On s’assied à côté d’Angie, Joshua n’est pas loin, Nina non plus, Raoul observe de près, Gabriel est par terre et Odile est dans sa main. Toutes les plantes vertes de Phanee de Pool ont un prénom, et c’est plutôt sympa, cet aréopage vert qui assiste à l’interview. Il manque Léon sur la photo, acheté 1 franc chez Ikea, et Louis XV est dans un cadre et ne peut être déplacé. A 30 ans, la révélation de la chanson romande est un peu jeune pour avoir connu le célèbre sketch de feu François Silvant et sa réplique culte qu’on lui sert: «Vos plantes vertes sont magnifiques!»
Carapace
On surprend la Jurassienne bernoise, qui a grandi à Bévilard, en plein déménagement. Son deuxième en quelques mois, même si elle reste dans ce village du bord du lac de Bienne, dont on taira la localisation. L’artiste est du genre «louve solitaire», un côté casanier, une timidité qui ne se devine pas dans ses chansons comiques, poétiques, caustiques, ironiques, anxiolytiques (elle aime les fins en -ique). Celle des clowns, peut-être, elle qui fut mini-Grock dans les festivals Grockland organisés par son papa, actif dans l’événementiel et aujourd’hui son manager. «J’aimais bien me cacher derrière un nez rouge, j’aime bien me cacher derrière des trucs. Aujourd’hui, j’ai toujours le même costume sur scène, ça me protège, comme une carapace. Si je n’ai pas mon costume, je sais que je ne vais pas jouer pareil.»
Chanteuse à tout faire
Phanee de Pool a déboulé dans le paysage musical en une journée. C’était au lendemain du 11 septembre 2016. Elle est encore policière à Moutier, regarde les actus commémoratives des attentats de 2001, se demande pourquoi elle se gorge comme ça de malheur, elle qui se frotte souvent à celui des autres dans son métier.
Elle va composer dans la foulée «Luis Mariano» en quelques heures, dans sa cuisine, en buvant du thé au thym. Sur un clavier de 25 touches relié à un ordinateur. Un petit bijou surréaliste et drôle qu’elle poste l’air de rien sur une plateforme, sans imaginer qu’au bout de la nuit il y aura déjà 1000 vues.
>> Voir le clip officiel «Luis Mariano» sur Youtube:
La suite est fulgurante. Un album, «Hologramme», qui lui vaut le coup de cœur de l’Académie Charles Cros et une nomination aux Swiss Music Awards en 2018.
Elle sera au Paléo le dimanche 28 juillet et le 4 octobre au Théâtre du Jorat, avec un orchestre symphonique de 50 musiciens qui vont s’emparer de ses boucles synthétiques. Rien que ça! «Je ne lis pas la musique, il a fallu tout retranscrire. Vous me demandez de faire un fa dièse diminué sur ma guitare, je ne sais pas où mettre mes doigts. Je n’arrive pas à retenir. Ma mère, qui est pianiste, a bien essayé de me donner des cours de piano, j’oublie tout au fur et à mesure.» Elle soupire, petit haussement d’épaules. «Au début j’en faisais un complexe, maintenant je m’en fiche!»
Elle fait du slap
Elle a raison, Phanee, ses mélodies sont des smoothies sonores qui diffusent un peps immédiat, le reste on s’en fiche. Elle a inventé un terme pour sa musique: slap, entre rap et slam. Il y a déjà Grand Corps Malade, elle ce serait plutôt Petit Corps Roboratif, avec rire inclus et chignon indolent.
En mai 2018, elle a démissionné de la police. Pourquoi la police? lui ont demandé au début les journalistes. Pourquoi pas? a-t-elle répondu. «Voyant que je ne pourrais pas vivre du cirque, il fallait me trouver un métier pour gagner ma vie. La police, c’était un an d’études payées, un boulot varié. Mais je ne suis pas une chasseuse, j’ai été la policière la moins rentable du canton, je détestais mettre une amende. Je me souviens de toutes celles que j’ai données, à qui et pourquoi!» «Phanee, on l’appelait dès qu’il fallait résoudre un problème humain, elle avait une empathie naturelle», se souvient Marcel Germann, chef de la police cantonale du Jura bernois, qui parle encore d’une «vagabonde du monde» à la curiosité insatiable.
