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Récit

Pascal et Mireille Besson: le destin d'un couple qui a eu recours au suicide assisté

Ils étaient inséparables. Le célèbre peintre Pascal Besson et son épouse, Mireille, ont choisi, après une belle vie et soixante-sept ans de mariage, de mourir main dans la main, avec l’aide d’Exit, chez eux à Pully (VD). Cette «ultime preuve d’amour» mettait un point final à une existence qui en fut remplie. Nicole Conrad, leur fille de cœur, raconte ce duo fusionnel et détonnant.

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Nicole Conrad, fille de cœur du couple disparu, était «partagée entre tristesse et gratitude» lorsqu’elle nous a reçus à son domicile de Lavaux. Sur la photo qu’elle tient: Pascal et Mireille Besson, facétieux, au bistrot.

Nicole Conrad, fille de cœur du couple disparu, était «partagée entre tristesse et gratitude» lorsqu’elle nous a reçus à son domicile de Lavaux. Sur la photo qu’elle tient: Pascal et Mireille Besson, facétieux, au bistrot.

Jean-Guy Python

«Pascal et Mireille formaient un couple lumineux, de ceux qui parviennent à vous faire croire que rien ne peut séparer ceux qui s’aiment», explique Nicole Conrad, filleule des disparus. «Pascal et Mireille», «Mireille et Pascal», «les Besson»… Quand l’un était dans les parages, l’autre n’était jamais bien loin. Ils s’étaient connus sur les bancs de l’école à Pully. Elle n’avait pas encore 16 ans et le futur grand peintre vaudois deux de plus quand leurs cœurs et leurs mains s’étaient entremêlés pour la première fois. Depuis, «pour le meilleur et pour le pire», mais surtout pour le meilleur, ils ne s’étaient plus quittés «jusqu’à ce que la mort les sépare». C’était le 6 octobre dernier à leur domicile-atelier du vieux bourg de Pully (VD), en présence de leur ami le pasteur David Freymond et… des professionnels d’Exit.

«Pascal et Mireille Besson avaient choisi de partir ensemble et, à ce moment-là encore, ils étaient main dans la main et étonnamment paisibles», explique avec pudeur le pasteur de Pully qui, avec Nicole Conrad, les avait accompagnés quotidiennement les trois derniers mois. Le choix de l’artiste et graphiste de 91 ans et de sa moitié a étonné, détonné, attristé et choqué, même, parfois. «Quelle que soit la manière dont on le juge, il ne faut pas résumer leur départ et encore moins leur existence au suicide assisté – comme cela a un peu trop été le cas dans certains articles de presse –, mais plutôt y voir ce qu’il est: une délivrance ainsi qu’une ultime et magnifique preuve d’amour. La dernière d’une longue liste», précise Nicole Conrad. L’énergique et élégante quinquagénaire est aussi et surtout la «fille de cœur» de ce «couple fusionnel». Comme de nombreux autres et peut-être plus qu’eux, elle est la preuve vivante que, si les Besson ont dû se résoudre à ne pas pouvoir avoir d’enfants, leur vie n’en a pas moins été fertile de bien d’autres manières. Dans l’amour, dans l’amitié, dans l’art et peut-être même jusque dans la mort.

Sérénité et gratitude

Cette directrice adjointe chez Lombard Odier de métier nous a reçus à son domicile des hauts de Villette pour dire sa gratitude d’avoir tant partagé avec Pascal et Mireille. Là, la présence des Besson est palpable. Sur le frigo, une photo aimantée résume la complicité aiguisée au fil des années, des joies et des souffrances, souvent autour de bons repas. Sur les murs, des toiles du maître, reçues en cadeau au fil des instants partagés, dispensent leur beauté sobre. Et à travers la baie vitrée, même le Léman et Lavaux sur lequel le soleil se couche en contrebas évoquent la quintessence de son œuvre.

mariage de Mireille et Pascal Besson

Pascal et Mireille Besson s’étaient mariés au temple de Pully le 19 novembre 1955. C’est là que leurs obsèques ont été célébrées en présence d’amis, le 13 octobre dernier, presque soixante-sept ans plus tard.

