Dans son église de Morat (FR), où il travaille la moitié de la semaine, le pasteur Norbert Valley est en colère. «En quarante ans de service pastoral, j’en ai vu des vertes et des pas mûres concernant l’asile, mais ça, c’est au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer.» Il y a deux semaines, il a reçu une ordonnance pénale. Cent jours-amendes à 10 francs avec un sursis de 2 ans et des frais de procédure avoisinant les 250 francs. Son délit? Avoir hébergé Joseph*, un sans-papiers togolais, dans son église du Locle. En portant secours à Joseph, le pasteur de 63 ans a contrevenu à l’article 116 de la loi fédérale sur les étrangers, qui menace celui qui «facilitera» le séjour illégal d’un étranger «d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire».
L’homme d’Eglise rencontre Joseph il y a quelques années. En pleine procédure pour obtenir l’asile en Suisse, il fréquente sa paroisse au Locle et les deux hommes apprennent à se connaître. «Il m’a expliqué la complexité de sa situation. Nous avons donc décidé, avec l’église, de participer aux frais de son permis de conduire pour qu’il ait des moyens supplémentaires pour trouver un emploi. Nous voulions l’aider à s’intégrer.» Mais quelques mois plus tard, Joseph est débouté du droit d’asile. Sa demande a été rejetée par le Secrétariat d’Etat aux migrations, il devient sans-papiers et il lui est demandé de quitter la Suisse au plus vite.
Joseph tombe dans un état dépressif et disparaît dans la nature. Norbert décide donc de lui porter assistance, à titre personnel, ce qui lui est reproché aujourd’hui. «Je l’ai accompagné à son dernier rendez-vous à l’Office de la population, et aussi lorsqu’il a remis les clés de son appartement, c’étaient des moments très lourds. C’est là que je lui ai donné les clés de l’église pour qu’il puisse y dormir quand il en avait besoin, mais il ne l’a jamais fait de manière constante. Je lui ai aussi apporté de l’aide matérielle, mais dont le total est modeste et ne dépasse pas les 500 francs», détaille Norbert Valley.
Une situation «grotesque»
En décembre 2017, Joseph est appréhendé par la police neuchâteloise. A la question de savoir où il dort, le Togolais donne le prénom du pasteur et explique qu’il lui arrive de dormir dans une église. Quelques mois plus tard, un dimanche du mois de février 2018, Norbert Valley anime la prière dans sa paroisse du Locle. Sur les coups de 11 heures, alors que le culte n’est pas encore terminé, le pasteur aperçoit deux officiers de police qui attendent à l’entrée de la salle, «derrière la porte vitrée». «Ils n’ont, à proprement parler, pas interrompu la célébration, mais quand vous voyez deux policiers qui font le pied de grue, comment pouvez-vous continuer paisiblement votre culte?» Le pasteur s’interrompt donc et va à leur rencontre. Les officiers lui demandent de les suivre au commissariat car ils souhaitent lui poser des questions. Norbert Valley obtempère et est interrogé pendant une trentaine de minutes, «assez pour inquiéter ma femme qui ne me voyait pas revenir». Lorsque le pasteur demande pourquoi la police ne l’a pas appelé, en expliquant qu’il serait venu de lui-même, on lui répond que son numéro de téléphone était introuvable. S’il dénonce une situation «grotesque», la police explique, elle, avoir eu du mal à le localiser.
Aujourd’hui, Norbert Valley a pris un avocat et a fait appel de sa condamnation. «J’estime n’avoir fait que mon devoir d’assistance à une personne en danger, ce qui est l’un des principes fondateurs de l’humanité, de l’Evangile et de l’Etat de droit […]. Je fais recours contre votre décision, non pas pour éviter la sanction pénale, mais pour imaginer et rêver encore un peu que mon pays ne va pas si mal qu’il n’y paraît», écrit le pasteur à la procureure chargée du dossier. «Comme chrétien, mais surtout, comme humain, je suis solidaire. Si je me retrouvais face à une situation similaire, je réagirais exactement de la même manière. Comme disait Luther, je suis prisonnier de ma conscience. Je ne peux pas dire aux gens «Dieu vous aime» et ciao. Ce n’est pas possible et cela ne le sera jamais pour moi», explique l’homme à la barbe blanche. Le 25 octobre, Norbert aura une deuxième décision et, si elle est négative, qu’importe: «Je suis prêt à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, s’il le faut!»
*Prénom d’emprunt