Alors qu’il nous accueille de manière chaleureuse, on perçoit que Nuit Incolore est nimbé d’une aura qui, elle, contrairement à son nom de scène, se décline en une palette de pastels. A 22 ans, le Valaisan détonne par rapport aux gens de son âge. Il passe ses soirées à composer. A l’image d’un papillon de nuit sensible aux ultrasons, l’artiste voltige entre les notes, de préférence de 22 heures à 4 heures du matin. Et comme le symbole de la métamorphose qu’il incarne, le musicien se laisse emporter par son instinct. Un flair artistique qui l’a propulsé en quelques semaines parmi les personnalités incandescentes de la chanson française.
Aux côtés de grands noms comme Juliette Armanet, Slimane, Kendji Girac et Florent Pagny, Nuit Incolore s’est produit à la mi-juin devant près de 2,5 millions de téléspectateurs hypnotisés par l’émission «La chanson de l’année 2023». Même s’il n’a pas remporté la palme musicale, le chanteur «qui a rejoint la lumière» – petite référence à son titre «Dépassé», qui cumule plus de 21 millions d’écoutes sur Spotify – est apaisé après ce flux d’adrénaline. «Ça m’a suffi d’être sur cette scène et de représenter les artistes suisses, alors qu’on est parfois oubliés dans le paysage musical francophone. C’est ça, ma victoire!» savoure-t-il de retour à la maison, à Fully (VS), avant de se plonger dans ses nouvelles compositions.
Les cimes, son refuge
C’est au milieu des vignes, entouré des montagnes, que Théo Marclay, de son vrai nom, se sent le plus inspiré. Dès qu’il en a l’occasion, il se réfugie pour écrire des chansons dans le chalet de son grand-père aux Mayens de Bruson, dans le val de Bagnes. Mais à l’automne, c’est direction la grande ville. «Dès le mois de septembre, je m’installe en périphérie de Paris, même si je me sens vraiment bien ici, dans la nature, à observer les étoiles. J’aurais aimé rester dans mon canton, mais je passe ma vie dans le train, alors c’est plus simple de me rapprocher de mon lieu de travail.»
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C’est après avoir posté des vidéos sur TikTok, où il a aujourd’hui plus de 350 000 abonnés, que le chanteur a été repéré par le label Cinq7, qui a notamment signé des artistes comme Pierre de Maere, révélation aux Victoire de la musique 2023, ou Philippe Katerine. «Je suis quelqu’un de plutôt timide. Ce qui m’arrive est surréel! On peut vite s’envoler et se perdre dans ce milieu alors, personnellement, je ne suis pas à la course aux succès, ni aux likes», précise celui qui souhaite garder la mainmise sur son art. «Ça me tient à cœur de gérer, à ce stade en tout cas, tous les aspects autour de ma carrière pour rester le plus authentique possible», explique-t-il humblement.
De nature discrète, le Romand était le premier surpris devant l’engouement suscité par son EP «Insomnia», sorti en avril dernier. Inspiré par des sommités comme Charles Aznavour, Nuit Incolore cherche dans ses morceaux à exorciser ses fantômes tout en insufflant une touche de littérature. «J’ai toujours eu beaucoup d’estime pour mes profs de français. C’est important pour moi d’écrire des textes qui pourraient être analysés en classe», raconte-t-il en parlant de son attrait pour la poésie. Alors, quand le public entonne ses mots lors de ses concerts, ça le touche tout particulièrement. «J’essaie de ne pas me caler aux tendances. Pour la musique, j’évite les quatre accords magiques, ou alors je les détourne.»
Les mélodies nocturnes ou diurnes ont toujours accompagné Théo. Il faut dire que ses parents gèrent un magasin d’instruments de musique à Martigny. C’est donc tout naturellement qu’il a commencé le piano. Puis vient le conservatoire, suivi d’une inscription en musicologie à l’Université de Fribourg. Son ADN pop gothique s’est façonné petit à petit, puisant dans les références des mangas ou des films de Hitchcock, qu’ils l’ont toujours fasciné. «Je n’oublierai jamais la sensation d’avoir découvert l’effet Vertigo dans «Sueurs froides», se souvient-il. Des éléments autobiographiques nourrissent aussi ses titres. D’origine vietnamienne, Théo Marclay porte en lui une double culture qu’il souhaite mettre en lumière. «J’invite les gens à écouter mes chansons pour mieux me connaître», répond-il quand on aborde des questions autour de son identité et de son adoption.
Il se dégage de Nuit Incolore une énergie énigmatique que ce passeur de sons transmet à son public, dont l’admiration est encore «toute fraîche». Il faut dire que sa carrière a explosé il y a trois mois seulement. «J’aime bien passer du temps avec les fans à la fin de mes concerts, car je ne sais pas si j’aurai l’opportunité de les revoir, alors c’est important de les remercier. Je tente aussi de répondre à tout le monde sur les réseaux, mais ça commence à devenir compliqué», sourit-il. Conscient de l’aspect parfois éphémère des success-stories dans son industrie, le musicien sait qu’il peut reprendre ses études, qu’il a pour l’instant mises entre parenthèses. «Un jour, je deviendrai prof de musique pour transmettre ma passion.»
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Mais revenons au présent. Le Fulliérain a de beaux projets en perspective. Alors qu’il vient de finir une tournée en France avec le NRJ Music Tour, il chantera le mercredi 5 juillet au bord des quais lors du Montreux Jazz Festival. «Me produire dans cet événement, c’est une consécration! Je m’en réjouis particulièrement, plus que pour d’autres dates.» Le 30 avril 2024, place au Casino de Paris. Et la suite? A demi-mot, l’auteur-compositeur glisse qu’il planche sur «un futur grand projet». Comprenez un album de ses confessions nocturnes. Se consacrer à sa musique est un rêve éveillé pour Nuit Incolore. Mais alors, à quoi songe-t-il quand il ferme les yeux au petit matin? «Je m’imagine sur scène accompagné d’un orchestre symphonique. Quelle sensation indescriptible!» sourit-il, des étoiles dans les yeux.