Au premier téléphone, lorsqu’on le sollicite pour une interview, Nathanaël Rochat n’est pas très chaud. «On fait de l’humour et, tout à coup, on devient gnangnan en racontant sa vie ou son jardin secret… La télévision voulait faire mon portrait et n’a pas compris que je refuse. Mais je n’avais pas spécialement envie d’être suivi pendant des jours, de montrer où j’habite (à Lausanne), d’aller où j’ai grandi (aux Bioux, à la vallée de Joux), je ne vois pas trop l’intérêt. Certains collègues se moquent parfois de la manière dont je gère mon image. Moi, je suis en mode Prince ou Mylène Farmer. Je ne suis pas actif sur les réseaux sociaux. Je suis en mode bouche-à-oreille. Je fais tout à pied, c’est du folk.»
Comme l’humoriste est aussi farouche que sympathique, il accepte malgré tout, le temps de trouver un moment dans son agenda bien rempli. Séparé de leur mère, il s’occupe trois jours par semaine de ses enfants de 12 et 8 ans. Tous les soirs, les six représentations qu’il donnait au Théâtre Boulimie affichaient complet. Et puis il avait encore à écrire sa chronique pour «Les Beaux Parleurs», l’émission dominicale de La Première dont il est régulièrement l’invité. Seul en scène, où il donne le meilleur de lui-même, l’humoriste à la nonchalance nasillarde astique un peu tout le monde. Le bon sens en bandoulière, la vanne au coin des lèvres, il se joue lui-même avec tellement de naturel que l’on oublie les heures de travail.
- A quel moment vous êtes-vous rendu compte que vous pouviez faire rire?
- Nathanaël Rochat: J’étais encore à l’école. Quand on n’est plus capable de se distinguer par ses résultats scolaires, il faut bien trouver un autre moyen de se mettre en évidence. Quand je rentrais, mon père me demandait souvent si c’était bien allé à l’école. Et je répondais: «Oui, on a bien rigolé!» Ce n’était pas forcément la réponse qu’il attendait.
- Vous étiez déjà amateur d’humour?
- Vers 13-14 ans, j’aimais bien Coluche. J’avais aussi un 45 tours d’Emil. J’écoutais les deux faces en boucle.
- Et vos premiers textes?
- C’est venu plus tard, pendant que j’étais au gymnase. J’avais pas mal de difficultés… En fait, je ne suivais pas. Mais en trois ans, un ou deux profs ont quand même réussi à susciter chez moi un peu d’intérêt pour la littérature. J’ai beaucoup lu Céline… Si on fait abstraction de ses livres scandaleux, pas du tout recommandables, je trouvais ça très drôle à lire. J’aimais bien bricoler des textes, ça, je pouvais faire, j’y arrivais. Après, c’est devenu un peu un hobby, j’écrivais pour
le plaisir, en y consacrant vraiment beaucoup de temps.
- C’est le début de votre vocation?
- Pas vraiment, non. A 20 ans, je ne voyais pas mon avenir, j’étais comme dans un tunnel, à me demander: «Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire?» J’avais essayé l’Ecole normale, mais ils m’ont viré après une année. Ils ont bien fait. C’est la preuve que l’institution fonctionne! Finalement, j’ai fait un apprentissage d’employé de commerce à Lausanne.
- Mais vous faisiez déjà
du spectacle?
- Non, j’écrivais seulement des textes. Je me suis finalement lancé vers 25 ans sur des scènes libres, chacun faisait quinze minutes. C’était des scènes assez «bout de bois», du style garage, c’était le grunge de l’humour. J’aime bien l’image de l’armailli du lac Noir qui dit sa youtze au vent du soir. C’est un peu comme ça que je me vois sur scène.
- Vous faites ce que l’on appelle du stand-up, pourquoi ce choix?
- Je ne suis pas un taliban du stand-up, c’est juste que je ne sais rien faire d’autre. Il y a des gens qui font des imitations, qui inventent des personnages… Moi, pourvu que ça me fasse rire… En 2005, je suis parti vivre en Angleterre avec la mère de mes enfants, qui est Anglaise. Nous nous sommes installés deux ans à Bristol. Je bossais un peu, les boulots que font les Polonais. Le soir, j’allais écouter les humoristes sur les scènes libres. Et puis je me suis lancé. Un jour, un gars m’a dit que ce que je faisais, c’était du stand-up, mais je n’en avais jamais entendu parler. C’est une manière de s’adresser directement au public, avec un côté dépouillé, sans artifices, qui me plaît beaucoup. Ça a été une sorte de révélation. Avant, je ne m’intéressais qu’à mon texte et j’arrivais sur scène avec mes feuilles à la main. L’important, c’était le propos, l’interprétation passait derrière.
