Son nom et son visage ne vous sont pas inconnus. Johann Oberson faisait déjà la une de notre magazine le 5 février dernier. A l’époque, le Vaudois racontait comment, avec son épouse, leurs deux garçons de 3 ans et 1 an et ses beaux-parents, ils se préparaient à l’arrivée du virus dans la capitale, avec déjà des dizaines de cas avérés. Le pic de ce qui n’était encore qu’une épidémie cantonnée à la région de Wuhan n’avait pas été atteint mais les nouvelles et les images en provenance de la région auraient dû mettre le monde en alerte, selon lui. «Il y avait près de 65 millions de personnes confinées et le nombre de décès explosait dans le Hubei», rappelle le Vaudois.
Pour ce représentant en vin d’une compagnie française, l’Occident, Suisse comprise, n’a pas pris l’avertissement suffisamment au sérieux. «C’est facile d’accuser la Chine aujourd’hui. Mais vu d’ici, on ne comprend toujours pas pourquoi une grande partie de la planète n’a pas su ou pas voulu prendre en compte la gravité de la situation. Quand je pense que début janvier il y avait encore trois vols quotidiens Wuhan-Paris...»
Sur ses conseils, sa famille restée à Lausanne avait d’ailleurs pris toutes les mesures de protection bien avant que le Conseil fédéral ne décrète le semi-confinement, à la mi-mars. «Pour ne pas avoir été prévoyants, l’Europe et les Etats-Unis ont perdu deux mois.»
Aujourd’hui, alors que le virus bat nettement en retraite dans notre pays, voilà qu’il s’invite de nouveau dans l’Empire du Milieu. A Pékin en particulier, où un foyer a été détecté il y a deux semaines dans un quartier du sud-ouest de la ville. Un cluster parti du marché de Xinfadi, sorte de Rungis pékinois, où transitent chaque jour 150 000 personnes. «Selon la version officielle, ce serait une planche de saumon arrivée d’Europe qui aurait été infectée», rapporte Johann Oberson. En coulisses, des scientifiques évoquent plus sérieusement des cas importés de Russie, la frontière ayant été rouverte à la circulation des trains et des bus.
Depuis le 12 juin et jusqu’à la réalisation de cette interview (dimanche soir dernier), 237 personnes ont été infectées. «Même si elle n’a rien de grave en soi, la situation est prise très au sérieux par les autorités. Les clubs, les bars, les lieux de divertissement et les écoles sont de nouveau fermés et 2 à 3 millions de personnes d’une trentaine de quartiers se retrouvent confinées (la ville compte 21 millions d’habitants, ndlr). Depuis fin janvier déjà, le port du masque est obligatoire dans les lieux publics, où l’on prend constamment votre température, et 2 millions de personnes ont été testées au cours de la seule semaine écoulée», confie celui qui a passé quatre ans et demi dans l’armée suisse et suivi de nombreuses formations ABC (atomique, bactériologique et chimique).
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Une sorte de plan Orsec en somme, alors que, depuis le début de la pandémie, Pékin ne recense que 821 cas positifs et seulement neuf décès. «Les Chinois sont très disciplinés et dociles. Depuis que l’alerte a été donnée, les rues et les supermarchés sont beaucoup moins fréquentés. Samedi, sur le coup de 19 heures, la foule était plus que clairsemée sur la Chang’an Avenue, la plus longue avenue du monde, qui passe par la place Tiananmen. Les jardins d’enfants et les piscines sont de nouveau fermés.» Autant dire que l’ambiance est redescendue d’un cran dans les rues de la capitale. «Mais contrairement à cet hiver, où on ne savait pas trop ce qui nous attendait, les gens sont beaucoup plus relax. Comme partout, nous avons appris à vivre avec le virus.»
