La Suisse devient subitement un grand pays dès qu’il s’agit de rejoindre une destination hors du Plateau. Il a fallu plus de trois heures au car des abonnés romands, parti de Lausanne à 6 h du matin, pour arriver à Unterterzen, village saint-gallois posté sur la rive sud du lac de Walenstadt (le Walensee en allemand), point de départ de cette cinquième balade du 1er Août organisée par la Schweizer Illustrierte en collaboration avec L’illlustré.
Pour la plupart des 50 participants welsches, c’était la première fois qu’ils posaient le pied sur les rives du Walensee. Il s’agit pourtant de notre lac, à nous les Welsches! Car les Alamans, en déboulant dans la région après quatre siècles d’occupation romaine, l’avaient en effet nommé le «Vualahasee», c’est-à-dire le lac welsche (welsche signifiant «individu parlant une langue incompréhensible»). En l’occurrence, il s’agissait de populations parlant un dialecte rhéto-romanche.
Mais trêve de cuistrerie historique et venons-en à l’enjeu du jour: la balade du 1er Août, inspirée cette année par la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Une occasion inespérée pour les 200 lectrices et lecteurs de L’illustré et de la Schweizer Illustrierte, venus de toute la Suisse – et même d’Ukraine! –, de faire connaissance à la fois avec les Préalpes saint-galloises et avec une cheffe du Département de justice et police qui, depuis ses débuts à Berne en 2019, fait beaucoup moins parler d’elle – ce qui est tout sauf un défaut, surtout par les temps qui courent – que certains de ses six collègues du collège fédéral. Une discrétion volontaire, nous expliquera d’ailleurs son chef de la com à l’heure du brunch à la ferme, Christoph Nufer: «Madame Keller-Sutter ne fait jamais dans la démagogie. Elle ne joue jamais un rôle, ne fait pas de cirque. Elle privilégie l’authenticité.»
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Une sobriété qui n’empêche pas une lectrice vaudoise, Béatrice Pernet, d’être devenue une authentique fan de la Saint-Galloise: «J’aime sa clarté, sa pureté, son esprit de décision. Elle est aussi belle au-dehors qu’au-dedans. Mais je suis inquiète pour sa santé, car elle me semblait plus en forme il y a quatre ans.»
Mais voici la ministre sur le chemin de l’embarcadère d’Unterterzen, d’où le bataillon de lecteurs et l’escouade d’accompagnants vont faire cap vers la rive nord, très escarpée et en partie inaccessible par la route faute… de route. Karin Keller-Sutter semble en fait très en forme aux côtés de son mari Morten Keller, médecin et haut responsable médical de la ville de Zurich. Dans son maillot Nike fuchsia, notre ministre de Justice et Police semble prête à gravir les sentiers pédestres les plus exigeants. Une condition physique qui n’était pas du luxe face à ces 7 kilomètres et leurs 300 mètres de dénivellation qui nous attendaient et qui éprouveront durement les randonneurs peu aguerris et n’ayant pas pris en compte les avertissements pourtant répétés sur nos coupons de participation.
Avant l’épreuve, il y avait heureusement la paisible et somptueuse traversée en bateau du Walensee, face aux Churfirsten, une chaîne de sommets calcaires sculptés par le jeu des plis des couches sédimentaires. Un must qu’il faut avoir accompli une fois dans sa vie.
La croisière de retour vers Unterterzen nous permettra de nous entretenir quelques minutes en tête à tête avec la conseillère fédérale. Celle-ci nous confirme que la marche en pleine nature est plus qu’un hobby pour elle, c’est carrément une hygiène de vie. Elle la pratique tous les matins depuis son domicile bernois avec son mari, avant de se rendre à son office. En voyant ce couple fonctionner durant cette journée, toujours zen en dépit des incessantes sollicitations des participants, on devine à quel point ils doivent apprécier leurs bains de nature au lever du soleil, avant d’affronter leurs responsabilités professionnelles respectives.
Mais il y a surtout le dossier des réfugiés ukrainiens, qui représente une grande partie de son travail actuel. «Cette situation tragique et dont le développement est impossible à deviner nous place devant des problèmes d’une complexité inédite.» Deux couples de jeunes Ukrainiens ont d’ailleurs participé à cette balade du 1er Août. Anna et Artur, qui vivent à Zurich depuis six mois, étaient enchantés de cette randonnée en montagne, la première de toute leur vie. Très reconnaissants envers leur pays d’accueil, ils espèrent cependant pouvoir s’alléger de l’incertitude qui pèse sur leur devenir à court et moyen terme.
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De leur côté, Anastasia, deuxième meilleure danseuse en danse de couple d’Ukraine, et son compagnon Filip, hébergés par une famille gruérienne, avaient eux aussi le sourire. Ils ont déjà trouvé du travail dans leur région d’adoption. Anastasia va même participer en août prochain aux Championnats suisses de danse standard. Mais cette vie rythmée d’une part par les mauvaises nouvelles et d’autre part par les incertitudes administratives en Suisse est difficile à gérer émotionnellement.
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Le dernier joli moment de cette journée mémorable nous est offert par la jeune Genevoise Maïa Pierret, 11 ans, venue avec ses parents. Sur le chemin vers l’embarcadère de retour, elle questionne la conseillère fédérale sur les motivations qui l’ont conduite à briguer et à décrocher le graal. Karin Keller-Sutter lui répond gentiment. «Mon tonton fait beaucoup de politique, nous avait expliqué auparavant la fillette pour expliquer son intérêt précoce pour la chose politique. Et quand mes parents se préparent à voter, j’écoute leurs conversations. Par exemple sur la votation récente sur la réforme du cycle d’orientation à Genève. Cela me concernait puisque je vais bientôt y entrer.» Son père est stupéfait de découvrir sa fille sous ce jour-là et en rit de bonheur. Est-ce que cette journée dissuadera Maïa de renoncer à ses deux vocations actuelles (dresseuse de chiens policiers et micromécanicienne)? On le saura peut-être dans quarante ans, quand ce sera elle la conseillère fédérale qui guidera les lecteurs des deux illustrés helvétiques pour la balade du 1er Août 2062.