Au début de la pandémie, le digital s’est avéré être une stratégie efficace pour faire face à la crise au niveau des contraintes tant professionnelles que sociales. Mais avec le temps, un usage intensif des écrans et le mélange entre vie privée, divertissements et travail que ces outils favorisent peuvent avoir des effets néfastes sur l’attention et sur la qualité de nos relations sociales. Selon Yasser Khazaal, professeur à l’Université de Lausanne et spécialiste des addictions, nous sommes malheureusement mal équipés pour faire face à cette surstimulation digitale. Explications.
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- Les outils digitaux nous ont aidés à faire face à la crise. En quoi leur utilisation intensive peut-elle toutefois poser problème?
- Yasser Khazaal: Avec le temps, la banalisation de leur utilisation peut conduire à un mélange des différents environnements de vie. Dans ce que nous avons appelé la première vague, il y a eu une forme de solidarité. On s’est dit qu’on allait surmonter cette épreuve ensemble. Au travail, les réunions ont été limitées. Les gens ont eu l’impression de se concentrer sur l’essentiel. Dans la durée, les choses se sont compliquées. Les interfaces digitales sont devenues l’habitude et la routine. La charge de travail est, pour une partie des personnes, revenue à la normale, voire s’est amplifiée à cause de la facilité d’utilisation de ces outils. C’est là que les problèmes peuvent survenir. Tous les environnements se mélangent dans le numérique. L’exemple le plus marquant, à moins de le paramétrer pour éviter cela, est Facebook. Le ludique, le social, le travail: tout est activé en même temps. Il n’y a plus de différences entre les environnements privés, de loisirs et de travail. Les segmenter demande une énergie folle.
- Le risque, c’est aussi de papillonner d’un écran à l’autre sans plus réussir à se concentrer?
- Oui. Les stimulations incessantes interfèrent dans les actions qu’on est en train de mener et nous empêchent de les terminer. Certaines personnes vont être sans cesse dans le switch, dans le changement. Il y a une excitation de base liée au switch, même hors pandémie. Cela se voit sur la peau. La conductance cutanée, soit l’activité électrique à la surface de la peau, augmente avant de changer d’écran et au moment du clic. Cette excitation est médiée par les contenus: plus ils sont chargés émotionnellement, plus cette sensation va être forte. Cette satisfaction que provoque le switch a un effet entraînant qui va nous inciter à interrompre nos actions en cours et à nous installer dans ce besoin de changement permanent. Cette surstimulation peut nuire à la qualité de l’attention. Un peu comme si vous gardiez vos notifications allumées lorsque vous êtes à une conférence: il devient plus difficile de suivre le propos de l’orateur.
- La qualité des relations sociales n’est pas la même sur les réseaux qu’en «direct». C’est un autre problème?
- Le digital permet de garder le contact avec les proches et les collègues durant la pandémie. La dimension physique, le toucher, une partie des interactions non verbales manquent cependant. «Etre» avec quelqu’un physiquement apporte en soi quelque chose à la relation sociale. Cette absence de contact physique s’ajoute à la diminution de l’accès aux autres ressources naturelles que sont les loisirs et les autres plaisirs auxquels on a habituellement accès pour vivre «normalement». Pour certains, ce manque de diversité des sources de satisfaction peut devenir problématique.
- Quelques conseils pour gérer une surstimulation digitale:
– Le digital doit rester au service de nos besoins.
– Maintenir une diversité des intérêts et des sources de satisfaction (digitale et non digitale).
– Utiliser les ressources digitales pour décider du contrôle de votre usage (par exemple, désactiver les notifications, utiliser le mode avion, utiliser le contrôle du temps d’écran, désactiver une publication…).
– Dans le cas d’un échange tendu, songer à un autre mode de communication, qui donne plus de chances de s’entendre.
– Préserver les différentes sphères d’intimité (maison, travail, famille, amour…).