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Pascal Couchepin: «L'Eglise catholique doit retrouver une posture moins dogmatique»

Quelle est la place de Dieu dans notre pays? Rita Famos, présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, débat de l’Eglise et de l’Etat avec l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin, catholique pratiquant.

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Rita Famos et Pascal Couchepin

Catholique libéral, Pascal Couchepin, 80 ans, suggère à Rita Famos, présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, d’être financièrement plus indépendante de l’Etat.

David Birri
Werner De Schepper
Werner De Schepper

- Pascal Couchepin, quel est pour vous le principal message de la Bible?
- Pascal Couchepin: La foi, l’espérance et l’amour. 

- Qu’est-ce que vous y associez?
- P. C.: Pour les Eglises, la foi est devenue une affaire compliquée. La moitié de la population ne sait plus quel est le contenu effectif de la foi chrétienne. Le sujet de l’amour est lui aussi devenu compliqué. Les ONG ont professionnalisé la mission de l’amour du prochain et, de ce fait, l’ont éloignée de nous. Reste l’espérance. Elle est l’essentiel et très nécessaire de nos jours. (Pascal Couchepin se tourne vers Rita Famos.) Quel est le rôle des Eglises désormais si la plupart des gens pensent qu’ils n’ont plus besoin d’Eglise?
- Rita Famos: Je ne vois pas les choses aussi négativement. Les Eglises nationales comptent environ 5 millions de membres en Suisse. C’est une majorité de la population et immensément plus que n’importe quelle autre grande association dans le pays, que l’on parle du Club alpin ou de l’UDC. C’est un nombre important pour la cohésion du pays.
- P. C.: Les Eglises restent importantes mais elles continueront à rétrécir. Quelle est votre mission?
- R. F.: Vous l’avez dit vous-même: transmettre les trois grandes vertus chrétiennes, la foi, l’espérance et l’amour. A quoi s’ajoute: aime Dieu, aime ton prochain comme toi-même! C’est le cœur du message chrétien.
- P. C.: D’accord. Mais les Eglises doivent avoir le courage de délivrer leurs vérités sans faire de concessions à l’esprit du temps.
- R. F.: Il est vrai que nous ne devons pas faire de concessions. Mais nous devons traduire notre foi dans l’époque actuelle, demeurer éloquents. Cela ne signifie pas plaire à tout le monde mais être compris de tout le monde.

- P. C.: Je vois la situation des Eglises comme suit: au niveau matériel, les églises existent encore dans chaque village de Suisse. Elles sont bien entretenues et témoignent du christianisme dans ce pays. A un autre niveau, celui de la pastorale dans les paroisses, ça se passe aussi plutôt bien: il y a des prêtres et pasteurs dans les communes, les hôpitaux, les prisons et l’armée. Un certain nombre d’entre eux ont trop d’argent et deviennent fainéants, ils n’ont plus besoin de prendre des risques. Le grand problème se situe au troisième niveau, celui des Eglises nationales et de leurs directions. Là, je constate un mutisme, je n’entends guère le message de la foi, de l’espérance et de l’amour. Je doute aussi que la structure synodale soit le bon moyen quand on se met à voter sur des questions concernant la foi.
- R. F.: Ça ne se passe pas ainsi. La structure synodale est à l’opposé de l’Eglise catholique avec ses décisions venues d’en haut. La forme synodale permet la participation. Ce faisant, nos synodes reflètent toujours nos positions sur la base des Ecritures, de la foi et de la grâce dans l’amour du Christ. «Sola scriptura, sola fide, sola gratia, solus Christus». Ce sont là les principes de la Réforme. C’est pourquoi, dans nos synodes, nous sollicitons toujours le conseil de théologiens. C’est de cette façon que nous avons par exemple drastiquement revu au fil des ans la position des femmes dans l’Eglise.
- P. C.: C’est vrai, l’Eglise catholique a un problème avec les femmes et le cléricalisme s’est renforcé avec le pape Jean-Paul II. Il faut qu’elle retrouve une posture moins dogmatique. Une anecdote à ce propos: la Garde pontificale suisse voulait me remettre une décoration. Je l’ai refusée en disant: «Je n’accepte pas de décoration d’un Etat qui n’est pas démocratique.»

Rita Famos et Pascal Couchepin

Quand il était ministre de l’Intérieur, Pascal Couchepin s’est aussi toujours vu comme «ministre de la religion».

David Birri

- Alors pourquoi vous, le libéral éclairé, faites-vous toujours partie de cette Eglise dogmatique, Pascal Couchepin?
- P. C.: En Valais, ça se passe ainsi: tout baptisé catholique fait partie de l’Eglise catholique tant qu’il n’a pas publiquement déclaré le contraire. Ici, on ne peut pas formellement quitter l’Eglise et il n’y a pas d’impôt ecclésiastique que l’on puisse économiser en la quittant. L’Etat et les communes répartissent tout simplement les fonds permettant d’assurer le ministère sacerdotal. A Martigny, des fonds vont aussi aux réformés. Je trouve bien que nous ne payions pas d’impôt ecclésiastique, mais dans d’autres cantons, il en va différemment et un canton comme Genève ne donne pas d’argent du tout aux Eglises.
- R. F.: Ce n’est pas pour des raisons sentimentales ou par tradition que l’Etat soutient les Eglises mais parce qu’il connaît leur contribution au bien commun.
- P. C.: Je suis pour que les Eglises soient soutenues par l’Etat. Mais vu la déchristianisation croissante, ce système ne pourra pas être préservé sur la durée.
- R. F.: Il y a une dizaine d’années, je voyais un avenir beaucoup plus sombre pour les Eglises. J’ai l’impression aujourd’hui que notre travail est de nouveau plus respecté. Dans plusieurs cantons, le peuple a rejeté la suppression de l’impôt ecclésiastique.

