Va-t-on assister à un «match», cette fois verbal, entre Tidjane Thiam et les activistes du climat? Ces derniers avaient improvisé une partie de tennis sauvage dans les locaux de Credit Suisse. L’occupation avait pour but de dénoncer les investissements de la banque dans l’énergie fossile. Le mouvement s’est adressé à Roger Federer, pour qu’il se distancie de son puissant sponsor.
La campagne #RogerWakeUp a eu un retentissement planétaire, de même que le procès des militants. Mais, cette fois, c’est Tidjane Thiam qui fait une offre de «dialogue». Les militants l’acceptent, mais ils demandent que la rencontre soit filmée et qu’ils puissent y apporter une information de fond sur les énergies fossiles et la politique de la banque.
- Tidjane Thiam, vous avez été frappé de plein fouet par la tempête Greta Thunberg dans l’affaire Credit Suisse-Federer. Quand une pareille tempête vous arrive dessus, c’est une crise?
- J’aimerais tout d’abord vous dire quelque chose de personnel. En tant qu’Africain, et en tant qu’Ivoirien, j’ai expérimenté de première main les conséquences du changement climatique. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Je le constate depuis vingt ou trente ans! Dans les années 1990, j’ai dû intervenir parce que nos barrages étaient vides à cause de la sécheresse. En Côte d’Ivoire, la forêt est passée de 15 millions d’hectares à 2 millions. C’est un sujet avec lequel je vis. Et des millions d’Africains avec moi.
- Est-ce que Roger Federer a été affecté par toute cette affaire?
- Je ne veux pas parler en son nom. Mais il a bien réagi. Il a raison, et c’est d’ailleurs un conseil qu’il m’a donné: en termes de communication, il faut réagir rapidement. C’est ce qu’il a fait, en concertation avec nous.
- Il l’a dit: il usera de son influence sur vous, le Credit Suisse. Quelle est au juste cette influence?
- Elle est grande! Nous avons un dialogue permanent avec lui. Sa marge d’influence est très importante. Nous l’écoutons. C’est quelqu’un qui a une grande autorité morale.
- Des jeunes ont scandé dans les rues: «Roger Federer, le Credit Suisse t’utilise pour détruire la Terre.» Ça fait mal?
- J’étais attristé, parce que Roger Federer est quelqu’un d’absolument extraordinaire, quelqu’un pour qui j’ai la plus grande admiration et le plus grand respect. Et c’est malheureux que dans tout ce mouvement médiatique il ait été affecté. Je sais qu’il est très résistant, sur tous les plans, y compris mentalement, et qu’il prend du recul par rapport à tout ça.
- De quel œil avez-vous regardé les activistes qui ont joué au tennis dans vos locaux?
- (Il sourit.)
- Ça vous fait sourire, mais vous avez tout de même déposé plainte…
- Ecoutez, écoutez… Comme je l’ai dit, ce qu’il faut, c’est dialoguer. Nous, on préfère dialoguer dans nos bureaux et travailler concrètement sur des questions qui changent la réalité, plutôt que de se focaliser sur les perceptions. Donc nous avons invité les activistes du climat! Ils ont une invitation ouverte à venir continuer le dialogue avec nous.
- Vous les invitez vraiment?
- Absolument.
- Dans une rencontre personnelle? Vous seriez prêt?
- Bien sûr. Je n’ai jamais refusé un dialogue avec qui que ce soit.
- Devant des caméras?
- Les caméras, c’est une autre question, parce qu’on ne dit pas les mêmes choses devant une caméra ou hors caméra. Mais la porte est toujours ouverte!
* Extraits de l’interview de Tidjane Thiam menée par Darius Rochebin, qui sera diffusée sur RTS 1 dans l’émission «Pardonnez-moi».
Trois repères sur Tidjane Thiam
1. L’ascension du prodige
Tidjane Thiam naît en 1962, le dernier de sept enfants. Ses parents sont proches du premier président de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny. Sa mère le laisse décider s’il veut aller à l’école, jusqu’à ce que l’un de ses frères les dénonce au président. Qui tranche: Tidjane a 6 ans, il doit aller en classe. Il fera tout pour être le premier. «Il ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième», dira un autre frère. Sa mention bien (et non très bien) au baccalauréat lui arrache des larmes de rage.
2. Premier Ivoirien à Polytechnique
Il est le premier Ivoirien à intégrer la prestigieuse Ecole polytechnique à Paris. En 2018, sa rémunération à la tête de Credit Suisse se monte à 12,7 millions de francs.
3. Année mouvementée
Ce sont des mots échangés sur leurs épouses et des arbres plantés sans autorisation sur le terrain de Thiam par son voisin à Herrliberg (ZH), le banquier Iqbal Khan, qui auraient fait éclater un conflit entre les deux hommes auparavant proches. Depuis, Khan, parti chez UBS, a porté plainte pour avoir été pris en filature par des détectives mandatés par son ex-employeur. Ce que Thiam assurait ignorer. Le Ministère public zurichois enquête.