Elle arrive décontractée dans le hall du théâtre sédunois où elle répète «La nuit n’en finira donc pas..?» Une pièce dont elle est la co-metteuse en scène et qui mélange joyeusement les genres et les expressions. On y parle du Valais, auquel elle reste viscéralement attachée, des femmes, de la fête, des moments de blues ou de colère qu’on peut transmuter dans une célébration où ce qui compte, c’est d’être ensemble. Un peu aussi à l’image de sa vie. Noémie Schmidt, 33 ans, vit la plupart du temps en communauté dans une ferme en Dordogne, passant avec une liberté gourmande d’une grosse production Netflix, la récente série «Anthracite», à des aventures artistiques plus confidentielles et communautaires qui débordent des cases. Comme cette pièce, justement, qu’elle se réjouit – elle le dira plusieurs fois – de partager avec le public romand. C’est parti pour un entretien où sa fibre politique vibrera à plus d’une reprise. Celle qui aspire en permanence à ouvrir la cage de la parole emprisonnée se revendique d’une culture punk qui déménage mais aussi, c’est plus étonnant, amoureuse des chansons de Francis Cabrel, de Nino Ferrer ou de Michel Jonasz.
- On vous sent très en joie de monter ce spectacle...
- Noémie Schmidt: Oui, et la joie, c’est fondamental dans ma vie, j’ai lu Spinoza (sourire). Le fils de mon professeur de théâtre en Valais m’a dit quelque chose qui m’a touchée: du fait qu’il nous reste un certain temps avant notre mort, il faut décider de vivre. On a de la chance d’être en vie et de pouvoir en faire quelque chose. Dans notre spectacle, on va célébrer cette vie; l’idée, c’était de parler de la fête parce que la fête, ça fait craquer les couches isolantes. C’est la sortie du quotidien, on se rassemble, on se célèbre, on est dans la convivialité qui nous est chère. On a voulu aussi donner la parole aux Valaisannes et aux Valaisans, évoquer les célébrations si singulières de ce canton comme la Fête-Dieu, le carnaval, des événements que je connais depuis que je suis née.
- Vous avez dû sélectionner les témoignages?
- Non, on a tout pris, soit une centaine. On a travaillé avec une artiste, Laetitia Troussel-Luber, spécialisée dans la collecte de témoignages. On a aussi fait circuler un vidéomaton sous la forme d’un van avec une caméra et un système de lumière de fête qui permettaient aux gens de témoigner anonymement. Il y avait de l’émerveillement à leur écoute. Le bus a circulé dans tous les lieux que j’ai fréquentés petite, comme le collège de la Planta. Nous avons récolté aussi des récits de personnes en situation de handicap.
- Un ou deux témoignages qui vous ont particulièrement touchée?
- J’ai ri au récit d’un gars qui racontait avoir passé son carnaval coincé à la Grenette, un endroit emblématique à Sion que je connais bien depuis toute petite. Il était déguisé en skieur et il est resté coincé tout du long sans pouvoir bouger car tout le monde marchait sur ses skis. Une femme nous a donné son âge et son adresse en disant juste: «Je suis tellement contente, merci de me faire revivre tous ces moments.» Une autre a évoqué la Fête-Dieu dans des circonstances plus graves, avec des prêtres au comportement problématique. Il y a aussi cette personne qui a été victime d’un AVC lui ayant fait perdre de sa mémoire mais qui a pu chanter l’hymne valaisan en entier. C’était très émouvant. On l’entendra dans la pièce.
- Comment décrivez-vous le Valais à vos amis français?
- Je dis que c’est un peu la Bretagne ou la Corse de la Suisse. Un canton un peu rebelle, même s’il a aussi les aspects négatifs du côté identitaire. Qu’on se sent Valaisan avant d’être Suisse, ce qui est mon cas! Je leur dis aussi que c’est un canton extrêmement chaleureux et généreux, où la discussion est toujours possible, même si on n’est pas d’accord.
- Vous vous sentez toujours un peu punk?
- Oui. Les mouvements punks m’inspirent beaucoup. Notamment les Riot Grrrls, mouvement féminin des années 1990 aux Etats-Unis. J’aime leur pluridisciplinarité, elles faisaient non seulement des concerts, mais aussi des conférences, des fanzines, un engagement à la fois politique et artistique. C’est ce qui nous a inspirés dans notre projet. Il y aura d’ailleurs un groupe de musique punk rock sur scène, créé pour l’occasion: les Radio Riots. Mon frère Robin en fait partie. Il joue de la guitare, du piano, de la boîte à rythme et de l’accordéon.
- Et il paraît que vous mixez?
- Oui. J’adore ça. Et comme la nuit n’en finira donc pas, la fête continuera tous les soirs après le spectacle et je mixerai parfois. Notamment le 21 septembre dans le cadre de la Journée des musées; les Radio Riots s’y produiront aussi.
- Le surnom de votre compagnie de théâtre, Frap, c’est «la compagnie des révoltes heureuses». Il y a toujours du bonheur à se révolter?
- Oui. Se révolter, c’est lutter pour changer les choses. Ne pas être totalement en accord avec le statu quo. C’est la seule façon d’évoluer pour moi. J’ai trouvé super la votation du peuple suisse pour la 13e rente AVS. C’était la première fois depuis longtemps que j’aurais voté comme lui. C’est une notion hyper-joyeuse, la révolte. Ce qui compte, c’est l’émancipation, l’évolution, le mouvement. Si tu t’arrêtes, tu moisis!
