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Orelsan : «Ma grand-mère a des origines suisses»

Le plus Helvète des rappeurs français rêve de Suisse romande où, avec le Lausannois Sébastian Strappazzon, son associé, il a développé sa marque de «streetwear». Rencontre à Saint-Saphorin avec un vrai créateur.

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Darrin Vanselow

Orelsan est relax en ce dimanche ensoleillé. A l’abri d’un parasol, à Saint-Saphorin, il se sent comme à la maison, face au lac et ce panorama de carte postale. L’auteur de Basique est dans le jardinet du Lausannois Sébastian Strappazzon, son pote et associé. Ils sont à l’origine de la marque de streetwear unisexe Avnier et rentrent de tournée après vingt dates, une succession de Zénith. «On repart pour les festivals d’été, trente concerts dont deux en Suisse romande, Festi’neuch le 14 juin, puis Paléo le 20 juillet.» Depuis la sortie de son dernier album en octobre 2017, Orelsan, rappeur et (presque) sans reproche, est devenu un artiste majeur.

En février dernier, Aurélien Cotentin, de son vrai nom, faisait main basse sur les Victoires de la musique. La fête est finie, son troisième opus, l’aspirait vers le haut. Devenu disque d’or – 50 000 exemplaires vendus en à peine trois jours –, il cartonne avec ses invités prestigieux: Maître Gims, Nekfeu, Dizzee Rascal et Stromae. Le soir du sacre, Orelsan raflait le titre de meilleur auteur masculin, meilleur album de musiques urbaines et meilleure création audiovisuelle pour Défaite de famille. Un clip dans lequel il incarne tous les membres, hommes et femmes confondus, présents à un repas familial tragicomique. Le soir de son couronnement, après un concert à l’Arena, il quittait Genève et ralliait Paris pour une arrivée sur le fil. Rappeur français, certes, mais une partie de lui est résolument suisse.

«Des fois, je le surprends à dire «nonante», s’amuse Sébastian Strappazzon. Orelsan acquiesce. «Je viens d’Alençon, dans l’Orne que l’on surnomme la Suisse normande, et je suis né un 1er août.» Pour écrire au calme, il s’est parfois réfugié à La Forclaz, en Valais. Et voilà qu’il a même du sang rouge à croix blanche. «J’ai des origines suisses du côté de ma grand-mère paternelle, son nom de jeune fille est Reichmuth!»

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Dans le clip «Défaite de famille», Orelsan incarne chacun des membres d’une famille caricaturale.

Cervin sur Paris

La marque Avnier, quant à elle, est franco-suisse. Elle a son siège à Lausanne. «On a imaginé reconstituer l’office du tourisme de Vevey à Paris afin d’y présenter nos nouveautés. Sur les nouvelles étiquettes, nous avons mélangé les drapeaux suisse et français», annoncent Orelsan et Sébastian en dévoilant leur dernier t-shirt: un Cervin barré du mot «Paris».
Made in Switzerland? «On fait tout fabriquer au Portugal, parfois à la main. On veut rester dans un truc sain, de bonne qualité, pas trop cher.» Le duo travaille sans relâche. «Il y a encore huit mois, Séb faisait les paquets avant de les expédier en ligne. Nous sommes distribués dans des boutiques triées sur le volet et vendus sur notre site.»

La marque se renforce. «Nous avons ouvert une antenne en France et engagé deux associés histoire de nous décharger.» En octobre, ils lanceront leurs premières baskets: «Une collab’ avec Salomon.»
Sébastian Strappazzon, plâtrier peintre de formation, rappeur à ses heures, ex-semi pro de BMX, avait déjà dessiné et lancé sa propre enseigne en Suisse, AliasOne. «J’envoyais des échantillons à la maison de disques d’Orel en espérant qu’il porterait mes créations. Il l’a fait, à la télé et sur les réseaux sociaux. On ne s’était pourtant jamais croisés.» Le rappeur en pince vraiment pour la Suisse romande. «La première fois que je suis venu jouer à Lausanne, c’était en 2009 aux Docks. On a sympathisé avec les gens, un public de ouf. Nous sommes sortis le soir et j’ai découvert cette ville pentue et cool.»

Orelsan fan de la Romandie

La rencontre avec Strappazzon s’est concrétisée après un concert au D! club. «On est devenus potes sur trois ans. Chaque fois que j’étais dans le coin, on s’appelait.»
Le rappeur aime le côté arty de la Romandie. «Sébastian connaît du monde à Vevey, Montreux, Lausanne et Genève. J’ai rencontré des gens de la HEAD (Haute Ecole d’art et de design Genève). Sabine, sa copine, est photographe, elle a fait l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne). Cet univers-là n’existe pas chez moi, en France.» Côté fringues, Orelsan ouvrait l’œil. «Je me suis dit: «Putain, les gens sont stylés ici!» Je pensais que c’était à cause de l’argent. En fait, il y a chez vous une véritable identité artistique globale assez belle.»

La marque Avnier née de cette amitié est la contraction du mot avant-dernier. «Un mix, comme en musique, entre ce qui a été – les années 90 – et ce qui est aujourd’hui. On croise les matières, des vêtements de travail avec des matériaux techniques.» Le logo agace la rétine. «Les gens lisent le mot Avenir et ça nous va aussi. C’est une création du graphiste lausannois Philippe Cuendet.»
Sébastian et Orelsan avancent sans préméditation. «On fait d’abord des fringues qui nous plaisent. On a envie de se faire kiffer sans études de marché, genre: «Qu’est-ce qu’un jeune?» Sur la tournée, Séb est aussi responsable du merchandising.

