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Paysans, ces jeunes qui y croient

Aux quatre coins de la Suisse romande, des jeunes de moins de 30 ans ont choisi de devenir agriculteurs. Vaches, bufflonnes, cochons ou chevaux, production laitière ou combat de reines, les exploitations ont toutes leurs spécificités. D’une région à l’autre, les difficultés varient, mais la passion reste la même. Rencontres.

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reportage jeunes paysans

reportage jeunes paysans

Bertrand Rey

«Je ne vois pas ma vie dans un autre contexte»

Emilie et Olivier Beuret, 29 et 30 ans, Courtemelon (JU)
 

Plusieurs juments, 60 vaches laitières, des cochons tout juste nés, des lapins et même un chat. S’y ajoutent les cultures et le biogaz. L’exploitation agricole de 70 hectares à Courtemelon (JU) est tenue en famille, notamment par Emilie et Olivier Beuret. Les époux se sont rencontrés à l’école d’agriculture. Pour Emilie, 29 ans, ce choix de carrière était une évidence. «Quand j’étais petite, je me ressourçais avec les animaux. Plus tard, je ne voyais pas ma vie dans un autre contexte que l’agriculture. J’ai travaillé dans un bureau pendant trois ans, dans la défense professionnelle, et il me manquait quelque chose.» Olivier, 30 ans, né dans l’agriculture au Canada, a saisi une occasion. «L’hiver où j’ai fini l’armée, le père d’Emilie cherchait quelqu’un pour six mois. Ces six mois sont devenus neuf ans», sourit-il en repensant à ses débuts, alors qu’il a repris les parts de son beau-père à la retraite en octobre 2022.

Olivier et Emilie Beuret, reportage jeunes paysans

Olivier et Emilie Beuret sur leur exploitation jurassienne, avec une jument des Franches-Montagnes et un cochon grandissant sur la ferme.

Bertrand Rey

Dans l’agriculture, actuellement, deux problèmes principaux se posent. «Un gros défi, c’est la communication. On est déconnectés du monde. Il faut qu’on tisse des liens, que les gens comprennent ce qu’on fait et que nous, on arrive aussi à se remettre en question», analyse Emilie. Pour son mari, la difficulté se situe au niveau des politiques agricoles. «Je pense qu’il y a eu beaucoup d’abus et c’est pour ça qu’on est obligés d’avoir des règles.» A chaque renouvellement des normes, les agriculteurs doivent changer des installations, ce qui représente des coûts élevés.

Malgré tout, le couple est épanoui dans son travail. «On est confrontés au cycle de la vie tous les jours: on a des naissances, on a des animaux qui partent. C’est quelque chose que je veux transmettre à mes enfants», insiste Emilie. Son fils, Simon, 1 an, fait ses premiers pas sur la ferme, faisant monter des larmes d’émotion dans les yeux de son papa. «Voir mon petit garçon qui vient à la ferme, avec des étoiles plein le regard, c’est vraiment motivant.» Lorsqu’il en a l’occasion, Olivier Beuret emmène Simon sur le tracteur, répétant les gestes de son propre père. La relève semble assurée.


«Si on ne respecte pas la nature, on ne récolte rien»

Marina Savoy, 27 ans, Bossonnens (FR)


Casquette à l’envers, boucles d’oreilles dépareillées et sourire contagieux. Marina Savoy, 27 ans, gère, depuis janvier 2022, l’exploitation agricole familiale où elle a grandi, à Bossonnens (FR). «Je n’y suis pas venue plus vite parce que mon papa voulait que j’aie une roue de secours, comme il disait.» Cette «roue de secours» prend la forme d’un CFC en menuiserie. Après deux ans dans ce métier et deux ans de formation à l’institut agricole de Grangeneuve (FR), la jeune femme remplace son père hospitalisé, puis lui succède progressivement. «Quand Papa est revenu de son opération, il y avait trop de travail pour une seule personne, mais pas assez pour deux. Je travaillais dans la menuiserie à côté tous les matins et je rentrais l’après-midi pour aider à la ferme.»

Marina Savoy, reportage sur les jeunes paysans

Marina Savoy connaît individuellement les 40 vaches de son exploitation fribourgeoise et elle les appelle chacune par leur nom.

Bertrand Rey

Sur cette exploitation fribourgeoise de 36 hectares, les parcelles de colza, de blé, d’orge et de maïs côtoient le parc des 40 vaches laitières, dont la plus âgée a 13 ans. Marina Savoy les connaît toutes par leur nom. Les bovins passent la matinée en extérieur, dans un terrain élargi progressivement, pour leur garantir une herbe toujours fraîche. «Quand il y avait les grandes chaleurs, on les sortait la nuit, mais comme elles ont des cloches, les voisins n’ont pas apprécié!»

Outre l’envie d’entretenir de bonnes relations avec le voisinage, la nécessité de se conformer à la politique agricole crée des tensions. «C’est très contraignant parce que ça change tous les quatre ans. A peine on a un système en place, il faut le réadapter, évoluer et suivre le mouvement.» Sans cela, l’exploitation serait pénalisée aux paiements directs, car elle ne cocherait plus toutes les cases pour s’assurer un revenu optimal. «C’est ce qui est malheureux aujourd’hui: même si l’ensemble de l’exploitation est sain, sans paiement direct, on ne vit plus», déplore la jeune paysanne, qui souligne que seule une terre bien entretenue peut donner un bon rendement. «Si on ne respecte pas la nature, on ne récolte pas ce qu’on a produit. C’est comme avec les bêtes: si on ne les soigne pas, on ne peut pas avoir un haut potentiel laitier.»