DR

Gratitude, c’est peut-être le mot-clé de cette histoire. «Les dernières semaines, une fois leur décision prise, la seule qui était triste et pleurait, c’était moi, relève Nicole Conrad. Mireille et Pascal, eux, étaient si sereins. Ils répétaient souvent: «On a eu une tellement belle vie!» Quel privilège de les avoir connus. Ils vivent dorénavant dans mon cœur, eux qui m’avaient pris sous leur aile à la mort de ma maman alors que j’étais jeune adolescente…»

Un poème avant de partir

Douze bergers allemands s’étaient succédé auprès des deux époux au fil de leur vie. Les Pulliérans étaient parfois amusés de voir Mireille Besson, du haut de son petit mètre cinquante, toujours toute bronzée et de noir et blanc vêtue, promener ses mastodontes au bord du lac. Lorsque Funky, la dernière chienne que leur avait offerte leur filleule, était morte en avril après être sortie de sa léthargie pour se jeter aux pieds de sa maîtresse, ses propriétaires avaient été bouleversés. «L’animal était condamné et ils avaient tout tenté pour le sauver. Avec lui, l’idée que s’acharner n’avait pas toujours vraiment de sens s’imposait peu à peu. Ce deuil a été un déclic pour eux, qui s’étaient inscrits à Exit une année auparavant. Pascal était déjà affaibli par un cancer, passait de longues heures alité et ne peignait plus. Peu après, Mireille, qui n’avait presque jamais mis les pieds chez un médecin de toute sa vie, a appris de la bouche de l’un d’eux qu’elle avait une tumeur incurable à la mâchoire, en phase terminale», livre tristement Nicole Conrad.

En août, ses douleurs se sont révélées insupportables. Le couple avait alors pris la décision longuement mûrie de «partir ensemble» et en avait informé ses nombreux amis personnellement, de vive voix, avec délicatesse mais en éclipsant les larmes. Pour cela, ils avaient à la base choisi la date du 19 novembre, celle de leur anniversaire de mariage. «Mais les souffrances physiques de Mireille étaient telles qu’ils ont été contraints d’avancer la date», souffle avec émotion Nicole Conrad. L’épouse fidèle et dévouée mais forte femme, qui toute sa vie durant avait vécu d’une certaine manière dans l’ombre de son homme, avait perdu beaucoup de poids. Mais elle n’avait cependant pas tout perdu de sa lumière. Elle est décédée quelques secondes avant lui. Avant cela, le couple s’était relu à voix haute le poème «Souvenirs» écrit par celle qu’ils appelaient affectueusement «la filleule».

Pascal et Mireille Besson

Les Besson adoraient les bergers allemands. Douze chiens de cette race se sont succédé auprès d’eux au cours de leur vie. Ils aimaient se ressourcer en Bretagne.

DR

Nicole Conrad se souvient que le traitement médiatique du suicide assisté du réalisateur Jean-Luc Godard, décédé à son domicile de Rolle (VD) le 13 septembre 2022, avait courroucé les Besson. «C’était comme si son départ décidé avait réussi à éclipser son œuvre…» Celle de Pascal Besson ne subira pas le même sort. L’artiste était reconnu avant tout pour ses paysages lémaniques, toscans ou bretons épurés, mais aussi pour ses étiquettes de vin, ses vitraux ou encore pour avoir conçu l’horloge de la Palud, à Lausanne. Il est également à l’origine de la création de la Patrouille des glaciers et de son logo.

«Pascal avait connu un succès public spectaculaire, assez surprenant au regard de la rigueur en apparence un peu austère de sa peinture. Il disait procéder par soustraction pour ne garder que l’essentiel. La critique le boudait un peu à son goût et il estimait que c’était parce qu’il avait été officier dans l’armée», confie son ami de toujours Frank Bridel, de Blonay (VD), qui lui a consacré deux livres. «J’ai eu la chance de pouvoir rencontrer et connaître Pascal Besson ainsi que son épouse. Avec leur départ, c’est un pan de l’histoire vaudoise qui s’en est allé. L’ensemble de sa création nous ouvre une nouvelle perspective sur ce Léman que Pascal Besson n’a cessé de sublimer dans des lignes douces et intenses», analyse de son côté la conseillère d’Etat vaudoise Nuria Gorrite. Quelques-unes des toiles du maître sont exposées jusqu’au prestigieux MoMA de New York. Mais en écoutant ses proches égrener les souvenirs des jours heureux, on comprend que son plus grand chef-d’œuvre fut réalisé à quatre mains et que c’était l’amour qui l’a uni à son épouse plus de 70 années durant.

atelier de Pascal Besson

Aujourd’hui, l'atelier du vieux bourg de Pully vibre encore des élans de créativité solitaire de Pascal et des apéros quotidiens partagés entre amis, avec Mireille en rassembleuse.