Il faut dire que les mesures prises par la région sont plutôt drastiques. Suppression des réunions de plus de 30 personnes – qui avaient été de nouveau autorisées en avril – et possibilité de voyager en avion réduite au minimum. «Tous les vols internationaux sont déroutés vers d’autres aéroports et les conditions de voyage à l’intérieur du pays sont draconiennes. A l’embarquement, chaque résident de Pékin doit présenter un test négatif datant au maximum de sept jours et, à l’arrivée, il est contraint d’observer une quarantaine de quatorze jours dans pratiquement toutes les villes. Du coup, j’ai abandonné l’idée de me rendre à Fuzhou et à Xiamen, dans la province de Fujian, où j’avais prévu de me rendre cette semaine pour des raisons professionnelles.»
Avec le temps, le Suisse a appris l’autodiscipline à la chinoise. «A Pékin, il n’y a jamais eu de confinement rigoureux, ni d’arrestation, d’amende ou de quelconque violence policière. Nous n’avons jamais eu besoin non plus d’un permis pour circuler. Les gens suivent les instructions de leurs dirigeants et l’opération antivirus suit parfaitement son cours.»
Une contrainte frappe cependant de plein fouet Johann Oberson et les siens. Tous les visas sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. «Pour la première fois en onze ans, je suis obligé de passer l’été ici. Si je reviens en Suisse, même pour des vacances, je ne peux plus rentrer en Chine. Pour certains expatriés, cette situation est dramatique. A cause de ces mesures, beaucoup de familles et de couples sont séparés depuis des mois. Pour moi, le plus dur est de ne pas savoir quand je pourrai revoir la Suisse et ma famille.»
Pas de problème en revanche côté approvisionnement. «Pendant toute la durée de la pandémie, jamais rien n’a manqué. Cela nous permet de garder intactes nos réserves. Dix kilos de pâtes, 25 boîtes de conserve, des produits surgelés, de l’huile bien sûr et, comme la plupart des Chinois, 20 kilos de riz.»
Sur le plan professionnel, les choses ne sont pas toujours simples non plus. «Dans leur grande majorité, les Chinois ne consomment pas de vin. «Nous n’avons pas appris à en boire» disent-ils, convaincus qu’il faut étudier le vin et son histoire pour pouvoir apprécier le produit, regrette le Vaudois. De plus, vendredi, l’application de traçabilité imposée par le gouvernement a démontré qu’une de ses collègues de bureau avait fréquenté un restaurant dans lequel un cas positif est passé. Demain (lundi dernier, ndlr), nous serons tous testés. Mais je ne suis pas trop inquiet. L’épisode en question remonte déjà à quinze jours et aucun symptôme n’est apparu.»
En Chine, télécharger l’application est donc obligatoire et c’est très bien ainsi, estime Johann Oberson. «Je trouve un peu aberrant qu’une partie de la population suisse rechigne à le faire, alors que la loi sur la protection des données donne toutes les garanties contre des utilisations abusives. Via Facebook et WhatsApp, les gens acceptent d’être observés par la CIA, mais pas par les autorités sanitaires de leur propre pays. C’est bizarre», estime le trentenaire originaire de Saint-Prex (VD), inquiet du relâchement de la population helvétique alors que le virus rôde encore entre Genève et Romanshorn. «J’ai été effrayé de voir des milliers de personnes manifester ces dernières semaines. Ce ne sont pas les causes qu’elles défendent que je remets en question, mais les rassemblements que celles-ci ont provoqués. Est-ce bien utile d’annuler Paléo si c’est pour former une foule à Lausanne, Berne ou Zurich?» s’interroge notre homme.
A Pékin, le virus s’est rappelé aux souvenirs de la population cinquante-quatre jours après le dernier cas déclaré. «Espérons que la Suisse ne subira pas la même flambée dans quelque temps», conclut Johann Oberson, en délivrant une dernière information, optimiste celle-là. «Cette semaine, les médias chinois ont assuré qu’un vaccin allait être testé sur des humains dès le mois de juillet. Selon eux, les résultats des premières phases sont prometteurs.» Prudence toutefois. Le VIH et bien d’autres virus nous ont appris qu’il y a parfois loin entre promesse et réalité. Mais on peut toujours rêver…