Odyssée dans le Grand Nord

«Il est temps de prendre la mer», lit-on sur un poster affiché dans son salon. Ulysse Loup, bassiste et compositeur genevois, a embarqué cet été sur le Knut, voilier de l’association MaréMotrice qui l’a emmené en résidence artistique au Groenland. Le musicien de 27 ans nous confie que les voyages sont une grande source d’inspiration. «On me dit souvent que je pourrais être à la maison et faire la même chose; que composer, finalement, c’est simplement se mettre derrière une feuille ou un ordinateur pour aligner des notes.» Déjà détenteur d’un master en composition, le jeune homme termine un master en performance à la Haute Ecole des arts de Berne. «Si je fais ces résidences, c’est pour avoir quelque chose à dire. Mes compositions sont une manière de raconter ce que j’ai vécu.»

Coup de cœur pour la basse

Ulysse Loup découvre la basse à l’Espace de pratique instrumentale, à Carouge (GE), dans son enfance. «Le but de l’atelier était de découvrir plusieurs instruments, mais j’ai pris la basse et je n’ai plus voulu la lâcher. C’était un coup de cœur, je n’ai jamais changé d’instrument depuis.» Il est aujourd’hui bassiste et compositeur dans différents groupes formés avec ses camarades d’études. Les deux derniers albums qu’il a composés sont inspirés de voyages. «Dualité cohérente», du groupe Noblique, est le résultat d’une résidence au cœur de la forêt estonienne. «Apilaptok», enregistré avec le groupe Allure, trouve quant à lui son origine dans un précédent voyage au Groenland.

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Pour cette nouvelle expédition, le musicien se concentre sur les sons du bateau dans cet environnement particulier, notamment dans le «brash ice», ces bancs de glaçons à la dérive. «Dans certains endroits, l’océan est plein de petits blocs de glace que la coque touche en avançant. Ça crée un bruit caractéristique, explique-t-il en imitant le son d’un claquement de langue. J’ai aussi enregistré le bruit d’un iceberg qui se brise. C’est un son très fort, qui ressemble à un coup de feu.»

«La glace est une autre dimension»

S’il en parle aussi passionnément, c’est qu’Ulysse baigne dans le milieu depuis son enfance. Il vit sa première expédition à l’âge de 10 ans. Il passe alors quatorze mois en mer. Départ de l’île d’Oléron, en route vers Madère et les Canaries, puis le Cap-Vert, une première traversée de l’Atlantique jusqu’aux Caraïbes, une visite de la Guadeloupe et de la Martinique, et enfin la deuxième traversée de l’océan pour un retour par les Açores et le détroit de Gibraltar avant de lâcher l’ancre à Sète. «C’était un rêve de mon beau-père: partir en voilier avec ma mère et moi. C’était une magnifique aventure pour moi, enfant, de découvrir tout ça. J’ai gardé une espèce d’empreinte et je ressentais le besoin de repartir.» Il assouvit ce besoin en 2018, à tout juste 20 ans, avec son premier voyage dans le Grand Nord, pendant une semaine, déjà à bord du Knut.

Ce voilier de 15 mètres appartient à l’association MaréMotrice, créée par Benjamin Ruffieux et Mélina Repond en 2015. Ces deux passionnés de voile ont écumé les océans pendant sept ans, avant d’y emmener d’autres artistes. «On a beaucoup navigué en Patagonie et on y a pris goût pour les pôles, sourit Benjamin Ruffieux, skipper principal du Knut et photographe. Ces régions ne sont accessibles qu’en bateau, on doit s’adapter au vent, au soleil, à la température. On n’a pas les attentes d’un touriste qui veut voir ci ou ça, et il y a parfois de belles surprises. Quand on est bloqué par la météo et forcé de rester dans un endroit, on rencontre des gens et on découvre des choses.» Après les mers du sud, le couple s’est dirigé vers les mers du nord. «On a découvert la glace… C’est une autre dimension!»

«Découvrir le Groenland, c’est aussi découvrir le froid», confirme Ulysse Loup en riant. «En navigation, tout peut influer sur notre état, et le froid est très pénible. Rien que pour s’habiller, ça prend au moins quinze minutes», lâche le musicien dont le matériel doit aussi être adapté pour des enregistrements dans des températures négatives. «Ce qui pose problème, c’est l’interface audio, car les batteries sont très sensibles au froid. Par exemple, un portable au Groenland à -20°C, il tient au mieux trente minutes.» Dans cette résidence d’été, les températures sont plus clémentes. «On a eu une chance incroyable, presque que du beau temps, beaucoup de soleil. Il y a juste eu un jour où on a dû trouver notre chemin à l’oreille à travers le brouillard.»

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Entre art, voile et écologie

MaréMotrice, ce n’est pas seulement l’envie de partager un environnement méconnu avec divers artistes lors de résidences. L’association accorde une place à l’écologie, avec son voilier à moteur électrique. Ecologie qui est au cœur du travail d’Oceaneye, l’ONG fondée par Pascal Hagmann, le beau-père d’Ulysse. «Mon beau-père équipe des bateaux avec un Manta Trawl. Ce sont de petits filets qui se fixent à l’arrière de la coque et qui filtrent l’eau, pour ensuite analyser la présence de microplastiques.» Grâce à ces données, l’ONG cartographie les mers qui sont les plus polluées par le plastique. «Benjamin était équipé de ce filet. C’est mon beau-père qui nous a mis en contact.»

Pour son deuxième voyage au Groenland, du 30 juillet au 20 août entre Ilulissat et Nuuk, le musicien a postulé en se construisant un solide dossier. «Le critère artistique est bien sûr très important, mais il faut aussi être conscient du côté humain de l’aventure, explique Benjamin Ruffieux par rapport au choix des quatre ou cinq personnes qui sont retenues pour les résidences. Il faut que l’artiste soit agréable à vivre avant tout!» Le ton est celui de la plaisanterie, même s’il souligne l’importance de l’engagement dont chacun doit faire preuve lors de telles expéditions.

Ulysse Loup, qui a terminé son permis hauturier (permis de naviguer en haute mer) durant le voyage, s’engage pleinement dans l’aventure. L’un des avantages qu’il y voit est la pluralité d’arts représentés sur le voilier. Habitué à composer pour des projets divers, à l’image de la pièce musicale présentée le 5 septembre dernier au Musikfestival Bern en collaboration avec Ludmilla Mercier, il accorde une grande importance à «la communication entre les arts, qui permet d’ouvrir le champ des possibles». Lors de cette résidence, trois artistes françaises étaient à ses côtés: la sérigraphe Claire Astigarraga, la peintre et graveuse Alaïs Raslain, ainsi que Clothilde Gosset, artiste travaillant le bois. «C’est intéressant de partir avec des artistes visuelles qui ont une tout autre vision du monde que moi.»