- De quoi parliez-vous dans vos sketches?
- Je parlais de ce que je vivais là-bas, quand je bossais dans un supermarché, il y avait deux ou trois choses à raconter. Je n’ai pas eu une vie vraiment difficile mais quand même, quand je faisais la plonge dans une cantine, je n’étais pas le plus heureux du monde! La scène libre, c’était ma petite soupape, avoir un rêve, nourrir une ambition secrète.
- Qu’est-ce qui vous reste de cette période?
- Une sorte d’entêtement, quelque chose que j’ai du mal à expliquer. Objectivement, je n’avais aucune raison de penser que j’aurais le moindre succès ni de croire que je gagnerais ma vie en faisant de l’humour. Mais malgré tout, on continue. Cet entêtement, cette dualité qui fait que l’on se dit que ça n’ira jamais nulle part mais que l’on continue quand même. J’ai touché mon premier cachet quinze ans après mes débuts. Il a fallu y croire.
- Comment écrivez-vous une chronique pour «Les Beaux Parleurs»?
- Il y a d’abord une phase pendant laquelle on réfléchit tout le temps. Parfois, la grosse difficulté, c’est de trouver un bon sujet. J’écoute Forum et d’autres magazines que je trouve souvent excellents sur la RTS. Ensuite vient la phase de récolte d’informations. Je prends des notes, je tourne les idées dans ma tête. Le minimum pour une chronique, c’est quatre à cinq heures, parfois quinze heures pour finaliser et peaufiner.
- Remontez-vous parfois à la vallée de Joux?
- Mes parents y vivent toujours et j’y ai quelques attaches. J’ai joué plusieurs fois là-haut. Mais nul n’est prophète en son pays. Je passe peut-être pour l’ambitieux, les gens se demandent: «Pour qui il se prend, celui-là?» Mes parents viennent parfois me voir, mais je n’aime pas trop, on sent qu’ils viennent plutôt contrôler que rire!
- Etes-vous plutôt fêtard ou casanier?
- J’aime bien aller boire une bière, mais j’aime bien ma télé aussi. Je l’appelle Françoise. Quand mes enfants croient que je suis tout seul, je leur dis: «Mais non, il y a Françoise!» Je passe beaucoup de temps avec Françoise.
- Et pour des vacances?
- Je n’aime pas trop partir dans un pays où je ne connais personne, où je ne sais pas où sont les endroits cools. De ce point de vue là, je préfère Lausanne et aller voir les gens que j’aime bien.
- Vous n’êtes pas amateur de grands voyages?
- Non, c’était même un sujet de discorde avec la mère de mes enfants. Quand j’étais plus jeune, je suis allé en Ukraine, en Roumanie, mais on effleure vraiment les choses. Un jour, j’ai entendu l’avocat Marc Bonnant citer Céline: «Le voyage, c’est la recherche de ce rien du tout, de ce petit vertige pour couillons.» Moi, je n’aime pas cette illusion d’aller s’imprégner d’un endroit alors que l’on ne va qu’entrevoir la vie des gens et ensuite on raconte plein de poncifs et de banalités, comme dire qu’ils n’ont rien mais qu’ils donnent tout parce qu’en Inde on peut manger pour 10 centimes! Moi, je dis que c’est peut-être pour ça qu’ils n’ont rien! Je ne suis pas un aventurier, j’ai du mal à sortir de ma zone de confort. En plus, on n’ose plus prendre l’avion parce qu’on culpabilise.
- Avec le succès, vous devez être parfois reconnu dans la rue, comment le vivez-vous?
- Pour le moment, ce n’est pas étouffant, ça va! En Suisse romande, il y a quand même des grosses pointures, donc je suis bien à l’ombre. Je suis assez jaloux mais je ne le montre pas. Mon succès reste vraiment tempéré, mais c’est quand même la garantie d’avoir encore un peu de travail.
- Quels sont vos rapports avec vos confrères?
- J’ai pas mal d’accointances avec Thomas Wiesel. On peut passer quarante minutes au téléphone à se conseiller, à se rassurer. On sait en général quand une idée est mauvaise, mais on a aussi besoin de tester et d’être conforté dans la bonne idée. C’est un drôle de job. En arrivant, je voulais la jouer Charles Dickens, m’inventer une famille misérable, avec sept frères et sœurs… Mais le prochain journaliste que je rencontre, je ne lui raconte que des salades.