«2022 a été une année de changements pour moi, puisque j’ai pris la direction du Musée de la photographie à Lausanne, en juin. Un mois important, car c’est non seulement le début de cette activité au sein de Photo Elysée, mais aussi l’inauguration de Plateforme 10, le nouveau quartier des arts de la capitale vaudoise. Normalement, lorsqu’on découvre une activité professionnelle, on prend le temps d’observer, de regarder comment ça marche. Cela ne s’est pas du tout passé comme ça! Dès les premiers jours, j’ai été happée par cette inauguration.
Mais pour qu’un quartier se construise, il faut du temps, c’est un gros navire. Avec le Mudac et le Musée cantonal des beaux-arts, nous devons apprendre à travailler ensemble. Il faut désormais donner vie à ce projet, une sorte de patine. J’avais peut-être un peu de naïveté en arrivant à Lausanne, en pensant que les choses étaient plus ou moins dessinées. Or tout est à faire et ce qui est extraordinaire, c’est que je peux participer à cette construction et lancer ce navire. C’est assez stimulant, c’est presque un autre métier pour moi avec beaucoup de problématiques passionnantes.
Alors oui, je reviens dans une institution que je connais. J’y ai travaillé de 1998 à 2010 en gravissant tous les échelons, de stagiaire à responsable du département des expositions. Certains ont parlé d’un retour aux sources, mais c’est un projet complètement différent avec un lieu, des enjeux et une dynamique qui n’existaient pas auparavant. Le monde a changé. Nous sommes aujourd’hui en permanence sur nos écrans et cela constitue aussi une concurrence pour les expositions. Toute une culture passe par internet et nous, les musées, devons nous renouveler, aller chercher les gens différemment. Mon projet à Photo Elysée est de réfléchir à comment attraper ces personnes et le premier petit projet que je présente ici est une exposition liée à l’Ukraine.
Cette guerre me touche véritablement. On a beaucoup parlé du fait qu’on accepte plus facilement les réfugiés ukrainiens que ceux venant du continent africain ou d’Asie. Pourquoi les reçoit-on mieux? Pourquoi, au fond, je pense plus souvent aux Ukrainiens qu’à ceux qui viennent de Somalie, un pays en état d’urgence depuis des décennies? Evidemment, ça m’interpelle et nous devons faire un travail d’ouverture vers le monde et considérer tous les humains de façon égale. Mais il est vrai que l’Ukraine est sur mon écran dès le réveil. J’ai été sidérée le 24 février, au moment de l’invasion russe. Depuis lors, je ne cesse de regarder ces images et de réfléchir à ce qu’il s’y passe. Et puis, une chose m’a touchée et c’est certainement ce qui explique pourquoi je prête beaucoup d’attention à cette guerre. Dès les premiers jours de l’invasion, les Ukrainiens ont fui et sont entrés en Europe par la Pologne.
Ma famille est d’origine polonaise, elle a été décimée durant la Seconde Guerre mondiale et parmi les rares survivants figure mon grand-père. Il a quitté son pays pour venir s’établir en Suisse. Je me suis construite avec cette histoire familiale. Quand je regarde les images venant d’Ukraine, je pense beaucoup à celles de 1939-1945. Des scènes sont identiques avec des réfugiés sur les quais de gare, des familles avec leurs baluchons qui quittent en catastrophe le pays pour se rendre à l’Ouest.
Avec l’exposition sur l’Ukraine, j’ai aussi voulu montrer qu’une quantité d’images faites sur place proviennent de téléphones portables et s’entrechoquent avec des clichés plus classiques. Il est important de réfléchir à la coexistence de ces images et de casser les hiérarchies entre les photographes professionnels et amateurs. Avec la guerre en Ukraine, tout se mélange.»