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Reportage

Nino Catalanotto, l'appel de la forêt

Instructeur de survie depuis dix ans, Nino Catalanotto propose des stages d’immersion pour partager sa passion de la nature et de l’aventure. Un long week-end de vie sauvage pour apprendre l’autonomie totale. Une leçon de bien-être, entre déconnexion technologique et soin thérapeutique. 

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Nino Catalanotto, instructeur de survie, propose des stages d’immersion pour partager sa passion de la nature et de l’aventure

Nino assis autour du feu dans le «réflecteur» (à sa gauche, Luc). Poste de survie par excellence, fabriqué dès l’arrivée, le réflecteur en rond tapissé de feuilles contient une plateforme en argile pour poser le feu: «On peut y vivre en t-shirt par 0°C avec une vue d’observation à 360 degrés», assure le chef.

Sedrik Nemeth

Le clin d’œil de Mère Nature est arrivé le quatrième jour à l’aube, vers 5h30, le dimanche de l’Ascension. Comme une récompense après trois jours de survie au creux d’une forêt au-dessus de Vevey. Sept renardeaux sortis d’un terrier surplombant le camp de base, abri et tipi en feuillages, où huit participants, six garçons et deux filles, sont venus tester leurs capacités à vivre avec trois bouts de bois ou presque. Trentenaires pour la plupart, plutôt urbains, ils ont «signé» pour le stage de niveau 1 «Survival Basics» proposé par Antonino Catalanotto, un expert, instructeur aguerri, formé à la meilleure école suisse de survie, amoureux de l’aventure depuis tout petit. 

Un personnage, Nino, une tronche joviale et franche, qui émerge d’une tente couleur absinthe, ravi que ses troupes aient compris l’essence de la formation qu’il propose depuis 2013 et qu’il incarne magistralement, manteau patchwork en peau de bête et casquette molle. Son adrénaline, son carburant: faire corps avec la nature. Preuve que cette osmose a vite été assimilée, les bébés renards oseront ressortir l’après-midi pour observer la troupe. Celle-ci apprend «l’art du feu» par friction, note sur calepin et s’initie à la technique, pieds nus, genou à terre, archet, drille, planchette et herbe sèche. «La braise, elle vient quand?» interroge un candidat, pardon: un participant, qui frotte comme un possédé. On comprend les gars de «Koh-Lanta», l’émission de survie de TF1, s’arrachant les cheveux en jouant aux Pierrafeu. Ici, le pro, c’est Nino. «La braise? C’est quand y a de la fumée et que ça te crame le pied!» rigole l’instructeur, tirant sur une pipe artisanale sculptée à l’opinel, juché sur un rocher dans une posture «Penseur» de Rodin».

Nino Catalanotto, instructeur de survie, propose des stages d’immersion pour partager sa passion de la nature et de l’aventure

«L’art du feu» par Arnaud, co-instructeur de survie en formation. Florian, concentré, calepin à la main.

Sedrik Nemeth

Antonino Catalanotto, dit «Nino», 39 ans, homme-forêt, mâle-nature, truculent et ingénieux, attentif et didactique. Un humour rabelaisien. Un condensé de savoir très précis, puits de science concernant la survie en forêt. Connaissances théoriques mais surtout empiriques. Depuis l’enfance dans le Jura bernois où il fait les quatre cents coups, champion en «maniement des armes» (fronde notamment) et expéditions en tous genres avec des acolytes. «Premier souvenir, j’ai 7 ans, j’embarque Dany Bonjour, le petit voisin de 5 ans, au fond d’une grotte en plein hiver, avec bottes de pluie, briquet et bougie. On avait les pieds gelés. Là, je pense aux récits de mon père sur les rescapés de l’Annapurna amputés des doigts, comme Maurice Herzog, et j’envoie Dany chercher une bassine d’eau chaude au village. On s’est fait engueuler par sa mère.» Ses questions? «Comment vivre de manière authentiquement connecté» et «comment sortir de l’aliénation à la société moderne». Sa réponse, il la partage concrètement dans cette clairière.

La nature rend heureux


Fils de pasteurs, maman suisse alémanique, papa sicilien, Nino a la fibre généreuse et le goût de l’aventure humaniste: vélo jusqu’en Inde, mission en Haïti et au Sri Lanka, challenges loufoques mais cadrés avec des jeunes en Slovénie (embrasser un policier, sculpter le Colisée dans une pastèque…). Aucun amateurisme. Ses stages de survie sont organisés dans les moindres détails et surtout gérés heure par heure par un mental solide. Les participants bénéficient d’un coaching thérapeutique indispensable en conditions extrêmes, son stage le plus hardcore consistant à survivre dans la nature pendant trois jours avec un couteau, une gourde et une ficelle. Car Antonino Catalanotto est psychologue et psychothérapeute, diplômé des universités de Lausanne et de Genève. Au centre des Toises, à Lausanne, il a mis sur pied un programme «bonheur», après consultation d’un professeur de Harvard. «Le niveau de bonheur augmente instantanément et de manière substantielle lorsqu’on est en nature», démontre une étude scientifique. Dans la forêt des hauts de Vevey, cela se ressent.

