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Le portrait

Nathan Hofstetter, cinéaste de la folie

Schizophrène, le réalisateur neuchâtelois Nathan Hofstetter a ému les Romands avec «Loulou», son premier long métrage où apparaissent sans filtre ses psychoses, ses amis d’hôpital, sa famille et son amour. Rencontre avec un explorateur de l’invisible.

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Coquet, le réalisateur sort rarement sans son nœud papillon. Julie de Tribolet

Comme extirpé d’un intense sommeil, le réalisateur neuchâtelois Nathan Hofstetter a besoin d’une cigarette et d’un thé de Noël à l’orange pour «atterrir» dans le présent. Et revenir à lui. De l’extérieur, celui qui a filmé ses névroses ressemble à ses camarades diplômés de l’ECAL option cinéma. Un hipster fasciné par l’univers de Stanley Kubrick qui, d’une lueur un peu rebelle, pense le 7e art en échappatoire. Comme un terrain de jeu.

Mais derrière le masque d’artiste se cache un personnage plus complexe, ballotté par des crises psychotiques dont émane une sensibilité rare. Depuis six ans, le trentenaire soigne un mal parfois incompris: la schizophrénie paranoïde, qu’on lui a diagnostiquée en 2013. Un terme médical qui change son monde, quelques mois après qu’il a reçu un Léopard d’or au Festival du film de Locarno pour «Radio-actif», son premier court métrage qui revisitait une de ses «descentes». «J’étais persuadé que mon corps était radioactif», raconte le faiseur d’images, sans tabou.

Une «folie» créative

Tout commence alors qu’il est frappé par un burn-out pendant son bachelor. Dans les moments d’épuisement, il délire. Ses hallucinations inquiètent son entourage. Il passe trois semaines à Préfargier, au Centre neuchâtelois de psychiatrie. En commençant par un séjour dans l’isoloir, confie-t-il. Instinctivement et de manière un peu inconsciente – selon le médecin qui le suivait à l’époque – Nathan Hofstetter décide d’allumer sa caméra pendant cette période agitée et tourne l’objectif sur lui. De 2011 à 2018, il enregistre ce qu’il surnomme ensuite la beauté de la parano.

Transparent, il se montre dans les moments les plus fragiles de ses crises, susurrant des mots aux absents, faisant les cent pas dans l’obscurité de sa chambre, réfléchissant à sa condition d’humain. Regard perdu dans celui du spectateur, il questionne le réel «augmenté» qui l’entoure. Et finit le sourire aux lèvres face à cet univers qu’il considère comme magnifiquement opaque. «J’affirmais par exemple que j’avais une caméra à la place de l’œil.»

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Le cinéaste commence toujours ses journées avec un thé et une cigarette. Julie de Tribolet

De ces rêves ou cauchemars éveillés, le réalisateur en façonne aujourd’hui une production cinématographique d’une belle authenticité. Il ajoute les témoignages silencieux ou chantés de ses proches, ainsi que des images contemplatives de paysages qui l’ont marqué. De Neuchâtel à la Norvège. «Au final, tout le monde est un peu loulou», s’amuse le jeune homme avec tendresse.

«Loulou», c’est le terme affectueux donné par ses potes pour désigner les personnes souffrant de troubles psychiatriques. Il devient naturellement le titre de son premier long métrage. Depuis sa sortie en septembre, le film a secoué près de 3000 personnes. Un joli succès pour une œuvre hybride, entre le documentaire et le film d’auteur. «Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le voir, nous allons le diffuser sur une plateforme en ligne et j’aimerais beaucoup sortir des DVD», confie-t-il. Il attend aussi le retour de différents festivals pour donner un second souffle à une création qui a fait parler d’elle notamment lors de la dernière édition du très prisé Visions du Réel à Nyon.

Sous contrôle

Tout au long de la rencontre, il se dégage de Nathan Hofstetter une douceur généreuse. Une bonté héritée de sa maman solaire, décédée brutalement il y a quatre ans. En hommage, il porte constamment sa bague en opales bleu ciel à l’auriculaire. De son père Laurent, il a plutôt hérité son absence de filtres et ses gènes de conteur. Père et fils sont d’ailleurs devenus inséparables.

Trottinette à l’épaule, le paternel à la voix de baryton-basse fait une entrée remarquée dans la rue lausannoise où vit dorénavant le réalisateur. Il est son premier fan. A chaque projection de «Loulou», il découvre de nouvelles facettes de son aîné. Très fier, le cinquantenaire a déjà vu trois fois le documentaire et ne s’en lasse pas. Lisenn et Kevin, les deux autres membres de la fratrie, ont aussi participé au projet de leur frère. Sans compter Alice, sa compagne depuis trois ans, qui apparaît dans plusieurs extraits et qui, derrière l’objectif de Nathan, se transforme en muse. «Je ne lui ai jamais caché qui j’étais et ce que je traversais», précise-t-il.

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Nathan Hofstetter a conservé le Léopard d’or qu’il a reçu en 2013 au Festival international du film de Locarno pour son 1er court métrage. Julie de Tribolet

Pour lui, «les fous sont les explorateurs malheureux de l’invisible». Bien malgré eux, ils sont confrontés à des réalités distordues. Des extrapolations sensorielles qui, pour ce 1% de la population suisse atteint de schizophrénie paranoïde, sont bien réelles. «Une psychose, c’est l’existence concrète de ce qui n’est pas vrai», résume-t-il un peu nerveusement en cherchant une meilleure définition.

Dans toutes ses apparitions médiatiques, il rappelle que les personnes atteintes de ce mal ne sont pas dangereuses. Il l’a d’ailleurs revendiqué lors de la première Mad Pride – un défilé en soutien aux gens atteints dans leur santé mentale – qui a eu lieu le 10 octobre dernier à Genève.

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Avec son père: les Hofstetter ont en commun un franc-parler et une passion pour les histoires. Julie de Tribolet

Soutenu par l’AI et porté par ses projets artistiques, il vit aujourd’hui comme tout un chacun. Ne prend qu’un médicament et voit son psychologue une fois par semaine. A terme, il ambitionne même de se débarrasser de tout soutien chimique pour être comme «Mère Nature [l]’a fait».

L’après-«Loulou»

En attendant, assis à la terrasse de son café fétiche à Lausanne, il s’enthousiasme pour son nouveau projet qui fait écho au courant écologique Extinction Rebellion. Il s’agit d’une aventure qu’il effectuera seul autour du globe en 2020, basée à nouveau sur la schizophrénie mais en y ajoutant cette fois une dose de fiction. «Pendant une crise, je m’étais vu comme Jésus. Je reprends l’idée d’un sauveur qui parcourt les continents. A la rencontre de ceux qui, comme mon personnage, se battent pour éviter l’apocalypse», lance-t-il avec une touche d’autodérision.

Dans cette trame «messianique» un peu décalée, Nathan Hofstetter continue de se réapproprier une de ses psychoses pour la raconter avec son art. «Je dis souvent que le cinéma, c’est un peu ma thérapie en continu.»


Par Jade Albasini publié le 23 octobre 2019 - 08:36, modifié 18 janvier 2021 - 21:06