Cinquante-six mois ont passé depuis l’étrange nuit du 15 au 16 avril 2019, depuis ces heures où la France et le monde abasourdis se sont soudain tournés vers l’île de la Cité, à Paris, et la vieille demoiselle qu’on croyait éternelle et qui s’embrasait. La cathédrale Notre-Dame («Notre-Drame», titra alors le quotidien «Libération», sublime) brûlait à n’en plus finir et ses éléments les plus emblématiques disparaissaient: la flèche, les toitures de la nef, du chœur et du transept, la charpente d’une incroyable complexité, appelée «la forêt».
L’auguste édifice gothique, monument historique le plus visité d’Europe, a été bâti entre le XIIe et le XIVe siècle grâce à la science et à la patience ultimes des ouvriers du passé. Ce savoir-faire était-il perdu? Quand, le brasier encore fumant, le président français, Emmanuel Macron, fixa solennellement à cinq ans la durée de la reconstruction, on s’étouffa un peu dans les milieux professionnels et parmi les spécialistes des monuments historiques. Même s’il s’agissait du laps de temps qui fut par exemple nécessaire pour rebâtir le palais du Parlement de Bretagne (il brûla en 1994), une période de dix ans semblait plus réaliste.
Pouvoirs publics et entreprises sonnent alors illico la mobilisation générale. Les milieux du bois, notamment, appellent à donner des arbres pour fournir la précieuse charpente en bois de chêne. «Notre-Dame était une vitrine de la forêt française. Nous espérons qu’elle le soit encore demain», intime le président du syndicat des propriétaires forestiers, Jean-Etienne Rime. Parmi 40 autres scieries, la scierie Corbat, de Vendlincourt (JU), participe aussi au sciage de ces chênes, avec du bois venu d’Alsace.
Défi relevé
Nous sommes en décembre 2023 et le défi fou est en bonne voie. Les dernières nouvelles données par l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, qui assure la maîtrise d’ouvrage du chantier, a de quoi réjouir la plus revêche des gargouilles.
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La date de réouverture est désormais confirmée au 8 décembre 2024, à peine plus de cinq ans après la catastrophe. L’organisation rappelle que, après deux ans consacrés à la sécurisation de l’édifice, aux études de projet, puis à la préparation et à l’attribution des appels d’offres, la phase de restauration a débuté concrètement en septembre 2021. Depuis, le chantier bat son plein. Ils sont environ 500 compagnons, artisans d’art et encadrants, à œuvrer d’arrache-pied, avec des résultats qu’on n’hésite plus à qualifier de spectaculaires. Qu’on en juge: l’ensemble des voûtes est reconstruit ou consolidé, tandis que s’achève le nettoyage simultané des murs, des décors peints et desdites voûtes, qui représentent une superficie de 42 000 mètres carrés. Alors que les échafaudages disparaissent peu à peu, les artisans s’émerveillent devant la blondeur retrouvée de la pierre.
Plus emblématique encore, la flèche en chêne massif vient d’être montée en huit mois, surmontée de la couronne et de la croix dorées restituées conformément au dessin de l’architecte Viollet-le-Duc, en 1859. Le ciel de Paris a vu s’élever depuis cet été l’échafaudage superbement vertical qui entoure ladite flèche, culminant à 96 mètres. Pour le tabouret, c’est-à-dire la base, les bois ont été coupés en poutres et ont séché durant un an à dix-huit mois. Si on a entendu toutes sortes de sornettes autour du traitement des bois, on construisait en réalité au Moyen Age aussi avec du bois vert, qui finissait de sécher sur l’édifice. Seule polémique, mais vive: la réutilisation voulue à tout prix du plomb originel pour couvrir flèche et toiture. On craint ses effets nocifs s’il est inhalé. Tout aussi achevés ou en voie d’achèvement: les deux bras du transept et les charpentes médiévales de la nef et du chœur. De quoi rassurer Emmanuel Macron, qui s’est fendu d’une visite le 8 décembre, un an avant la réouverture, et peut d’ores et déjà fourbir un discours épique. Il a annoncé avoir invité le pape François à l’inauguration.
L’heure est à l’espérance. Le patron de la reconstruction, Philippe Jost, qui a succédé cet été au général Georgelin, décédé accidentellement, promet qu’au moment des JO, en juillet prochain, la flèche devrait être visible. Quant à l’architecte en chef des monuments historiques, Philippe Villeneuve, il ajoute dans «Le Pèlerin» que, «en 2024, la cathédrale sera la même et peut-être même plus belle, puisque nous l’aurons dépoussiérée et fait apparaître les belles couleurs des chapelles de Viollet-le-Duc».
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16
Les statues monumentales de la flèche (12 apôtres et 4 évangélistes) restaurées par des dinandiers, serruriers et patineurs, en Dordogne.
500
Des maçons aux charpentiers ou échafaudeurs, le nombre de compagnons, artisans d’art et encadrants qui travaillent sur le chantier, au cœur de l’île parisienne de la Cité.
1000
Le nombre de personnes, réparties partout en France et ailleurs, qui ont œuvré simultanément à la renaissance de la cathédrale.
340 000
Les donateurs, issus de 150 pays, qui ont permis de recueillir 846 millions d’euros de dons.