A quelle bête sauvage comparer ce photographe animalier à tendance libertaire, qui accueille avec chaleur dans son ancien appartement horloger des hauts de La Chaux-de-Fonds, citant pêle-mêle les écologistes de la première heure René Dumont, Brice Lalonde, Nicolas Hulot?
A un ours d’abord, pour le côté solitaire et va-t-en-guerre. Chaque petit matin ou presque, l’homme s’embarque en nature avec son appareil photo: «Jean Ferrat disait qu’il ne faut pas guérir de son enfance. Moi, ma capacité d’émerveillement m’accompagne toujours, comme le cœur qui palpite au premier rendez-vous d’amour.» Ces jours de frimas, il guette les hermines et les bouquetins en rut. On pourrait aussi l’associer au chamois, son animal de prédilection: soutenu par Brigitte Bardot, il s’est engagé contre le plan de chasse du bovidé dans le Haut-Doubs et a exercé son œil de photographe avec lui. Mais, avec l’actualité qui colle aux basques d’Alain Prêtre, on préférera le sanglier, pour son caractère fonceur, son absence de diplomatie, sa mordache de rhinocéros avec tous les désagréments qui vont avec.
Ce sexagénaire jurassien au verbe haut ne cache pas le plaisir qu’il prend à l’affaire qui le concerne, à voir les articles défiler, à compter ses centaines de nouveaux abonnés et à souligner le soutien de personnalités comme Dominique Bourg, Allain Bougrain-Dubourg ou Raphaël Arlettaz. Il raconte presque avec délectation comment, un soir de novembre, deux policiers ont débarqué chez lui. «Il était 18 heures, on a sonné. J’ai ouvert, les gendarmes m’ont dit intervenir sur mandat dans le cadre d’une plainte en diffamation de la fédération neuchâteloise de chasse, pour saisir mon ordinateur.» Il réplique qu’il n’en est pas question. «Je n’avance pas masqué, je n’ai rien à cacher. Mes écrits ont été publiés sur Facebook ou envoyés à des dizaines de personnes. Tout est public, il n’y a rien à trouver.» Il comprend que, s’il refuse, du renfort viendra. Il cède, tout en interdisant de prendre l’appareil de sa femme. Lui qui a tendance à monter les tours se contient comme il peut, se contentant, car il a de l’humour, d’un: «Que voulez-vous encore, le frigo?»
Ce qu’on lui reproche, de son point de vue, tient aux seuls vifs échanges qu’il a eus sur Facebook avant la votation de fin septembre sur la révision de la loi sur la chasse. Virulent, il a alors traité les chasseurs de «tueurs», de «meurtriers». Il l’assume. «Quelqu’un qui vole, c’est un voleur. Quelqu’un qui viole, c’est un violeur. Quelqu’un qui tue, c’est un tueur, et là avec préméditation. Mais je n’ai nommé personne.»
Le procureur Nicolas Feuz (voir ci-dessous) et les chasseurs ne disent pas pareil. Pour le président de ces derniers, Jean-François Sunier, qui veut corriger le tir, «la réalité n’est pas celle présentée; notre fédération et moi avons saisi la justice suite à des propos orduriers, visiblement mal assumés, et non contre des publications sur Facebook. La procédure est en cours et nous avons totale confiance dans le Ministère public.» Alain Prêtre, lui, affirme qu’il n’y a rien de plus dans ce dossier, qu’il est «très maigre».
Cette flamme qui l’anime, c’est sa force et sa faiblesse. Difficile pour lui de discerner les bornes à ne pas franchir. Vite volcanique, il a été condamné plusieurs fois pour atteinte à l’honneur. «J’ai un côté provocateur, je sais. La loi est faite pour être transgressée, surtout au nom de l’intérêt supérieur de la nature. Ma lutte porte contre tout le spectre des agressions qu’elle subit. La chasse en est une.» A ses yeux, rien ne justifie un acte de chasse en 2020, même pas pour réguler la faune, «un argument que les chasseurs ont inventé dès qu’ils ont compris que la population leur était majoritairement hostile. Leur amour de la nature, c’est du baratin. On n’aime pas la nature à coups de fusil. Moi, c’est un amour gratuit que je lui porte.» Extrémiste? «Si ça l’est, de voler au secours de la nature, j’accepte volontiers le qualificatif.»
