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Décryptage

Marc Chesney: «La finance casino nous met tous en danger»

Professeur de finances mathématiques à l’Université de Zurich et auteur du livre «La crise permanente», l’économiste Marc Chesney ne fait pas vraiment confiance aux banques systémiques. La faute, selon lui, à la Finma, à la BNS et à la majorité de l’élite politique qui, après l’effondrement d’UBS en 2008, ont pudiquement fermé les yeux sur les dérives des grandes banques.

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Peut-on encore faire confiance aux banques?
Shutterstock, LinkedIn

1. Notre argent est-il en sécurité dans les banques? Si oui, pendant combien de temps encore?

- Qu’en est-il des 100 000 francs garantissant les dépôts de chaque client au cas où une banque fait défaut?
- Marc Chesney:
Tout cela repose en fait sur un seul pilier: la confiance. Or si, un jour, la nouvelle UBS venait à vaciller puis à s’écrouler, je serais assez sceptique sur ce remboursement de 100 000 francs. Imaginez, une banque qui fait deux fois le PIB du pays et même 30 à 40 fois en valeur nominale des produits dérivés, c’est colossal. On nous parle beaucoup de rétablir la confiance des marchés financiers, mais ni le contribuable, ni le citoyen n’ont de véritables raisons d’être rassurés. Le système financier est très fragile. Il vient de le démontrer avec la disparition de Credit Suisse (CS).

- Il y a un fonds de 6 milliards garanti par la Confédération pour ces remboursements?
- La garantie est crédible, si la banque qui fait faillite est de taille raisonnable. S’il s’agit d’un mastodonte du type UBS, je demande à voir. 

- Ne voyez-vous pas les choses encore plus noires qu’elles ne le sont?
- Je ne crois pas, malheureusement. Le monde politique, la Finma et la BNS avaient quinze ans, depuis la crise de 2008, pour mettre en place de véritables mesures pour protéger les contribuables des dérives de la finance casino. Mais la faillite de Credit Suisse démontre que rien de sérieux n’a véritablement été mis en place pour prévenir de graves crises. Les législations en vigueur, «too big to fail», «finish», etc., ont été inopérantes. Dès lors, pour quelle raison ferais-je confiance? Je le souhaiterais, mais les faits nous incitent à la prudence. Le système est vicié à la base. UBS était en situation de quasi-faillite en 2008 et les choses n’ont pas fondamentalement changé.

- A qui la faute selon vous?
- Le monde politique, dans sa majorité, a décidé de négliger le problème durant quinze ans. Finalement, une solution a été bricolée en trois jours et a été annoncée, avec la mine grave, lors de la conférence de presse du 19 mars dernier. Les personnes et institutions censées représenter les citoyens devraient s’expliquer. Des partis plus proches des grandes banques que des citoyens ont bloqué les tentatives de réglementations que certains poussaient au parlement. Ces partis devraient s’expliquer, car, sans leur blocage, on n’en serait probablement pas là. Les citoyens doivent faire entendre leur voix, sinon rien ne changera.

- Et la Finma et la BNS?
- Le 15 mars, la Finma et la BNS faisaient une annonce commune affirmant que CS satisfaisait aux exigences strictes, pour reprendre leurs mots, en termes de capitaux propres et de liquidités. Elles annonçaient, par ailleurs, mettre 50 milliards à disposition de la banque si nécessaire. Une heure après, CS demandait ce crédit à la BNS. Il est curieux que CS ait demandé un tel crédit, puisque la situation était présentée comme étant sous contrôle. Trois jours après, CS était en quasi-faillite. Selon le communiqué, la situation était apparemment sous contrôle, alors que, en réalité, elle ne l’était pas. Le citoyen devrait savoir sur quels documents se sont basées ces deux institutions pour faire de telles affirmations le 15 mars. Sans transparence, comment établir la confiance?

- Que doit faire le parlement à votre avis?
- La commission d’enquête parlementaire doit faire toute la lumière sur ce qui s’est passé, savoir sur quels critères la BNS et la Finma se sont basées le mercredi pour indiquer que la situation était sous contrôle, puis pour accorder un prêt de 50 milliards à un établissement étendu sur son lit de mort avant de finalement constater le samedi que la banque était en situation de faillite. De deux choses l’une: ou elles se sont référées aux comptes de fin 2022, ou aux chiffres récents. Dans le premier cas, ces données ne seraient pas utilisables, car n’étant pas à jour. Dans le second cas, il faudrait rendre les chiffres publics. Informer de façon transparente les citoyens est essentiel. De profonds changements s’imposent.

