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L'interview

Philippe Rebord: «C'est à l'armée d'évoluer»

Devenu chef de l’armée en 2017, le Romand Philippe Rebord quittera son poste à la fin de l’année. Un mandat raccourci qui lui laisse quelques regrets et de beaux souvenirs. Confidences.

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Le commandant Philippe Rebord, en septembre dernier, à la caserne de Colombier (NE), là où il a fait ses débuts à l’armée. «Une manière de boucler la boucle.» David Marchon

Au printemps dernier, le chef de l’armée, Philippe Rebord, annonçait sa retraite pour la fin 2019, en raison de problèmes de santé. Soit un an avant la date prévue pour ce Valaisan né à Neuchâtel, grandi à Lausanne et résident de Fully (VS). A quelques semaines de la retraite, il s’est confié à L’illustré.

- Monsieur Rebord, comment allez-vous?
- Philippe Rebord: Bien. Je dois me faire poser une prothèse de hanche, mais pour le reste, je vais bien.

- Avez-vous des regrets à quitter votre poste plus tôt que prévu?
- C’est une décision mûrement réfléchie, que j’ai prise pour le bien de l’armée et lui permettre d’assurer une continuité. La votation probable sur l’achat des nouveaux avions de combat a été déplacée à l’automne 2020. Alors bien sûr, j’ai des regrets, mais je ne suis pas du genre à me morfondre. Je préfère regarder vers l’avant.

- L’annonce que votre successeur, l’Argovien Thomas Süssli, ne parle pas français a suscité des réactions indignées en Suisse romande. Les comprenez-vous?
- Je me suis battu toute ma vie pour représenter la partie romande du pays, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’avais accepté ce poste. Mais la Suisse est alémanique à 65%, c’est une majorité qu’il faut respecter. Et si on est honnête, il faut bien dire que cette majorité respecte les minorités. En outre, Thomas Süssli parle aussi bien le français que moi l’allemand.

- Parlons de votre enfance. Vous avez vécu plusieurs années au Rwanda.
- En effet, entre l’âge de 7 et 10 ans, j’ai habité à Kigali, où mon père travaillait dans la coopération technique et le développement. J’étais pensionnaire de l’Ecole consulaire belge, où l’enseignement se faisait en français. J’avais un avantage considérable sur les élèves flamands!

- Est-ce là que vous avez pris goût à la vie de troupe?
- Plutôt à 12 ans, quand ma famille est repartie en Algérie, après deux années en Suisse. Moi, j’avais demandé à rester ici, à l’internat du collège Champittet à Pully.

- Pour quelle raison?
- En tout cas pas par rébellion. Plutôt pour reprendre le rythme scolaire. J’avais déjà l’habitude des grands dortoirs. C’était la discipline de l’époque, avec un processus strict pour monter en chambre, éteindre la lumière, une heure de télé le dimanche après-midi…

- Vous avez fait des études de lettres. Qu’est-ce qui vous a décidé à faire carrière dans l’armée?
- D’abord, le fait de travailler dehors, le contact avec la nature et mes concitoyens. Et puis, c’est un métier où l’on peut beaucoup progresser, avec de l’avancement. C’est un environnement très motivant, qui vous oblige à vous remettre en question. Mais vous savez, de mon temps, c’était naturel pour les jeunes Suisses de voir leur père en uniforme pour aller au cours. Le mien était landsturm. Moi, j’ai intégré l’école d’officiers à 21 ans.

- Vous êtes fier de votre carrière?
- Mon père était extrêmement fier. Pour ma part, je me suis engagé au jour le jour. Et puis, à l’armée, c’est le nous qu’il faut mettre en avant, pas le je. Mais, c’est sûr, c’est un fil rouge qui m’a servi de guide toute ma vie. Plus que de fierté, je parlerai de reconnaissance envers les milliers de personnes, soldats ou citoyens, avec lesquelles j’ai échangé et qui ont nourri ma personnalité.

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Celui qui est encore chef de l’armée jusqu’à la fin de l’année est apprécié pour ses qualités humaines et son humour. David Marchon

- Quelles sont vos plus grandes satisfactions?
- La concrétisation des projets, l’aboutissement du travail en équipe. Vous entraînez une compagnie, un bataillon, avec la réussite comme mot d’ordre. Je prends mon pied dans les relations humaines et l’armée m’a exaucé au-delà de mes espérances. On y retrouve toute la Suisse, toutes les classes sociales. Cette diversité est éblouissante. Ailleurs, ces différences mèneraient à des conflits, à l’armée, elles nous renforcent.

- En parlant de diversité, vous vous êtes prononcé pour que les transgenres puissent faire leur service militaire. Votre position est-elle partagée au sein de l’armée?
- Je pense que la majorité adhère à cette ouverture, surtout la jeune génération. Le processus dont vous parlez nécessite une force morale considérable. L’armée peut et doit se montrer plus flexible dans la gestion des ressources humaines. On parle d’une aptitude au service. L’armée suisse a pour vocation d’intégrer les gens. D’ailleurs, elle compte 35% de naturalisés. Si on estime qu’on est égaux en droits, on l’est en devoirs, ces recrues l’ont bien compris.

- L’année dernière, une jeune femme voilée a pu faire son service militaire. Cela fait partie du même esprit d’ouverture?
- Bien sûr. C’est à l’armée d’évoluer. La femme dont vous parlez a pu faire son service à la cuisine et a fait un travail excellent.

- Il y a une année, un audit a pointé du doigt des notes de frais excessives d’officiers. Avec le recul, vous comprenez que cela ait choqué?
- Par rapport à mon budget global, j’avais économisé en engageant des moyens internes à l’armée plutôt que des contrats avec des partenaires externes. Mais je n’avais pas pensé aux dégâts d’image, à la perception de plus en plus critique et pointue qu’ont les gens de l’armée. C’est à nous d’en prendre compte et d’évoluer.

- Vous le pensez vraiment?
- Oui, car l’armée, surtout de milice, c’est le miroir de la société.

- Toujours plus de jeunes préfèrent pourtant le service civil. Qu’est-ce que cela vous inspire?
- Ce qui me gêne, ce n’est pas le service civil en tant que tel. Je respecte ce droit constitutionnel, en cas d’objection de conscience. Je pense que des réflexions doivent être menées sur le modèle de service et sur la diversité de la société. Nous devrons et nous pouvons adapter nos règlements en ce qui concerne les tenues et les paquetages. Un sikh veut garder son turban, il ne pourra pas mettre son casque, so what?

- Rappelez-moi pourquoi elle est importante, cette armée.
- Car elle est la seule réserve stratégique de la Confédération pour aider les cantons en cas de catastrophe, pour appuyer leurs corps de police en cas de nécessité. Aider, protéger, combattre en ultime recours. Dans le système globalisé d’aujourd’hui, la Suisse ne peut pas se passer d’armée pour rétablir rapidement le courant normal.

- Vous-même, vous n’avez pas peur de vous embêter?
- C’est plutôt ma femme qui a peur de mon retour à la maison! On va voyager en Suisse, savourer cet écrin prodigieux. Et tant que je peux encore aider, faire vivre l’esprit de milice, me rendre utile à des fondations ou des sociétés, cela me motivera. Je vais rentrer dans le peloton et continuer à appuyer le système. Et rappeler que sans peloton, il n’y a pas de maillot jaune.


Par Albertine Bourget publié le 11 novembre 2019 - 08:42, modifié 18 janvier 2021 - 21:06