Une cuisine raffinée


Avec l’arrivée de «L’illustré», le petit-déjeuner prend du retard et se transforme en brunch. «Récemment, avec la tempête, j’ai emmené une équipe prendre le petit-déj’ dans un cinq-étoiles», lance Nino hilare. On ne plaisante pas avec la sécurité. Marie, 33 ans, Genevoise et comédienne, confectionne des mini-chapatis. Ces crêpes indiennes sont ici fourrées aux herbes sauvages (contrôlées «comestibles ou pas» par le grand chef) et finissent en ravioles jetées dans le charbon. Collés en rond autour du feu dans le «réflecteur», les participants ont reçu des conseils à propos des angoisses. Marie, en chemise kaki, commente: «J’ai un rythme intérieur un peu speed, donc ici ça m’aide. On travaille nos cinq sens, c’est une richesse de vie, de ressources, pour retrouver nos pleines capacités. L’aspect psy est génial. Et puis on apprend à tout faire soi-même. Passer à l’action, ça réduit l’anxiété.» 

Nino Catalanotto, instructeur de survie, propose des stages d’immersion pour partager sa passion de la nature et de l’aventure

Brunch du dimanche. Les ravioles cuisent dans les braises, Caroline tient la poêle et Stéphane tourne les boulettes avec des «baguettes japonaises» taillées au couteau. Gants obligatoires.

Sedrik Nemeth

Le chef cuisinier Nino signale un problème, aphorisme à la Jean-Claude Van Damme: «Quand un chapati commence à fumer, c’est mauvais signe.» Marie, qui se rêvait Pocahontas quand elle était petite, se forme pour devenir instructrice de survie «jeunes» (pour l’instant, aucun stage autorisé aux moins de 17 ans, sauf le «Sauna sauvage» accompagné des parents). Seulement 2% de la clientèle est survivaliste, assure Nino. Ici, on est cool, serein et déjà très dégourdi. «Je suis halluciné par leur excellent niveau, constate Nino. Avant, je n’avais que des débutants.» 

Loïc, 32 ans, journaliste à Radio Fribourg, est venu à titre privé «apprendre à se débrouiller dans la nature et découvrir un monde». Stéphane, 34 ans, responsable commercial dans la décoration, est passionné de survie et projette de «bivouaquer seul plusieurs jours en forêt ou en montagne». Il a acheté du matériel et cite la série «Alone» sur Netflix. Caroline, 40 ans, tend son paquet d’ananas séchés et propose un fond de café. Artiste et assistante à la HEAD, à Genève, c’est grâce à son chien qu’elle a découvert la forêt et a été forcée de s’y intéresser. Avec Nino, elle apprend tout sur les plantes, les champignons et sait creuser un bol dans un rondin avec des braises, fabriquer une passoire, un râteau, des baguettes japonaises, une spatule, un «réchauffe-plat» à partir de branches et d’herbes sèches. Ici, elle salue les bienfaits de la présence à soi dans l’action permanente. «En survie, tu n’as pas un moment sans rien faire, surtout les deux premiers jours, c’est du non-stop. La place des pensées parasites et des ruminations se restreint. C’est relaxant de juste faire ce qu’on te dit.»

Tous les âges autour du feu


Benjamin, 32 ans, enseignant, gère la poêlée de pommes. Tournus en cuisine les quatre jours. Samedi soir, un vrai gueuleton: pâtes au pesto d’ail des ours, chips d’orties, salade de plantes et fleurs sauvages, tisane du coin. Florian, 34 ans, qui finit ses études de médecine, hache du tilleul. «C’est le livre «The Comfort Crisis» du journaliste américain Michael Easter qui m’a donné le déclic pour ce camp. Il y a urgence à changer notre mode de vie, je le constate avec mes patients.» Alain, 30 ans, grandi à Paris XIIIe et docteur en chimie: «Ma copine m’a offert un week-end «Igloo» cet hiver avec Nino, l’ambiance était bonne, je viens de trouver un emploi, je m’offre donc ce week-end survie (540 francs, ndlr).» L’aîné, c’est Luc, 50 ans, travailleur social indépendant et ancien garde forestier. Il vient «rafraîchir [ses] connaissances» et retrouver ce «très bon outil d’éducation et de thérapie qu’est le rassemblement en tribu autour du feu». 

Nino Catalanotto, instructeur de survie, propose des stages d’immersion pour partager sa passion de la nature et de l’aventure

Causerie et apprentissage dans le réflecteur avec Nino. De gauche à droite: Joël, Marie et Alain (debout). En arrière-fond, l’abri surmonté du tipi.

Sedrik Nemeth

C’est en Arnaud, 23 ans, que Nino a trouvé son fils spirituel. Il est son assistant, en formation pour devenir instructeur de survie et en faire son métier. Rencontré sur le chemin de son école, pris en autostop par Nino. Les deux hommes partagent une façon de vivre anti-consumériste et «ascétique». L’aîné cite Confucius, le cadet s’inspire de Diogène. Nino, aujourd’hui père de famille, a dormi pendant des mois dans les bois de Sauvabelin, à Lausanne, tout en continuant à travailler en ville la journée. Arnaud habite dans une forêt, à l’année, depuis deux ans et demi. Il prépare sa matu en autodidacte en vivant son rêve de «vie primitive sans aucune technologie». En bon élève, il a appris à ne pas laisser de traces. Les cendres, dans la rivière à l’heure du départ. Merci professeur Catalanotto.

Encadré pratique

Le site de Nino Catalanotto: www.survival-project.ch
Tous les stages. Et son calendrier de «prescriptions» nature, des dizaines d’idées pour se faire du bien dehors en Suisse, classées par saison.
Prochain camp: 1-2 juin «Nourriture sauvage, cuissons et méthodes», dans le canton de Vaud. 

Par Florence Duarte publié le 30 mai 2024 - 11:47