- Il y a des signes avant-coureurs qui montrent que l’on commence à moisir?
- Quand on s’arrête de bouger. Il y a des jeunes qui s’arrêtent et qui sont déjà vieux. Tant que tu restes en mouvement, en écoute et en évolution, tant que tu te remets en question, tu restes jeune toute ta vie. J’ai beaucoup d’amis âgés!
- Une Valaisanne que vous admirez?
- Carole Roussopoulos, une réalisatrice de documentaires, qui est décédée. Son credo, c’était: «Prenez une caméra et sortez dans la rue!» Elle a filmé beaucoup de gens à qui on ne donne pas souvent la parole. Son héritage est très important pour moi. Elle a aussi créé avec Delphine Seyrig, comédienne et réalisatrice, un documentaire, «Sois belle et tais-toi», qui donne la parole aux actrices. On s’en est beaucoup inspirés. Ensemble, elles ont créé un collectif de femmes qui s’appelle Les Insoumuses.
- Vous aimez le groupe Bikini Kill mais aussi la poésie plus tendre de Cabrel…
- J’aime la poésie de rue, son côté éphémère, et la bataille des idées qui se jouent sur ces murs. Si je pouvais, je recouvrirais tous les messages de haine par cette phrase de Cabrel: «Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai.» Il y avait un tag devant le théâtre tellement bien qui disait «Elle est en colère contre le silence», je voulais faire une photo de moi à côté, mais entre-temps la ville de Sion a tout nettoyé! (Rires.)
- La haine, notamment celle déversée par les réseaux sociaux, vous fait peur?
- Non, pas peur, c’est à l’image de la lutte qui se passe dans la vraie vie. Notamment celle qu’on mène contre l’extrême droite, qui diffuse des messages de haine et contre lesquels il faut se battre absolument.
>> Lire aussi: Noémie Schmidt, la Valaisanne à qui tout réussit
- Jordan Bardella premier ministre, vous avez frémi à cette possibilité?
- Oui, on a tous été terrifiés. Cela a été l’occasion de coller beaucoup de messages sur les murs.
- Vous en avez placardé vous-même?
- Bien sûr, pendant la nuit, on l’a fait de fou!
- Vous auriez pu quitter la France si Marine Le Pen avait gagné les élections?
- Cela peut encore arriver et c’est toujours une option.
- On peut se battre avec une pièce de théâtre?
- Oui, j’ai aussi envie de délivrer un message politique avec cette pièce. L’art reste pour moi quelque chose de politique.
- Vous avez tenu un rôle phare dans la série «Anthracite» sur Netflix. Vous pourriez refuser une grosse production si elle ne correspondait pas à vos valeurs?
- Oui et c’est déjà arrivé plusieurs fois. Mais ça n’a rien de courageux. J’ai la chance de pouvoir dire non.
- La spiritualité que vous évoquez parfois, où se niche-t-elle dans la vie de Noémie Schmidt?
- Il y a une dimension très spirituelle dans la fête et dans la musique. Se sentir ensemble, en harmonie, reconnaissants d’être les uns avec les autres, ressentir des émotions, danser en groupe, se mettre en désaccord ensemble, picoler aussi ensemble (rires)... C’est à ça que je carbure!
- Vous croyez à quelque chose qui nous dépasse?
- Je crois en une force bienveillante. Je pense avoir une très grande foi. J’ai beaucoup admiré celle de ma grand-mère, qui était catholique, même si je pense qu’il y a des choses à déconstruire dans cette religion. Mais je porte toujours autour du cou sa médaille religieuse. Son prénom, Jacqueline, est gravé derrière. Jacqueline et Madeleine, mes deux grands-mères, ont été très importantes dans ma vie. Il y a d’ailleurs un passage en l’honneur de Madeleine dans la pièce. Quant à Jacqueline, non seulement elle avait la foi, mais elle avait aussi énormément de chance au jeu. Et le jeu, pour moi, c’est hyper-important! Je joue des personnages mais je joue aussi beaucoup aux cartes. Au jass, à la belote, au tarot...
- Toujours heureuse de vivre dans une ferme en Dordogne?
- Toujours hyper-heureuse et hyper-reconnaissante de pouvoir y vivre.
- Paris, c’est juste pour signer des contrats?
- Pas seulement. Quand je vais à Paris, j’adore aller manger (rires).
- Il y a trois ans, vous vous insurgiez contre l’horloge biologique qui pèse sur les femmes… Toujours envie d’avoir des enfants?
- Un jour sur deux. Ce n’est pas une angoisse, l’horloge biologique. Si ça se fait ça se fait, sinon tant pis, la vie est tellement riche. Ce n’est peut-être pas moi qui décide. Et puis, récemment, le fils d’un ami qui m’est cher m’a demandé d’être sa marraine. Il s’appelle Sylla, il a 7 ans, et ses parents voulaient attendre qu’il puisse choisir. J’étais très émue quand il me l’a demandé, je ne m’y attendais pas du tout et je n’ai bien sûr pas hésité une seconde à lui dire oui! C’est un énorme cadeau. Ce qui est intéressant, c’est qu’il doit définir aussi ce qu’il attend d’une marraine. Comme il adore les platines, on mixe ensemble. C’est aussi intéressant de s’épanouir dans une relation avec un enfant qui n’est pas le sien.
- Vous diriez quoi à la petite fille qui a commencé sa carrière en jouant «Ubu roi» en Valais?
- T’inquiète, tout va bien!
- Et à cette jeune femme que vous voyez dans le miroir pendant que vous vous maquillez?
- Force à toi, continue!