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Le Lausannois Sébastian Strappazzon et Orelsan dévoilent les dernières créations signées Avnier. «On aimerait reconstituer l’office du tourisme de Vevey à Paris pour les présenter.» Darrin Vanselow

Derrière son phrasé ensommeillé, Orelsan cache un créateur intuitif et malin. On aurait tort de le confondre avec son personnage de la minisérie TV Bloqués, ce branleur majuscule avachi sur un canapé au côté de Gringe, son complice au sein du groupe hip-hop Casseurs Flowters. Le binôme s’est distingué au cinéma, en 2015, dans le très réussi "Comment c’est loin".

Chemin faisant, l’image caricaturale du rappeur s’estompe. Elle avait été dopée par la polémique autour du titre controversé Sale pute. L’affaire était devenue politique, du FN à la gauche, elle avait alimenté un interminable feuilleton. Orelsan, fils d’instituteurs, était mis au coin pour ses paroles prises au premier degré, notamment par les mouvements de défense contre les violences conjugales, constitués contre lui en partie civile.

La chanson, sortie deux ans auparavant en vidéo, n’était jamais parue sur un album. Dans le clip, Orelsan est un sale type, trompé, aviné et misogyne. Il menace son ex avec violence, sans nuance. En réalité, le rappeur dénonçait à la fois l’individu et le propos. Las, le 31 mai 2013, il a été condamné en première instance à 1000 euros d’amende avec sursis pour injure et provocation à la violence à l’égard des femmes par le Tribunal correctionnel de Paris. Mais le 18 février 2016, la Cour d’appel de Versailles l’a relaxé.

Depuis, il traverse les talk-shows comme un bon gars, sensé et propre sur lui, enfin débarrassé du fardeau d’un malentendu. Il impose l’image d’un artiste grinçant, drôle et nuancé. On applaudit l’auteur, le rappeur, le réalisateur et le comédien «Je refuse beaucoup de propositions au cinéma. J’ai accepté le prochain film de Quentin Dupieux (Au poste!, avec Benoît Poelvoorde, ndlr) sans même lire le scénario. Je suis fan.»

Rappeur transgénérationnel

A 35 ans, Orelsan est mûr. «On dit qu’il faut une décennie pour installer une marque. Je fête pile dix ans de carrière. Même si je rappe depuis mes 15 ans, l’époque des premières cigarettes, des sorties et de l’alcool. Ma musique est devenue plus claire. Pour La fête est finie, j’ai simplifié le propos. Il y a du deuxième, du troisième degré et des sentiments (Paradis, dans laquelle il parle d’amour, ndlr). J’ai progressé.»

Il y met aussi une bonne dose d’autodérision, parle de lui comme d’une Bonne meuf. Il a troqué le choc frontal contre des perles plus rares, fussent-elles en verre pilé. Parmi ses punchlines, la plus crue cible les Le Pen. «Marion Maréchal me suit sur Twitter. J’aimerais la ba*ser, briser son petit cœur. J’ai envoyé ma b**e et un émoji fleur. Bonjour à papi, je suis pressé qu’il meure.»
En rappeur transgénérationnel, Orelsan capte l’air du temps, sa noirceur comme ses ambiguïtés. Le désenchantement des gamins en équilibre instable, ces jeunes qui se cherchent et s’empêchent. «J’ai essayé de faire un album en m’appuyant sur ce qui m’est arrivé dans la vie. Les gens de 45-50 ans ont des enfants de 15 ans; les deux générations comprennent ce que je raconte et ils me disent souvent qu’ils écoutent mes albums ensemble et en discutent.»

Ce fulgurant succès devait fatalement engendrer des responsabilités et des désagréments. «L’autre soir, on a voulu se balader au Cully Jazz. On y allait naïvement en se disant: «C’est jazz, on va croiser des personnes âgées, ils ne vont pas me reconnaître», rigole-t-il. A peine arrivés, même avec une casquette, on nous regardait et ça discutait. Ils sont super sympas quand ils t’abordent. Mais ce n’était pas une bonne idée. On est repartis.»

Orelsan n’aime pas la pression du vedettariat. «L’entourage est très important. Que ce soit Séb ou ma copine, avec laquelle je suis depuis huit ans. Si je fais un truc bizarre, ils vont le ressentir et ne vont pas se gêner pour me le dire. Quand tu passes un cap, il faut faire gaffe, ça peut te monter à la tête.» Pas de risque d’explosion en vol à la façon du DJ Avicii, mort à 28 ans: «J’ai percé à 26 ans, c’est assez tard, ça aide.»

Après un tour au bord du lac où les baigneurs le saluent et partagent un selfie, on grimpe dans les vignes. «J’aimerais bien posséder un pied-à-terre chez vous. Il faut connaître Bernard Nicod? Je vois son nom partout.»

Orelsan est observateur. «J’ai vu les prix des maisons, ça m’a calmé. Vu le niveau des fortunes ici, on relativise son succès.» De retour au jardin, Sébastian imagine le repas du soir. Et le côté suisse du rappeur reprend le dessus: «Ce soir, je suis chaud pour la raclette!» Encore un truc qui rime avec Helvète.

Par Dana Didier publié le 19 juin 2018 - 09:38, modifié 18 janvier 2021 - 20:59