Cette ardeur vient d’un livre fondateur, lu jeune: Avant que la nature meure, de Jean Dorst. Et d’une enfance passée dans une petite vallée de Franche-Comté, aux côtés d’un père bûcheron, avec pour seul loisir d’aller à la rencontre de la nature. Il est pourtant mordu de pêche: le jour de sa communion solennelle, il prend une raclée mémorable pour être allé pêcher, vêtu de son aube, alors qu’une quarantaine d’invités l’attendent. La même rivière l’attriste aujourd’hui: «C’est devenu un cimetière à cause des pesticides, alors que c’était un aquarium.»
La Chaux-de-Fonds, il y emménage au début des années 2000, par amour, après un crochet à Lausanne. «J’avais l’ennui de mon Jura.» Il travaille pour divers magazines et quotidiens, au gré de son caractère ombrageux, avec des hauts et des bas. Enrage quand il voit la nature touchée. Les oiseaux tariers des prés qui disparaissent, les tétras-lyres encore chassés, le Creux-du-Van déserté par les espèces, les chamois ou les renards stressés en période de chasse. «Continuer de chasser le lagopède ou le lièvre variable en Suisse est un pur scandale. Si les chasseurs avaient montré un peu de bonne volonté en y renonçant, la révision aurait passé.»
Puis il se calme en pensant à quelques moments fabuleux sur le terrain. Cette hermine qui s’est glissée sous sa tente, cet écureuil qui a sauté sur ses genoux, ses photos prises «sans déranger les espèces, alors que les animaux vaquaient librement à leurs occupations». Il redevient rhinocéros: «Au fond, je remercie infiniment les chasseurs. Pour moi, cette plainte est un aveu de faiblesse de la part de leur président, qui a refusé de débattre publiquement avec moi. Elle relève d’un procès idéologique; il n’a pas d’arguments scientifiquement étayés à opposer à ma condamnation de la chasse. Ils ont fait une erreur, d’autant qu’ils me connaissent. Ils savent que je ne vais pas me laisser abattre, que je ne regretterai rien.»
«Pas la première condamnation»
Le procureur du canton de Neuchâtel, Nicolas Feuz, explique le cadre dans lequel il intervient concernant l'affaire entre les chasseurs et le photographe Alain Prêtre.
«Contrairement à ce qu’a déclaré le prévenu, les reproches que lui adresse la partie plaignante ne se limitent pas à des publications Facebook, mais concernent essentiellement des e-mails dont il était impossible d’identifier l’étendue de la distribution sur la seule base de la plainte et de ses annexes. Dans ce genre d’enquête (éventuelle diffamation ou calomnie par voie informatique), il n’est pas seulement important de pouvoir apprécier juridiquement le texte incriminé, mais également d’identifier le cercle (élargi ou non) des personnes ayant reçu ledit texte, afin de pouvoir mesurer l’ampleur de l’éventuelle atteinte à l’honneur. C’est dans ce but qu’une perquisition du matériel informatique a été ordonnée.
Le but de prévention générale n’a strictement rien à voir avec le débat de fond opposant le prévenu et la partie plaignante. Il n’appartient pas au Ministère public de se positionner politiquement dans un débat entre chasseurs et opposants. En revanche, il n’est pas totalement inutile que le public sache à quels désagréments s’attendre en cas de potentielles infractions commises par voie informatique. C’est d’autant plus vrai quand un prévenu n’en est pas à sa première condamnation pour des infractions du même genre.»
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