- Quel abri pour nos économies? L’immobilier? Les actions?
- Une solution consiste en effet à acheter sa maison ou son appartement, si on le peut. Au moins, on comprend ce qu’on achète. Les actions, lesquelles? C’est plus ou moins sérieux, plus ou moins douteux. Il faut aussi se méfier des «conseillers» bancaires. Tant UBS en 2008 que CS disposaient de milliers de conseillers, de spécialistes, de contrôleurs des risques. Ce qui n’a pas empêché le château de cartes de s’effondrer.

- Votre avis sur les banques cantonales, la Raiffeisen et autres banques régionales?
- Elles sont heureusement peu actives sur les marchés des dérivés. Reste à voir où elles en sont en termes de capitaux propres. Personnellement, je plaide depuis longtemps pour que les banques s’appliquent à elles-mêmes le même ratio que pour les hypothèques qu’elles accordent à leurs clients. Soit 20 à 25% de fonds propres.

2. Que faisait la Finma?

Depuis 2002, Credit Suisse s’est vu infliger 50 amendes, toutes à l’étranger, pour un total de 11 milliards. Une moyenne de 570 millions de dollars par année, et trois fois et demi les 3,25 milliards de dollars qu’UBS vient de payer pour l’acquérir. 

- CS est-il délinquant ou est-ce là le prix à payer pour faire des affaires?
- C’est le prix à payer pour être délinquant! Blague à part, ces chiffres sont délirants. Pendant ce temps, ou plus précisément depuis 2007, l’ensemble de la direction de la banque a touché 1,376 milliard de francs de salaires et de bonus. Je rappelle que, en 2007, l’action CS valait un peu plus de 90 francs et la banque un peu plus de 100 milliards. Actuellement, l’action vaut environ 80 centimes…

- On peut se demander quel citoyen aurait échappé aux foudres de la justice avant même d’avoir écopé d’autant d’amendes pour des délits récurrents?
- Je répondrai à la question par une autre: pourquoi la Finma n’a-t-elle pas retiré la licence bancaire à CS alors que sa direction ne cessait de violer les lois? Cet organe de contrôle devrait s’expliquer.

3. L’Etat au secours des profiteurs

- La Deutsche Bank, qu’on dit en difficulté, représente sept fois Credit Suisse, JP Morgan, Goldman Sachs, City Bank ou City Group, 14 fois en termes d’encours de dérivés. Tout cela a-t-il encore un sens?
- C’est un immense château de cartes. Et plus les responsables politiques et financiers veulent nous rassurer, plus j’en déduis que la situation est fragile. Plus MM. Biden, Macron, Scholz ou Mme Lagarde, pour n’en citer que quelques-uns, montent au créneau pour dire que la situation est sous contrôle, moins elle l’est. La preuve? On vient de le voir récemment avec les faillites de la Silicon Valley Bank et de CS.

- Comment tout cela va-t-il finir?
- Mal pour les citoyens, tant qu’ils ne font pas entendre leur voix. Nous sommes pris en otage par la finance casino et ses dérapages. Le politique doit travailler pour le bien commun et la stabilité. Aujourd’hui, les dirigeants des quelque 30 banques systémiques du monde se tiennent tous par la barbichette et savent que, en cas de défaut, l’Etat, comprenez les contribuables, viendra à leur secours sans qu’ils soient inquiétés. C’est pratique, pour eux, mais incompatible avec une véritable démocratie. Les discours et arguments servis depuis une quinzaine d’années ne passent vraiment plus.

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2022: 700 millions de dollars
2021: 280 millions de dollars
2018: 90 millions de dollars
2017: 5,4 milliards de dollars
2016: 240 millions de dollars
2014: 3,7 milliards de dollars
2012: 120 millions de dollars
2009: 536 millions de dollars
2003: 275 millions de dollars
2002: 350 millions de dollars.

Ce que dit la loi

En Suisse, les dépôts bancaires font l’objet d’un traitement privilégié jusqu’à concurrence de 100 000 francs par client. Pour autant que ces dépôts soient gérés par une succursale suisse d’une banque, ils sont alors protégés par la garantie des dépôts. Dès que la Finma ordonne la faillite, les moyens financiers requis sont mis à sa disposition ou à son mandataire jusqu’à concurrence d’un plafond de 6 milliards de francs. Les dépôts effectués auprès d’institutions de prévoyance et de libre passage, en particulier les avoirs du pilier 3a ainsi que ceux des comptes de libre passage, sont privilégiés séparément et également jusqu’à concurrence de 100 000 francs par client. Ces dépôts ne relèvent toutefois pas de la garantie des dépôts et ne sont versés par l’institution de prévoyance que dans le cadre de la procédure de faillite normale. Dans ce cas, les dépôts de clients et de prévoyance excédant 100 000 francs par client relèvent de la 3e classe de l’ordre des créanciers et sont traités au même titre que les autres créances.

Par Christian Rappaz publié le 18 avril 2023 - 09:42