- Comment le numérique peut-il être un accélérateur de la transition écologique?
- Sébastien Kulling: Je suis totalement convaincu que la technologie va nous permettre d’affronter la crise écologique. Le numérique permet une meilleure utilisation des ressources. Une meilleure adéquation entre produits et besoins. Les exemples pullulent.
- En quoi est-ce un atout?
- L’exemple du gaspillage alimentaire est assez parlant: il y a trop de production et donc trop de produits qui périment. L’idée serait d’optimiser l’entier de la chaîne alimentaire de manière proactive pour que la production soit en ligne directe avec les besoins du consommateur, afin de ne pas produire plus que ce qui va réellement être utilisé.
- Est-ce le but de ce qu’on appelle aujourd’hui les «smartcities»?
- Le concept des «smartcities» est très vaste mais, là aussi, le but est effectivement de mettre en adéquation les besoins avec la demande. Par exemple, il n’est pas forcément nécessaire pour une commune de faire deux ramassages de poubelles par semaine en plein été alors qu’une grande partie de la population est en vacances.
- Cela repose donc sur l’échange de données?
- Oui. C’est la même chose pour l’économie de partage. Aujourd’hui, 90% des objets que l’on possède ne sont utilisés que 10% du temps. Un exemple: avec une perceuse, vous faites peut-être deux trous par an. Le reste du temps, elle est à la cave. Mais devinez quoi? Votre voisin de palier fait exactement la même chose! Une seule perceuse pourrait donc servir à un quartier, il suffirait de la mettre à disposition et d’utiliser le digital pour mettre les différentes parties en contact. Vous auriez moins de production, moins de déchets et moins de matière première utilisée. Produisons moins et utilisons mieux, c’est ça l’idée.
- Mais cette numérisation est elle-même productrice de déchets, non?
- Elle n’est pas particulièrement productrice de déchets, mais plutôt gourmande en énergie. On estime que les datacenters utilisent aujourd’hui environ 5% de l’énergie mondiale et que ce chiffre montera à plus de 15% dans les dix prochaines années. C’est pourquoi un défi a été lancé par quelques membres de Digitalswitzerland afin de mettre sur pied des «datacenters verts» dont l’énergie utilisée pour les faire fonctionner permettrait aussi de les refroidir sans avoir besoin d’énergie complémentaire et assurer ainsi une réduction de la consommation électrique de 30%.
- Quelle est votre réponse aux innovations technologiques incessantes qui poussent le consommateur à acheter un nouveau téléphone tous les ans?
- C’est ce qu’on appelle l’obsolescence programmée et il faut absolument pouvoir lutter contre. Il est ici intéressant de parler d’économie circulaire, c’est-à-dire le fait de réutiliser un produit sans avoir besoin de le détruire, mais en le mettant à jour et en maintenant un certain niveau de qualité. Car l’énergie et les matières premières qu’il a fallu pour le produire ont toujours de la valeur.
- Mais les grandes entreprises y trouveraient-elles un intérêt?
- Si une guerre sur les matières premières éclate, leur prix s’envolera. Les grands fabricants auront alors beaucoup de mal à produire et un rééquilibrage naturel aura lieu. En tant que grande entreprise, vous avez tout intérêt à maximiser les ressources que vous avez déjà plutôt que d’aller en chercher d’autres qui coûtent très cher. Ce rééquilibrage peut être mis en place grâce à des législations qui faciliteraient ou encourageraient la récupération et l’utilisation des produits électroniques dans un mode circulaire.
- Vous êtes donc partisan de mesures législatives allant dans ce sens?
- Oui, c’est précisément pour cette raison que je me présente au Conseil national cet automne. Il me semble essentiel d’accompagner notre transition numérique par des lois qui, d’une part, incitent les citoyens à mieux gérer nos ressources naturelles et, d’autre part, les responsabilisent. Nous avons tous intérêt à garantir une gestion à long terme de notre planète.
- Quelle est la situation en Suisse? Une économie circulaire pourrait-elle être mise en place?
- La Suisse, comme le reste de l’Europe, utilise en une année 3,1 fois ce que la planète offre en termes de ressources par an. Nous avons les moyens d’acheter des ressources venant du monde entier et notre pouvoir d’achat est assez élevé. Ce qui fait que nous ne sommes pas assez regardants. L’éducation est donc essentielle: nous devons apprendre à valoriser jusqu’au bout un objet qui semble ne plus être au goût du jour, ou lui redonner de la valeur. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas neuf qu’il n’a pas de valeur.
- Et là, le numérique peut s’avérer déterminant?
- Il nous permet d’être très précis. En Suisse, nous jetons près de 30% de nourriture. Nous pouvons tout à fait imaginer une application qui pourrait nous dire quelle est l’empreinte CO2 d’un produit, si c’est la bonne saison pour l’acheter. Cela nous permettrait d’améliorer l’efficacité globale de notre chaîne alimentaire et d’éviter des aberrations comme le fait de vendre des fraises en hiver. C’est ce que l’on appelle l’innovation vertueuse. Chaque citoyen peut, en comprenant le système, prendre des décisions plus responsables. Mais il reste encore beaucoup à faire.
- D’où viendra l’impulsion du changement?
- Elle est notre responsabilité à tous, médias, politiciens, société civile. Nous devons tous nous mettre autour d’une table, collaborer et, surtout, tirer à la même corde. Avant, l’information était verticale. La numérisation a rendu l’information horizontale, elle est disponible pour tous, fournie par tous. Et elle nous oblige à être plus précis et plus transparent, car elle peut être remise en question par des tiers. On le voit encore peu mais je pense réellement que la numérisation est une source de plus grande démocratie.
- Une plus grande démocratie qui pourrait in fine faciliter la transition écologique?
- Oui, car il y a une démocratisation des prises de décision. Cela peut ne pas plaire mais c’est un fait. Avant, les grands groupes pétroliers pouvaient décider sans problème d’extraire du pétrole au milieu de la mer du Nord. Cela ne serait plus possible aujourd’hui car des ONG comme Greenpeace ont le pouvoir d’organiser un boycott qui peut arriver à l’autre bout de la planète en quelques heures. Cela grâce à l’information en direct, qui est vérifiable et vient de différentes sources. Les grands groupes sont obligés de prendre cela en compte. Et, en tant que citoyen, vous avez accès à des informations venant de tous les pays et il est donc plus facile de mesurer l’impact du réchauffement climatique au niveau planétaire. Ce haut niveau d’information donne à chacun plus de crédibilité et de force pour agir.
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