On l’a souvent comparée aux actrices américaines, Julia Roberts en tête, pour une spontanéité, une façon d’occuper l’espace et surtout le fait que la lumière, quand elle rencontre son grain de peau, semble avoir trouvé l’endroit idéal où se détendre. Ça s’appelle une photogénie. On pense à tout ça en la regardant courir d’un lieu à l’autre, silhouette élancée, une joie de vivre qui n’appartient qu’à elle. Elle nous retrouve au restaurant qui jouxte le théâtre. Elle a un texte de tragédie à mémoriser et le temps lui est compté. Elle prendra quand même une petite entrée avant le plat principal.
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Noémie Schmidt sera l’Antigone de Sophocle en septembre prochain dans ce qui s’annonce déjà comme l’événement culturel de la rentrée au Théâtre du Crochetan à Monthey. La fille d’Œdipe, oui, celui qui a passé à la postérité pour avoir tué son père et couché avec sa mère. Antigone, c’est la femme qui se lève pour dire non. Non à Créon le tyran qui veut laisser le corps de Polynice, un des deux frères de la jeune femme, sans sépulture. Non à Ismène, sa sœur, qui lui enjoint de se plier aux règles. La pièce est axée autour de l’affrontement entre ces deux femmes. Et résonne aussi particulièrement en cette période post-#MeToo. «Je n’ai pas hésité à dire oui à Lorenzo Malaguerra, le metteur en scène. J’ai adoré ce texte et puis il y a la joie de retrouver le théâtre, la célébration avec le public. Antigone, c’est un personnage extraordinaire qui va même contre sa lignée, contre ses gènes; je trouvais hyper-intéressant aussi de jouer ce rôle au moment où l’on vit dans la société tous ces rapports d’opposition.»
Au vu de son parcours, ses prises de position contre tous les diktats, qu’ils soient patriarcaux, économiques ou politiques, qui mieux que la plus internationale des actrices valaisannes pour endosser ce rôle? Lorenzo Malaguerra n’a pas hésité. «C’est quelqu’un qui a beaucoup de liberté dans son jeu, beaucoup d’insolence, une chose extrêmement importante pour le personnage. Noémie n’a absolument aucune crainte d’être jugée pour ce qu’elle fait, elle a peu de limites dans sa façon de jouer, prête à se mettre vraiment très en danger. C’est très rare.»
Dans le discours de la comédienne reviennent souvent des mots comme révolution, joie, systémique, oppression, flux, changement. Toute la carrière de Noémie Schmidt est fidèle à son lexique. Elle passe sans problème des comédies populaires avec Claude Brasseur ou Dany Boon, des séries grand public comme Versailles à du cinéma d’auteur. Des films qui lui ressemblent, qui ressemblent à sa génération où on fait du cinéma autrement, caméra au poing, saisissant les événements, les gens, le temps présent comme Paris est à nous acheté par Netflix.
Là, elle rentrait de New York, où Années 20, réalisé un peu dans le même esprit, vient de gagner un prix au festival de Tribeca. Le covid n’a jamais été synonyme d’inaction. Rester à côté du téléphone en attendant les propositions, très peu pour elle! Elle a profité des deux confinements pour faire ce film et se ressourcer dans la ferme en Dordogne qu’elle a achetée avec deux amis. Y planter des patates certes mais en faire aussi un lieu de création pour artistes. On l’a vue récemment perchée sur un tracteur dans un reportage de Mise au point. On lui demande si passer de cette vie très authentique à la superficialité du showbiz pose un problème. Son «non» est très catégorique. «La Dordogne me nourrit et me donne la force nécessaire pour passer d’un univers à un autre!»
Mais revenons à nos moutons. Qui sont les Antigones d’aujourd’hui à ses yeux? Elle cite Adèle Haenel, qui s’est levée en pleine cérémonie des Césars pour dire non à celui décerné à Polanski. «Elle m’a fait du bien, elle m’a beaucoup inspirée, c’est un peu la seule en France à s’opposer à ce système hégémonique d’oppression.» Qu’elle a subi elle aussi dans ce métier. «Il faut continuer à le dénoncer», affirme celle qui regarde plus de documentaires que de séries sur Netflix. Il y a chez elle une fraîcheur de Grand Soir que ne renierait pas Bourdieu, le sociologue de la violence symbolique. Elle a suivi les actions d’Extinction Rebellion. Juge «triste» la décision du TF de débouter les militants qui avaient joué au tennis dans le hall de Credit Suisse. Revendique un activisme à sa manière. «J’essaie d’être concrètement cohérente avec mes idées; le fait d’avoir acheté cette ferme en Dordogne, c’était une manière de l’être, de revenir à une manière de consommer plus locale, de créer du lien, de la colle humaine comme j’aime bien dire.»