- Pour la plupart des gens, la religion est désormais une affaire privée pour laquelle il n’y a pas besoin d’Eglises.
- R. F.: Non, et c’est précisément le point clé: le christianisme n’est pas une croyance pour individualistes; le christianisme signifie toujours communauté, il concerne toujours ses semblables. Etre chrétien chacun de son côté ne correspond pas au commandement biblique de l’amour.
- P. C.: D’accord. Mais je ne veux pas être mis moralement sous pression pour agir comme ci et pas comme ça. C’est ce que font les Vert-e-s: ils prêchent une seule juste voie et quiconque ne veut pas les y accompagner est pointé du doigt et exclu de la communauté des Justes et des Bons. C’est ce qui m’a dérangé avec l’initiative sur les entreprises responsables. Des représentants des Eglises nous ont fait croire qu’en tant que chrétien, on ne pouvait qu’être pour. Ce que, en tant que chrétien, je n’étais pas.
- R. F.: «L’Eglise ne doit pas faire de politique mais permettre la politique», a dit un jour le président du Bundestag allemand Richard von Weizsäcker. Les Eglises sont une composante importante de la société. Elles doivent s’y impliquer en conséquence.
- P. C.: Je ne dis pas que les Eglises n’ont pas le droit de critiquer l’Etat. Mais si elles étaient un peu moins dépendantes de l’Etat et de son financement, elles seraient plus crédibles lorsqu’elles critiquent l’Etat ou proposent d’autres voies. Il est trop facile de montrer la politique du doigt en Suisse, on ne risque rien à le faire. Par ailleurs, les Eglises nationales veulent trop plaire à l’Etat qui fait rentrer de l’argent pour elles. Une telle dépendance financière rend paresseux. Etre chrétien, c’est un risque, pas une casco complète.
- R. F.: Nous ne sommes ni un prestataire de services de l’Etat ni des donneurs de leçons. Nous entendons nous impliquer entièrement avec notre message de foi, d’espérance et d’amour.

Rita Famos et Pascal Couchepin

Rita Famos, 56 ans, fut en 2020 la première femme à être élue à la présidence de l’Eglise évangélique réformée de Suisse.

David Birri

- P. C.: Le principal problème est que le contenu de la foi n’est pas connu de la plupart. C’est un désastre quand les gens contemplent aujourd’hui des fresques dans une église mais n’ont aucune idée des épisodes bibliques qu’elles illustrent.
- R. F.: Comme pasteure à Uster (ZH), j’ai proposé des programmes parents-enfants en constatant que les parents ne connaissaient plus la Bible. Nous discutions des questions que les enfants nous soumettaient: mon chat ira-t-il aussi au paradis? Puis-je parler avec Dieu? Qui a créé la Terre?
- P. C.: Cette dernière question illustre combien il est difficile de raconter l’histoire biblique de nos jours. Il y a eu la théorie de l’évolution – pour l’essentiel Darwin – mais il existe toujours des mouvements fondamentalistes qui enseignent la Création comme dans la Genèse.
- R. F.: Ce n’est bien sûr pas ainsi que je l’ai enseigné aux parents. Au contraire, je leur montre ce qu’est le récit de la Bible et comment il faut le comprendre à la lumière des connaissances actuelles.
- P. C.: Nous avons un sérieux problème si, dans les degrés supérieurs, plus aucun savoir n’est dispensé sur la religion qui a imprégné notre pays et notre culture. Je ne parle pas ici d’enseignement religieux mais d’un programme obligatoire pour tout le monde.
- R. F.: Dans la réforme en cours de la maturité, nous nous mobilisons pour qu’une discipline «religion», dans le sens «étude des religions», soit intégrée aux programmes du gymnase.
- P. C.: Nos écoles publiques doivent expliquer la religion comme partie intégrante de notre culture. Sans endoctrinement, juste en tant qu’histoire des idées.
- R. F.: Exactement. Et c’est aux Eglises et communautés religieuses de dispenser la religion vécue.

Rita Famos et Pascal Couchepin

Rita Famos et Pascal Couchepin dansle jardin du second à Martigny, où ses désormais 11 petits-enfants aiment à s’ébattre.

David Birri

- Quel est le message des Eglises en ces temps de pandémie et de guerre?
- P. C.: Nous ne sommes pas des êtres parfaits, il n’existe pas de voie royale. On ne peut élever les humains comme des animaux. Essayons simplement de rendre la société un peu meilleure.
- R. F.: On a besoin de chacun d’entre nous. Nous traverserons les crises en restant unis. C’est en quelque sorte la «missio Dei», le mandat confié par Dieu. Qui se fonde sur le commandement de l’amour.
- P. C.: Je doute qu’il existe un mandat précis de Dieu à chaque être humain, hormis le mandat d’utiliser notre liberté pour faire le bien.
- R. F.: Pour ma part, je me sens bel et bien mandatée pour diffuser le message de Dieu dans l’Evangile.
- P. C.: Existe-t-il un mandat de Dieu à chaque être humain? C’est une bonne question pour une prochaine fois. Pour l’heure, je préfère boire un café avec vous.

Par Werner De Schepper publié le 20 septembre 2022 - 08:40