Candide et rêveuse
Elle a puisé dans cette expérience la matière pour nourrir ses compositions. La violence conjugale, la schizophrénie, même s’il y a eu aussi des situations plus cocasses, comme courir après des oies échappées sur l’autoroute ou cet atterrissage avec la Rega en plein champ puriné. «J’étais crépie de purin jusque dans le canon de mon pistolet!»
La jeune femme revendique son côté candide et rêveur, qu’elle contrebalance «avec la rigueur, la discipline, une hygiène de vie». Elle a le trac en montant sur scène, «c’est de famille», se shoote aux fleurs de Bach avant un concert, moins dangereux que d’autres substances, d’autant plus qu’elle a l’alcool amoureux.
Label maison
Phanee de Pool sait qu’on l’attend au tournant. Mais le succès ne la changera pas. Elle a créé son propre label, Escales Productions, tient à cette petite cuisine artisanale qui est sa marque de fabrique. «Je vais rester ce que je suis. Dès le début j’ai travaillé avec mes tripes; ce que je livre aux gens, c’est ce qui me plaît, je ne vais jamais faire un truc en me disant "ça va marcher"! Je n’ai jamais rêvé de réussite, je fais des trucs où il y a de l’humour, de la tendresse, de la poésie, et si ça plaît, tant mieux!» Son «looper», ce logiciel qui permet d’enregistrer des pistes audio et de les jouer en boucle, est son meilleur ami. C’est aussi une partie de son nom d’artiste à l’envers – à la ville, elle s’appelle Fanny Diercksen.
«Je déteste la méchanceté»
Elle a la création joyeuse, revendique un côté enfantin, pioche des rimes comme des bonbons dans les dictionnaires. Baudelaire a écrit: «Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté», elle est sur le bon chemin. «Comme elle n’a pas dû galérer pour avoir du succès, elle n’accepte pas toujours qu’on lui dise non», confiait son premier manager. Elle botte en touche. «Je ne sais pas forcément ce que je veux, mais toujours ce que je ne veux pas. Grande gueule, oui, mais ce n’est jamais méchant, je déteste la méchanceté.»
Un peu «chiarde», admet-elle, elle a connu quelques frissons sous l’uniforme. Mais pas chiante ni chochotte, Phanee, biberonnée au jazz par un père qui préférait Ella Fitzgerald à Henri Dès pour éduquer son oreille. Elle aime aussi Barbara, mais n’écoute pas de chanson française en période de création. «Je crois beaucoup à l’écriture connectée. J’écris la nuit, je dors deux heures et je me réveille abasourdie en me disant: «Putain, c’est moi qui ai écrit ça?» Elle rit. Elle rit tout le temps.
Abri antiatomique
Son abri antiatomique, c’est sa famille et les amis de toujours. S’il faut choisir, elle préférera une soirée avec eux aux grandes bastringues du showbiz. «Je n’ai clairement pas coupé le cordon ombilical et je le revendique, j’en suis même fière. Ma mère me fait garder les pieds sur terre dès que je m’envole…» Sourire espiègle. Elle ne se projette pas dans l’avenir. En tout cas pas avec des enfants. «Je suis trop égoïste et irresponsable, je ne saurais pas m’en occuper. Je préfère accoucher d’albums, ça rejoint mon côté solitaire, j’ai envie d’avoir à disposition toute la palette de ma liberté. J’ai bien essayé d’avoir un chat, ça a été un échec. Il fallait s’en occuper!»
Pour suivre Phanee de Pool...
- Paléo à Nyon le 28 juillet, Club Tent, 16h00.
- Théâtre Boulimie à Lausanne du 17 au 20 septembre
- Théâtre du Jorat, Symphogramme le 4 octobre
>> Et les autres dates sur: www.phaneedepool.com