Passer à confesse devant une caméra, c’est à la mode chez les stars, a fortiori femmes et bêtes de scène. L’idée, c’est de jouer la carte de la transparence pour faire entrer le commun des mortels dans un quotidien rythmé par les tournées, les essayages de robes et la solitude à payer dans sa chambre d’hôtel. Katy Perry, Lady Gaga ou Taylor Swift se sont récemment prêtées au jeu avec un résultat décevant, lisse et complaisant. Autant dire que l’idée du documentaire de Paris Hilton nous laissait dubitatifs. Mais voilà que This Is Paris (The Real Story of Paris Hilton), disponible depuis le 14 septembre sur la chaîne YouTube de la star (en anglais uniquement), s’avère bien plus intéressant qu’attendu.
Souvenez-vous: à l’orée du nouveau millénaire, une jeune fille à la blondeur peroxydée et à la voix haut perchée déboule des clubs branchés de Los Angeles sous l’œil ravi des paparazzis, toujours en quête de chair fraîche. Dans son sillage, une copine brunette pas encore refaite, Kim Kardashian. Paris Hilton a grandi dans un environnement privilégié, se sent la reine du monde. Elle n’a ni le temps, ni l’envie, ni le talent sans doute de se bâtir une carrière d’actrice ou de chanteuse. Ce qu’elle veut, c’est la célébrité, l’argent, maintenant.
En 2000, le magazine Vanity Fair consacre un long article à la miss de 19 ans et à sa sœur de 16 ans, Nicky, shootées, sommet du cool, par David LaChapelle. Dans le salon du grand-père, à la tête de l’empire hôtelier fondé par l’arrière-grand-père, une Paris très légèrement vêtue adresse un doigt d’honneur à l’objectif. Trois ans plus tard, chihuahua sur les talons, elle est la snob catapultée chez les ploucs dans l’émission de téléréalité The Simple Life. Dans la foulée, son ex-copain diffuse, contre son gré, une vidéo de leurs ébats intimes. Pour l’anecdote, deux ans plus tard, la notoriété de Kim Kardashian explosera grâce à une autre sex-tape.
A l’ère de #MeToo, la diffusion d’une vidéo intime vaudrait à l’homme l’opprobre général, estime aujourd’hui Paris Hilton d’une voix bien plus grave que celle que l’on lui connaît. Mais à l’époque, c’est elle qui est humiliée et moquée. Elle a alors 19 ans et est tombée folle amoureuse d’un type qui ne la respectait pas et voulait la dominer, un schéma qui se répétera à maintes reprises, violences à l’appui. Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’entre-temps, ulcéré par l’image qu’il estime salie de sa famille, son grand-père a légué la quasi-totalité de ses milliards à une fondation, laissant des miettes aux siens. Depuis, Paris a été largement éclipsée par le clan de Kim, lancé dans la téléréalité en 2007, et a fait des émules chez ses tantes maternelles, protagonistes de «The Real Housewives of Beverly Hills». Mais celle qui va gentiment sur ses 40 ans garde des fans fidèles et règne sur un empire de produits. On la suit lors d’une tournée promotionnelle en Asie – «Paris a inventé le selfie», se rengorge son digital manager –, travaillant d’arrache-pied pour continuer à rester influente, courant le monde pour promouvoir ses marques, passant des heures sur les réseaux sociaux pour poster des photos ornées de licornes et de cœurs. A la fois consciente du monstre qu’elle a créé et accro à ce qu’il a engendré. «Je ne m’arrêterai pas avant d’avoir gagné 1 milliard de dollars», confie-t-elle à sa sœur Nicky, avant de soupirer devant son dressing et les centaines de paires d’escarpins jamais portés.
«Nos parents sont les champions pour ce qui est de balayer les choses sous le tapis», glisse Nicky, épouse Rothschild et ton pète-sec. Le documentaire est l’occasion pour Paris de revenir sur son enfance dorée, où les siens la surnomment «star» et la rêvent en Grace Kelly. Elle-même préfère jouer avec ses animaux et traîner en jogging. Les circonstances sont privilégiées, mais les parents sévères et les attentes élevées. Les petites suivent des cours d’étiquette et vont dans une école catholique. Mais à l’adolescence, Paris s’encanaille en boîte de nuit. A 16 ans, elle est envoyée en internat, fugue, recommence. Jusqu’à cette nuit où deux inconnus l’arrachent littéralement de son lit. Elle passera onze mois à Provo Canyon School, établissement pour ados difficiles en Utah. Elle est droguée, battue, mise à l’isolement. Elle en sort majeure. Et traumatisée. Derrière son sourire lisse, les démons guettent. Ses nuits sont hantées par des rêves d’hommes qui viennent l’enlever. De là son acharnement à devenir quelqu’un, sans parvenir à grandir vraiment – «heureusement que tu as fait congeler tes ovules», assène Nicky lorsqu’elles évoquent les doutes de Paris sur la maternité – et à amasser une fortune qui garantira son indépendance. La suite, en tout cas sa façade dorée, on la connaît.
Le tournant et le but du film, ce sont les retrouvailles avec ses camarades de galère. Entre rires et larmes, elles partagent leurs souvenirs. «Quand tu disais dans The Simple Life que tu ne savais pas comment nettoyer ta chambre, quelle connerie! Alors qu’à Provo, on nous forçait à tout frotter à genoux!» grince l’une d’elles. Une scène surréaliste en dit long: alors que, submergée par l’émotion, elle se réfugie dans sa chambre, c’est pour mieux se confier à la caméra de la réalisatrice. Il n’empêche. Face à ses congénères, visiblement issues de milieux défavorisés, Paris tombe le masque. Le moment le plus pénible du film survient lorsque, doucement interrogée par sa fille, Kathy Hilton plonge son visage dans ses mains avant de jurer n’avoir rien su de ce qui attendait Paris dans l’établissement. La façade refuse de s’écrouler. Mais en livrant ses secrets, Paris Hilton réussit doublement, à aider les autres et à faire parler d’elle en bien. Le succès du film, déjà visionné plus de 3.5 millions de fois, et les avalanches de témoignages d’abus qui pleuvent sur les réseaux sociaux ressemblent bien à un formidable doigt d’honneur adressé à ceux qui l’ont blessée. Et, aussi, même si elle ne se l’avouera peut-être jamais, à ses propres parents.