans un périmètre nouveau pour moi puisque c’est une société internationale active dans les pays de l’Union européenne, en Asie et aux Etats-Unis. Et comme cette société n’est pas dépendante de collectivités publiques, je garde une liberté de parole et d’action.

- Combien de temps vous a-t-il fallu pour vous adapter à ce nouvel environnement professionnel?
- Je m’y suis tout de suite senti à l’aise. Parce que ce poste de «chief of digital transformation officer» a été créé pour moi, et il me permet de m’investir dans des projets concrets en développant des passerelles au sein mon réseau. Mon mandat consiste à détecter les marchés d’avenir en tenant compte des limites de nature légale, politique ou sociologique. L’intuition du patron de WISeKey, Carlos Moreira, en m’engageant, s’appuie sur le constat que le numérique va faire face à des entraves réglementaires et comportementales qu’il faudra décoder et dépasser avec une compréhension des enjeux politiques. Mon rôle, c’est d’identifier les domaines d’activité (santé, formation, etc.) où nos solutions amèneront une valeur ajoutée aux consommateurs. En mars dernier, 65% des Suisses ont rejeté l’identité numérique. Ce refus cinglant était un signal d’alerte à cet égard. Il prouve que les citoyens se méfient du numérique et ne sont pas encore convaincus des opportunités qu’il peut offrir, en termes d’emplois ou d’améliorations de la vie de tous les jours. Pour cela, les acteurs du numérique doivent être clairs sur les exigences de transparence et de sécurité, et délivrer des cas pratiques, simples et concrets.

- Justement, un exemple concret?
- Dans la santé. C’est l’humain qui doit être au centre. Le patient est encore trop souvent laissé de côté sur certains aspects. Notamment sur la question sensible du consentement à l’usage de ses données. Tout le monde a intérêt à ce que ses radiographies et autres données médicales soient mutualisées pour améliorer le diagnostic, faciliter la médecine prédictive, tout en réduisant les coûts de la santé. Pour générer la confiance du patient, il faut d’abord qu’il soit informé quant à la sécurité et l’intégrité de ses données. J’ai rencontré des médecins qui travaillent sur l’imagerie médicale. On peut facilement, aujourd’hui, compresser ces données très lourdes et sécuriser leur transfert, les crypter, les anonymiser. Les problèmes soulevés par cette numérisation médicale sont énormes: qui sont les propriétaires des données? Les cabinets médicaux? Les patients? Cela pose des questions juridiques, ergonomiques, économiques à tous les pays, questions auxquelles il faut s’atteler sous peine d’accuser un retard impossible à rattraper.

- Au fond, vous êtes un politicien passé du public au privé et qui continue à faire de la politique.
- Mais tout est politique! Il y a tellement d’événements dans la vie de chacun d’entre nous qui nous poussent à l’engagement. La santé est un exemple parmi tant d’autres. Et il n’y a pas que la santé qui a besoin de solutions efficientes: engager un apprenti, par exemple, c’est encore terriblement compliqué pour un patron. L’apprentissage est malheureusement encore dénigré, ce qui est dommage quand on sait les défis que soulève l’intelligence artificielle dans le monde du travail. Au même titre, la formation continue et l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Ce sont ces questions qu’il faut empoigner maintenant, à la faveur de la transition numérique et environnementale, pour dessiner notre société de demain. Mon credo en créant le parlement des jeunes il y a trente ans, c’était «participer au lieu de subir». C’est ce que j’ai toujours essayé de faire.

- Votre reconversion dans le privé, c’est aussi vérifier l’opposition entre le dynamisme des entreprises et l’inertie de l’Etat?
- Non, c’est évidemment caricatural de dire ça. Je me suis toujours revendiqué de la grande histoire radicale, celle qui considère que l’Etat est un acteur indispensable. On revient toujours au public, car on a besoin d’un cadre, de règles, de standards, donc de l’Etat. Réglementer n’est pas forcément alourdir, mais au contraire accompagner. Dans mon domaine d’activité, le défi, aujourd’hui, c’est que le numérique abolit les frontières, notamment celles entre le public et le privé. L’exigence de transparence et de réglementation de la société civile est légitime, et pour que la révolution digitale actuelle se fasse au profit des gens, il est nécessaire que des règles protègent les utilisateurs et les entreprises des cyberattaques et des vols de données qui peuvent avoir un coût économique et humain exorbitant.

Pierre Maudet joue dans la revue satirique «FriBug» du 24 novembre au 31 décembre à l’Auberge communale d’Ecuvillens.


«Je ne lui ai jamais demandé de jeter l’éponge»

Au cours de ses trois années de purgatoire, Pierre Maudet a pu compter sur le soutien indéfectible de son épouse, Catherine. Comment a-t-elle vécu cette période?

Pierre Maudet

Catherine et Pierre Maudet partagent depuis six mois bien plus de moments ensemble, des déjeuners en commun notamment.

© Niels Ackermann / Lundi13

Catherine Maudet était en première ligne durant ces trois ans de révélations, d’accusation et de mise à l’écart de son époux. «J’avais arrêté d’écouter la radio. Entendre parler de mon mari tous les matins m’était devenu insupportable.» Pourtant, jamais elle n’a incité son mari à démissionner du Conseil d’Etat. «Je comprends pourquoi il a tenu bon. Mais c’est lui seul qui devait voir jusqu’où il pouvait aller, selon sa conscience. Pierre est constamment en train d’imaginer comment améliorer la société. Il ne pouvait donc pas abandonner la vie politique sans résister jusqu’au bout. Car même s’il a commis des erreurs, comme il l’a reconnu lui-même, ce qu’on lui a fait subir était disproportionné.»

Tout va bien aujourd’hui? «Oui, même s’il a fallu un temps d’adaptation pour nous inventer un nouveau fonctionnement familial. Pierre était un mari et un père forcément très souvent absent. Quand j’ai donné naissance au premier de nos trois enfants, un 30 novembre, il était en campagne dès le lendemain pour l’élection du Conseil administratif. Maintenant, nous passons des déjeuners et des soirées ensemble. Ces temps je lui fais d’ailleurs répéter son texte pour «FriBug», la revue satirique fribourgeoise.» «J’ai une centaine de répliques, précise Pierre Maudet. Ce qui n’est pas une sinécure pour moi qui ai toujours improvisé mes discours.» «C’est une belle manière d’être ensemble», renchérit Catherine Maudet.

Par Philippe Clot publié le 25 novembre 2021 - 11:23, modifié 28 septembre 2022 - 10:00