«Pourquoi faut-il montrer et remontrer encore mes vieux trucs?» grommelle Peter Knapp, 91 ans, au premier contact par téléphone. Mais le lendemain, le graphiste, photographe et artiste se montre accort dans son chalet de Klosters (GR). Le fait que la Fondation suisse pour la photographie lui consacre l’exposition «Peter Knapp – Mon temps» l’enchante. En tant que photographe de mode, il ne se contentait pas, dans les années 1960-1970, de mettre en scène des mannequins. Il inventait carrément une image modernisée de la femme avec ses clichés publiés dans «Elle», «Stern», «Vogue», «Marie Claire» ou «The Sunday Times».
- Qu'est-ce qui vous a motivé à montrer les femmes sous un nouveau jour?
- Peter Knapp: C’est grâce à Hélène Lazareff, la fondatrice du magazine «Elle». En 1959, alors que j’étais à New York avec Jean Tinguely, elle m’a écrit une lettre dans laquelle elle m’annonçait qu’elle souhaitait remanier son magazine.
- Pourquoi avait-elle pensé à vous?
- Parce que, durant quelques mois, j’avais conçu un petit journal avec sa fille Michèle Rosier, qui est devenue plus tard célèbre en tant que styliste de mode et réalisatrice de films. Elle avait dû mettre la main dessus et avait apprécié.
- Et après cette lettre, qu’est-il arrivé?
- Hélène m’a invité chez elle. Quand je suis entré dans le salon, il y avait un Giacometti sur la table et des tableaux de Brodsky aux murs. J’ai donc immédiatement compris que cette femme avait de la culture. De 1959 à 1966 et de 1974 à 1977, j’ai travaillé avec elle en tant que directeur artistique et photographe de mode de «Elle».
- Vous dites que c’est Hélène Lazareff elle-même qui a élaboré l’image de la femme qui caractérise vos photographies.
- Oui, dès notre première rencontre, elle m’avait expliqué son credo: pas de mannequins de haute couture, mais des femmes qui pourraient être tes amies. Avec son magazine, elle a touché, à l’époque, un public de 1 million de femmes. Et elle disait: «Nous devons aider ces femmes à bien s’habiller, mais pas avec de la haute couture.» En tant que féministe convaincue, elle me répétait: «Peter, les femmes sont meilleures que les hommes! L’homme est champion du monde de saut en hauteur, mais la femme est championne du monde de décathlon.»
- Vous avez donc tiré parti du féminisme d’Hélène Lazareff?
- Je dirais plutôt que ma mère était déjà un excellent exemple à cet égard. Elle m’avait montré un autre monde, ainsi qu’à mes frère et sœur.
- Un exemple de cette éducation progressiste?
- Un soir, alors que nous, les enfants, étions déjà couchés, elle est entrée dans la chambre et a dit: «Levez-vous, habillez-vous, je veux vous montrer quelque chose.» Nous avons pris le tram d’Oerlikon à Wollishofen. Là, maman nous a montré le scintillement des néons sur le lac. Ensuite, nous sommes rentrés à la maison et nous nous sommes recouchés. Une autre fois, nous avons marché le long d’un ruisseau dans une gorge. Nous devions fermer les yeux et écouter le bruit de l’eau en marchant tantôt plus près, tantôt plus loin du cours d’eau. Je veux dire par là que ma mère m’a appris à entendre, à voir et à ressentir.
>> Retrouvez les photographies de Peter Knapp à la Fondation suisse pour la photographie, à Winterthour, avec une rétrospective de 700 photos. A voir jusqu’au 12 février 2023. Retrouvez-le également sur son site internet.