Dans sa lointaine Ukraine, Andriy Pavelko, 42 ans, paraît comme imperméable à l’agitation qui l’entoure. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Comme si le scandale du prêt de l’UEFA de 4 millions d’euros en novembre 2016 destiné en grande partie à des fins personnelles, révélé par L’illustré le 8 août dernier, ne le concernait pas. Cet argent avait quitté officiellement les bords du Léman pour promouvoir des projets de jeunes footballeurs du pays en devenir, avant d’être engagé dans la construction d’une usine de gazon artificiel. Mais désormais, l’étau se resserre. La justice des pays où sont domiciliés les fournisseurs de la Fédération de football d’Ukraine est alertée et mise sous pression. En Allemagne, Rob Venneker, patron des ventes de la société Polytan GmbH, basée à Burgheim, spécialisée dans le gazon synthétique, pourrait passer un mauvais quart d’heure: pour que Pavelko puisse détourner une partie des fonds de l’UEFA, il était indispensable que le fournisseur accepte d’entrer dans le scénario bien huilé de l’Ukrainien. Par une astuce finalement assez simple: la manne tombée du ciel vaudois était détournée, officiellement pour la construction d’une usine de gazon artificiel, mais l’argent versé pour payer Polytan transitait via une société basée aux Emirats arabes unis! Une société dont Venneker deviendra tout naturellement lui-même actionnaire majoritaire, une combine qui permettait aux deux hommes de détourner environ 20% des montants perçus en commissions, amassant grâce à cette astuce plusieurs millions de dollars.
L’ouverture d’une enquête pour «gestion déloyale» par la justice bavaroise, le 12 novembre dernier devant le parquet d’Ingolstadt, devrait permettre de mettre au jour les rouages de ces constructions financières artificielles visant à frauder le fisc et à détourner de l’argent par des écrans de fumée. La défense imaginée par l’insatiable Pavelko? Répondant à des questions d’un journaliste anglais qui s’étonnait de l’omniprésence de sa société offshore des Emirats arabes unis dans toutes les importations effectuées par sa fédération, l’Ukrainien a imaginé la parade sans se démonter: ce serait la société Polytan qui aurait posé cette condition…
Comme s’il n’attachait aucune importance à l’agitation qui règne autour de lui, le tout-puissant Andriy Pavelko semble imperméable également à la dénonciation lancée à son encontre par l’un des vice-présidents de la Fédération de football d’Ukraine devant le Ministère public de la Confédération à Berne, le 28 novembre dernier. Bravant les risques qu’un tel comportement pouvait impliquer, le courageux vice-président avait d’abord tenté en interne de faire cesser la corruption, avant de comprendre que Pavelko avait complètement verrouillé la fédération et que seule une dénonciation à l’étranger pouvait avoir un avenir. Il a désormais été contraint à la démission. Comme il nous l’a confirmé par téléphone, il vit désormais constamment dans la crainte de représailles de tout ordre: «Pavelko et ses hommes sont prêts à tout pour écarter un témoin gênant, je dois absolument rester sur mes gardes et je ne peux pas compter sur une protection de la police, car elle est infiltrée. Vous feriez bien de faire attention vous aussi...»
C’est dans ce climat nauséeux que l’imperturbable Andriy Pavelko, avec un aplomb inébranlable, vient de déposer le plus naturellement du monde sa candidature pour rejoindre le comité exécutif de l’UEFA, à Nyon! Histoire d’asseoir toujours plus sa position d’intouchable et de grand manitou du football ukrainien. Il faut dire que cet homme habile a déjà un pied en Suisse: rappelons sa présence dans la société UEFA Events SA basée à Nyon, qui a pour mission «la gestion de projets dans le domaine du marketing» destinés «à promouvoir le football en Europe». Sa candidature s’inscrit donc naturellement dans ce sillage, alors même que son mandat de parlementaire ukrainien le lui interdit, selon la loi de son pays.
Protégé par son immunité de député, il mène un train de vie d’oligarque en toute impunité. Tout cela au moment même où des médias ukrainiens viennent de mettre en lumière également ces derniers jours son quotidien fastueux à Kiev, incompatible avec ses gains annuels déclarés – officiellement de 8930 dollars par mois. Il aurait ainsi dépensé plus de 750 000 dollars au cours des deux dernières années, y compris la location d’un appartement à 17 000 dollars par mois, sans révéler ces montants dans sa déclaration de patrimoine. Et sans compter non plus, toujours selon la presse ukrainienne, la magnifique Bentley dernier modèle appartenant à sa partenaire, Yekaterina Chaus, officiellement au chômage, et des bijoux Van Cleef pour plus de 2 millions de dollars…
Enquête interne
Un dossier accablant qui grossit à vue d’œil mais ne semble guère perturber non plus le président de l’UEFA, le Slovène Aleksander Ceferin, 50 ans, qui avait succédé en 2016 à Michel Platini en promettant de militer sans relâche contre la corruption et pour le renforcement du fair-play financier. A la suite des révélations de L’illustré, il avait ordonné une enquête interne au sein de son organisation, sans qu’on en connaisse les résultats – la transparence ne semble toujours pas à l’ordre du jour à la tête du football européen. «Nous travaillons en étroite collaboration avec Aleksander Ceferin depuis le début de sa présidence, l’Ukraine est un proche allié du président de l’UEFA», claironnait Andriy Pavelko dans la presse ukrainienne l’an passé.
Pour une fois, il ne mentait pas: il apparaît aujourd’hui dans les documents que nous avons pu consulter que le cabinet d’avocat ukrainien qui s’est occupé d’accompagner juridiquement tous les contrats du prêt de 4 millions d’euros de l’UEFA, Morris Group à Kiev, a comme partenaire exclusif en Slovénie le propre cabinet d’avocats… d’Aleksander Ceferin, ouvert en 1993 à Grosuplje, dans la banlieue de Ljubljana! Où l’UEFA place-t-elle donc ses propres garde-fous?
«Je ne suis la marionnette de personne. Hormis peut-être celle de mes enfants», aimait à répéter Aleksander Ceferin au moment de son élection à la tête de l’UEFA. Pour cet homme au regard bleu acier, qui a traversé cinq fois le Sahara, quatre fois en voiture et une fois à moto, il ne reste plus à espérer pour lui que Pavelko se révélera rapidement n’être rien d’autre qu’un mirage qu’il aura rapidement envie d’oublier s’il n’entend pas finir seul au milieu des sables mouvants.