Une fille qui tricote à la fois la pelote de la révolution et celle de la bienveillance. «Je ne sais pas si l’être humain a beaucoup changé depuis Sophocle, mais j’aime à croire qu’on se dirige vers un horizon plus serein où les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes, les puissants et les opprimés pourront s’effacer petit à petit. Je ne peux pas m’empêcher de croire en l’être humain, sinon je ne peux plus avancer!»
Elle joue une tragédie et dans toute bonne tragédie il y a de la trahison. Elle sait ce que c’est dans sa vie personnelle. «Bien sûr que j’ai été trahie, comme tout le monde. Ça fait partie du jeu de la vie, ça m’a fait grandir, je suis devenue plus mature.» Revendique aussi mordicus une capacité quotidienne à s’émerveiller comme chez les enfants. Son dernier émerveillement? «Cette fricassée aux chanterelles avec une tombée de pousses d’épinards», rit-elle en levant sa fourchette. La vie est une grande éprouvette où il faut tout mélanger, goûter, expérimenter.
Elle ne boira pas de vin à cause des répétitions, mais reconnaît la huppe fasciée sur l’étiquette de la bouteille. Elle en imite le cri, joyeuse. Ah oui, la joie, c’est aussi un mot qu’il faut inscrire dans le carnet de mots de Noémie. On s’étonne de cette culture ornithologique. «Ma mère est biologiste, passionnée d’animaux, elle nous a transmis un peu de son savoir.»
Une maman qui va chanter dans le chœur formé pour l’occasion car de nombreux amateurs vont participer à la pièce. «Elle va chanter avec sa meilleure amie, c’est génial de pouvoir travailler ensemble!» Revenir en Valais, c’est retourner au clan familial, si déterminant dans ce canton et dans les tragédies grecques où la plupart du temps ça tourne au vinaigre! Noémie hoche la tête. «C’est difficile de s’opposer à sa lignée, surtout dans un canton comme le Valais où la famille, c’est très important. J’ai une cousine qui a été une Antigone à un moment de sa vie où elle a eu besoin de s’opposer à des choses qu’elle n’acceptait pas. J’étais petite à cette époque, mais c’est à elle que je penserai aussi en jouant. Mais le clan, c’est primordial. Gloria Steinem, une féministe et communiste américaine née dans les années trente, disait que la chose la plus merveilleuse pour une femme, c’était de voyager, faire l’expérience de l’indépendance et de la solitude et d’être accueillie à bras ouverts quand elle rentrait. A chaque fois que je rentre en Suisse, mon clan m’offre cela, et c’est hyper-chaleureux et important pour moi; quelque part, c’est révolutionnaire, parce que je suis indépendante, je fais ma vie et en même temps on me recueille dans le giron quand je rentre!»
Noémie Schmidt a fêté ses 30 ans le 18 novembre dernier. Pas d’angoisse à rentrer dans le clan des trentenaires. «Je trouve ça très joyeux, je suis même assez contente de vieillir, tu te rapproches de toi-même, de l’essentiel, certaines choses te prennent moins la tête, ce qui laisse de l’espace pour celles que tu défends. Chaque année qui passe, je me sens plus forte, plus solide!»
Et cette envie d’enfant qu’elle avait confié avoir depuis l’âge de 10 ans? C’est la féministe qui nous répond. «C’est d’une grande violence pour les femmes cette injonction de procréer; d’ailleurs, j’ai même lu que l’horloge biologique, ça n’existe pas! J’essaie de me laisser tranquille avec ça; j’ai beaucoup de choses à faire et j’ai envie d’être bien avec moi-même.» C’est noté! «Il faut qu’il y ait de la magie, du désir et du jeu», revendiquait son personnage dans Paris est à nous. On lui demande s’il y a tout ça dans sa vie aujourd’hui. Elle répond, du tac au tac, avec du rire dans les yeux: «Devinez!»
«Antigone», du 7 au 26 septembre, Esplanade du Crochetan.