Jean-Guy Python

Modernes et conservateurs à la fois

Les Besson se taquinaient, se chamaillaient, s’inspiraient. Par certains côtés, ils formaient un couple à l’ancienne. Mireille, arrière-petite-fille au caractère bien trempé du grand peintre vaudois François Bocion (1828-1890), tirait les ficelles en coulisses, se chargeait des accrochages et jouait efficacement les agentes auprès des clients. Elle s’occupait aussi de l’intégralité de l’intendance jusque dans les moindres détails. Pascal se reposait sur son dévouement et son efficacité pour créer et cultiver les moments d’amitié, souvent autour d’un verre de chasselas et d’un bon repas. Et Nicole Conrad, qui bichonne aujourd’hui les vignes que les disparus lui avaient confiées voici quelques années, de se souvenir en souriant: «Porteurs et garants des traditions, les Besson m’offraient à chaque anniversaire une pièce d’argenterie pour constituer le trousseau de mon futur mariage. Afin de parfaire ma formation ménagère, Mireille – cuisinière chevronnée et membre des Gourmettes – ne manquait aucune occasion de me rappeler l’importance des talents culinaires pour trouver un mari…»

Pour Pascal et Mireille Besson, la fidélité était une vertu cardinale. Un autre homme cependant était venu durablement s’immiscer dans leur relation. Son nom? Roger Federer! Mireille Besson était l’une de ses plus grandes fans. Un jour de match, alors qu’un ami lui téléphonait, le facétieux Pascal Besson a ainsi lâché, mi-pince-sans-rire mi-jaloux pour de bon: «Mireille? Elle est encore avec l’autre!» Mais par bien d’autres côtés, leur couple était aussi très ouvert. «Issus de familles bourgeoises, ils ont cultivé un certain côté hippie. Ils furent par exemple parmi les premiers à fréquenter les Club Med lors de leur création, alors projet désintéressé et idéaliste», explique, malicieuse, Nicole Conrad. Ils aimaient aussi traquer les belles lumières en Bretagne, en Toscane ou du côté de Verbier, trois régions chères à leur cœur où ils avaient leurs habitudes et se rendaient joyeusement avec des toiles vierges et leur berger allemand tassés dans le coffre.

«Vivants jusqu’au bout»

C’est d’ailleurs du côté de la Croix-de-Cœur, sur les hauts de la station valaisanne, que Nicole Conrad est montée à pied disperser les cendres des disparus. La cérémonie funèbre qui avait précédé fut très émouvante. L’église protestante du prieuré de Pully était pleine d’amis, de larmes, d’amour, de souvenirs, de sourires et de… gratitude. «Tant de monde à un enterrement à cet âge, c’est très rare, surtout quand il n’y a pas d’enfants», relève le pasteur Freymond. C’est ici même que Pascal et Mireille s’étaient passé la bague au doigt, soixante-sept ans plus tôt, en 1955.

David Freymond, pasteur et ami de Pascal et Mireille Besson

L’homme de foi David Freymond a respecté et accompagné sans la juger la décision de ses amis.

Jean-Guy Python

Le couple avait eu le privilège de programmer ses funérailles en détail. Sur leur faire-part figurait le beau psaume «L’Eternel est mon berger, je ne manque de rien». La chose pourrait étonner pour un couple pas particulièrement connu pour être versé dans la religion. Mais David Freymond, qui les a entourés de ses paroles d’amour et de ses prières jusqu’au bout, n’est pas surpris. «Mireille et Pascal avaient une belle ouverture spirituelle. Une espérance les habitait. Ils sont partis dans la Lumière. Ils ont été vivants jusqu’au bout…»

Par Laurent Grabet publié le 8 février 2023 - 08:25