«On trouve de nouvelles manières de vivre du métier»

Lara Graf et Emilien Bongard, 23 et 26 ans, Bernex (GE)


C’est un vrai concert sur l’exploitation familiale de Lara Graf, 23 ans, à Bernex (GE). Les veaux, tout juste séparés de leur mère, font entendre leur mécontentement. «Les bufflons sont assez grands après un mois pour être confiés à des vaches nourricières», clarifie la jeune agricultrice. Une fois les petits gardés par leur «nounou», les 20 bufflonnes peuvent être traites. Lara Graf, diplômée de l’institut agricole de Grangeneuve (FR), est la seule personne dans le canton du bout du lac à produire du lait de bufflonne. «J’ai rejoint mes parents en 2018 et on a développé ce secteur. Il y a beaucoup de diversité dans les fermes du canton, je ne pense pas qu’on puisse encore faire de l’agriculture traditionnelle à Genève.»

Emilien Bongard et Lara Graf, reportage jeunes paysans

A Bernex, dans la campagne genevoise, Emilien Bongard et Lara Graf élèvent des bufflonnes pour la production laitière.

Bertrand Rey

Gérée principalement en famille et fonctionnant grâce à la vente directe, l’exploitation de 50 hectares compte aussi des vaches allaitantes et des cochons. Une diversification qui marque la différence entre générations: «On ne peut plus être uniquement paysan; il faut savoir vendre son produit, il faut savoir s’en sortir en trouvant de nouvelles manières de vivre de ce métier.» Mais si cette polyvalence est un atout pour la survie de la ferme, elle complexifie le travail administratif. «Si on rate une information, si on oublie une coche par-ci ou par-là, ça peut vite être embêtant et on peut être sanctionné.»

L’autre difficulté propre à la génération actuelle est la transparence exigée par les consommateurs. Sur les réseaux sociaux, les photos de naissance de veaux suscitent l’admiration des internautes. Des images qui tentent de répondre aux discours plus virulents contre l’agriculture. «On ne retient que ce qui choque. Tout ce qui est fait dans le respect des animaux, c’est très peu relevé. C’est compliqué d’expliquer que c’est une réalité ailleurs, mais pas ici», déplore Emilien Bongard, 26 ans, compagnon de Lara Graf et travaillant à temps partiel sur la ferme. «Nous, on a de la chance d’avoir le commerce. Les clients adorent poser des questions, on peut leur répondre tout de suite», renchérit-elle en soulignant que «la plupart des gens sont contents et ça donne de l’énergie pour continuer».


«Les gens sont proches de leurs terres et de leur bétail»

Erwan Le Mauff, 27 ans, Les Haudères (VS)


«J’étais inarrêtable quand j’étais petit: je mettais une salopette et je courais pour regarder les vaches!» De père breton et de mère valaisanne, Erwan Le Mauff, 27 ans, a grandi à Evolène, dans le val d’Hérens. Enfant, il suivait l’éleveur voisin et passait la journée au champ, jusqu’à aider à détacher les vaches lui-même. Une passion qui l’a mené à l’école d’agriculture de Châteauneuf. Durant les sept années suivantes, il est ouvrier agricole chez deux agriculteurs. En automne 2022, il a enfin son propre domaine. «Je cherchais une exploitation à reprendre depuis quatre ou cinq ans, mais c’est assez compliqué quand on n’est pas issu du milieu. Les gens sont très proches de leurs terres et de leur bétail.»

Erwan Le Mauff, reportage jeunes paysans

Sur l’alpage de Ferpècle, en haut du val d’Hérens (VS), Erwan Le Mauff s’inquiète pour la sécurité de ses vaches face à la menace du loup.

Bertrand Rey

L’occasion se présente lorsque Joseph Métrailler annonce qu’il cherche un repreneur. «J’y suis allé au culot, je lui ai demandé et on s’est tout de suite entendus.» Erwan Le Mauff reprend la moitié de ses parts. Un mois plus tard, à la suite du décès de l’un de ses amis, il acquiert une deuxième ferme, ce qui lui permet d’avoir deux types d’exploitations. D’un côté, il trait les vaches pour la production laitière; de l’autre, il sélectionne les plus vives pour les combats de reines. «Quand ils sont petits, déjà à cinq jours, les veaux d’Hérens se tapent tout le temps dedans.»

Si l’équilibre entre production laitière et combats est délicat à trouver, le problème principal reste le loup. A son évocation, les sourires disparaissent et les voix se durcissent. «Moralement, c’est dur, lâche le jeune agriculteur, qui a perdu cinq bêtes dans une récente attaque. A long terme, ça fait peur quand même. Le loup s’habitue à tout ce qu’on fait, à tous les moyens de protection qu’on a.» D’autant plus que l’alpage de Ferpècle est qualifié de «non protégeable»: traversé par de nombreux sentiers touristiques, il ne peut être gardé par des chiens. Malgré le tir du prédateur le 14 septembre, autorisé par le canton, la pression reste forte sur les épaules d’Erwan Le Mauff. «Tous les soirs, on doit aller chercher les veaux juste au-dessous du glacier, parce qu’ils ont peur maintenant et ils se cachent.» Le jeune homme refuse de baisser les bras et préfère se concentrer sur le positif. «Ce printemps, on a eu la reine au match. Là, tu oublies tous les points négatifs.» Cette reine, il s’agit de Tigre, vache vainqueur en troisième catégorie lors du combat du 30 avril aux Haudères. De quoi panser les plaies.

Par Sandrine Spycher publié le 29 octobre 2023 - 09:07