Un imposant chapeau rose. Une jupe de la même couleur. Et des yeux immenses, pleins d’énergie communicative. Nemo, représentant non binaire de la Suisse à l’Eurovision, attire tous les regards par sa présence scénique. «Waouh, c’est si réel!» lâche-t-iel en guise de bonjour. Réelle, mais surtout impatiente, cette petite foule de journalistes, producteurs et sponsors qui se bousculent sur la terrasse surplombant le jardin où une scène a été installée pour l’occasion. En ce 18 avril à la météo capricieuse, nous sommes chez l’ambassadeur de Suède, à Berne, pour célébrer la 68e édition du Concours Eurovision de la chanson, qui se tiendra à Malmö (Suède) du 7 au 11 mai prochain.
Tapis rouge et fanions aux couleurs de la Suède et du Royaume-Uni, organisateurs de la soirée, nous accueillent. Carl Magnus Nesser, ambassadeur de Suède, et James Squire, ambassadeur du Royaume-Uni, se muent en maîtres de cérémonie avec humour. «L’Eurovision est une obsession nationale», plaisante Carl Magnus Nesser, avant de lister les victoires de son pays, sept au total. «Nous n’avons pas gagné aussi souvent, mais avons organisé le concours à neuf reprises», enchaîne son homologue britannique. Et la Suisse, où se cache-t-elle? Huit représentants helvétiques des six dernières décennies se trouvent parmi les convives: Paola Felix (1969 et 1980), Peter Reber et Marc Dietrich du groupe Peter, Sue & Marc (1979 et 1981), Pino Gasparini (1985), Sandra Studer (1991), Michael von der Heide (2010), Luca Hänni (2019) et Remo Forrer (2023). Il ne manque que Nemo pour compléter le casting.
Opéra, rap et piano
«Iel est là-haut!» s’enthousiasme une jeune femme vêtue de rose, avec des paillettes sur son mascara. Melisa Kaymaz gère les réseaux sociaux de l’Eurovision Club Switzerland, pas étonnant qu’elle suive chaque publication de Nemo et repère donc les vidéos capturées depuis l’étage de la maison. Cette Fribourgeoise de 26 ans est fan de l’Eurovision depuis ses 5 ans, une passion qu’elle emprunte à sa maman d’origine turque. «La première fois que j’ai regardé le concours, la Turquie a gagné», se souvient-elle. Aujourd’hui, elle soutient la Suisse, et surtout Nemo. Friande d’anecdotes, Melisa raconte comment l’artiste a été contacté en vue de sa participation au concours. «Iel pensait être là pour composer pour quelqu’un d’autre, jusqu’à ce qu’on lui dise qu’iel serait l’interprète.» La chanson en question, c’est «The Code», un morceau dynamique et entraînant, un tube qui reste en tête après la dernière note. Le texte évoque l’identité non binaire de Nemo, sa personnalité entre féminin et masculin, les normes – ce code – qu’iel a rompues. La mélodie, entre rap et opéra, met en valeur tout le talent de Nemo.
C’est une version acoustique qui est jouée dans le jardin de l’ambassadeur de Suède. Un piano-voix qui rend les vocalises de l’artiste encore plus intenses. «C’est la première fois que je l’entends en live, confie Remo Forrer, qui a participé au concours l’an dernier. Je suis impressionné par cette version au piano. Je pense que Nemo va gagner, car c’est une chanson puissante avec beaucoup de facettes différentes.» Lui-même avait terminé à la 20e place, après s’être classé 7e de la demi-finale. Une aventure dont il ne garde que de bons souvenirs qu’il a pu partager avec les autres anciens candidats suisses ce soir. «Je suis content que les gens continuent de me suivre après l’Eurovision. Les salles sont pleines lors de mes concerts, j’en suis très reconnaissant», sourit celui qui est nommé pour trois Swiss Music Awards cette année.
>> Lire aussi: Gjon's Tears: «Il faut savoir provoquer l’impossible»
Des applaudissements soutenus, puis des fleurs et un guide touristique sur la Suède sont offerts à Nemo au moment où iel devrait descendre de scène. Mais l’artiste a une autre idée en tête: «Quand on a répété cet après-midi et qu’il pleuvait, on a joué sur le piano du salon. C’était vraiment chouette, alors si vous voulez une autre version du «Code», allons dans le salon!» La foule ne demandait pas mieux. On file se mettre au chaud, dans le salon débarrassé de ses meubles, où ne trônent plus que le piano droit et des ballons colorés collés au plafond. Nemo grimpe sur une chaise, les invités se taisent. Sans micro ni amplification. Une voix qui joue avec les octaves: aiguë dans les vocalises, basse dans le rap. «Il a tout pour gagner, souligne Kali, pianiste du groupe Opération Zéro et qui accompagne l’artiste ce soir. La chanson est incroyable, la voix ressort grâce aux techniques d’opéra. Rien que pour sa personnalité, Nemo mérite de gagner!» Kali travaille souvent avec divers artistes bernois et suisses, en tant que producteur et pianiste. C’est ainsi qu’il a connu Nemo. «On a commencé à jouer ensemble pour voir ce que ça donnait. Et ça a tout de suite marché.»
Pronostic: vainqueur
Kali et Remo Forrer ne sont pas les seuls à donner Nemo gagnant. En ligne, les parieurs estiment que la Suisse a 25% de chances de remporter l’Eurovision. Sur la terrasse de Carl Magnus Nesser, les convives de la soirée penchent même pour 100% de chances de victoire. «C’est un génie», répète l’ambassadeur de Suède, admiratif de sa musique. «Quand on l’entend chanter, on peut imaginer que la Suisse aura l’opportunité d’organiser le concours l’année prochaine», ajoute Jean-Marc Richard dans un sourire. Le commentateur de la RTS sera rejoint par son acolyte Nicolas Tanner, ainsi que par Julie Berthollet qui commentera la finale. Cette victoire, Jean-Marc Richard y croit, mais n’ose pas le dire trop fort. Nemo vainqueur en 2024 signifierait que l’Eurovision poserait ses bagages en Suisse en 2025. Il se murmure même que certaines villes auraient déjà été contactées par les producteurs. En Romandie? En Suisse alémanique? Nous n’aurons pas les détails.
En attendant, retour à la fête. Le groupe suédois The Vocalettes reprend les tubes d’Abba. On danse, on chante. La musique rassemble. C’est ce qui motive l’Eurovision depuis 1956 et la première victoire de la Suisse avec Lys Assia, lors de l’édition inaugurale à Lugano. Dans deux semaines, la Malmö Arena reprendra le flambeau.
>> Lire aussi: Moon: «Je me suis découverte grâce à l’art du drag»