Naomi Lareine. Un nom d’artiste qui respire l’ambition. Encore inconnue il y a cinq ans, la Zurichoise à la voix veloutée traversée d’accents graves a embrasé le public alémanique, sur scène en particulier.
Un look qui oscille entre élégance et décontraction sportive, tatouages en prime. Une gestuelle parfois un brin masculine empruntée au hip-hop. Naomi Lareine déteste les talons aiguilles! Physiquement? Un mélange tonique de Dua Lipa et de Zoë Kravitz, avec un soupçon d’Ariana Grande, voire d’Alicia Keys, son idole. Son nouvel EP, Where Were You?!, comprend cinq titres à la production très soignée.
Une enfant de la balle? Du puck, devrait-on dire. Naomi Lareine est la fille de Martin Bruderer, légende du hockey suisse, pilier du club de Kloten. Auriane, sa maman, originaire du Sénégal et de Mauritanie, a grandi en France après son adoption.
Lesbienne et fière de l’être, Naomi Lareine incarne aussi la diversité suisse. Une femme engagée qui participe au progrès social.
En Suisse romande, ses passages au Montreux Jazz Festival et à Paléo, l’an dernier, l’ont fait connaître. Cet été, on l’a découverte à l’Eren Festival, à Saint-Prex. A-t-elle été agacée par les smartphones brandis dans le public? Brian Molko, chanteur du groupe Placebo, confiait récemment en avoir ras le bol de cette marée de portables. Naomi Lareine est moins catégorique. Question de notoriété. «Pour le moment, ça ne m’embête pas du tout, dit-elle. Je suis davantage perturbée par les pancartes qui m’interpellent ici et là... Sans lunettes, je ne peux pas les lire!» Elle éclate de rire.
>> Lire aussi: Nuit Incolore: le rêve éveillé d’un poète musicien
Un tournant de carrière
Sa voix de velours lui vaut des louanges. Elle s’en réjouit. Dans ses chansons, elle explore dans la langue de Shakespeare sa part d’intimité, parle de ses anciennes amours, de cette enfance de confrontation qui ne lui a pas laissé que de bons souvenirs d’école, à cause de sa peau métissée et de son attitude de garçonne. Ce passé, elle s’y replonge quand elle compose. «Le studio est le lieu où je prends le temps de l’introspection. Au quotidien, ça va trop vite! Si je m’arrête et que je réfléchis trop, j’ai vite tendance à sombrer dans la déprime. Heureusement, quand j’ai besoin de parler, je peux compter sur ma copine, sur ma famille aussi – on est très unis chez les Bruderer.»
Pour son nouvel EP, Naomi Lareine a monté un groupe de scène. De quoi donner un relief organique à sa musique. Le single «Colorblind», qui évoque l’aveuglement des couples amoureux, ces daltoniens de l’amour comme elle les décrit, a le poids d’un vrai tube.
Naomi Lareine est à un tournant. Elle le sent. «Ce que j’avais enregistré jusque-là ne suffit pas pour le marché international, analyse-t-elle. Il me fallait plus de pop. J’adore la Suisse et je veux rester ici, mais mon but ultime, c’est de réussir ailleurs. Je suis consciente d’être déjà une privilégiée, mais je vois plus grand. J’en veux plus!» Une vraie Capricorne.
«Je me suis beaucoup cherchée ces dernières années. Ma chanson «Where Were You?!», qui figure sur mon EP et lui donne son titre, parle de cette quête personnelle. Quand je demande «où étais-tu?», je me parle à moi-même. J’ai l’impression de révéler enfin qui je suis vraiment: la vraie Naomi Lareine.»
Il est vrai que depuis la sortie du single «Sweet Latina» qui l’a fait connaître en 2020, la Zurichoise a beaucoup mûri. Sa relation avec Gina, tatoueuse de profession, y a participé. A 30 ans, Naomi Lareine «déborde d’énergie». Elle croit plus que jamais en sa bonne étoile. «Sia est devenue une star planétaire à 40 ans», fait-elle remarquer. Exact.
>> Lire aussi: NNAVY, l'étoile montante de la néo-soul
Avant de devenir Lareine, Naomi Bruderer s’est d’abord nourrie des goûts musicaux de ses parents. «En voiture, avec mon papa, c’était les Beatles et Queen. Avec ma maman, c’était hip-hop et R&B.»
On imagine que, gamine, elle n’avait d’autre choix que d’aller voir son père évoluer sur la glace. Elle rectifie: «J’adorais ça, en réalité, comme j’adorais jouer au hockey avec lui. Je me souviens qu’à la patinoire je n’avais pas le droit de dire que j’étais sa fille. C’était pour me protéger de certains fans.» Elle découvre jeune que la célébrité est à double tranchant.
Un père athlète, ça prend de la place. «Mon papa m’a toujours donné de précieux conseils. Il lit en moi comme dans un livre ouvert.»
A l’école du sport
Pour se distinguer, elle choisira le football comme école de la vie. «Le sport m’a surtout servi à accepter l’échec, confie l’ancienne joueuse de GC. Cela me sert encore. J’ai aussi adoré avoir des coéquipières. Longtemps, je pensais devoir tout faire toute seule. L’esprit d’équipe m’a énormément aidée, dans ma carrière sportive et musicale.»
Naomi Bruderer était une footballeuse talentueuse, au poste de milieu de terrain défensif. Elle se hissera jusqu’en équipe de Suisse des moins de 19 ans avant de tout arrêter. Blessure? «Non, c’est bien plus simple: je n’avais plus envie. J’avais atteint mon objectif principal qui était d’intégrer la sélection nationale. J’ai fini l’école et bifurqué vers une carrière artistique.»
A 30 ans, elle est à un carrefour de sa vie, artistique et personnelle. Ainsi at-elle maintenant besoin d’explorer ses racines maternelles africaines. «C’est récent, confie-t-elle, mais je me sens désormais prête à me rendre en Afrique de l’Ouest, où je ne suis jamais allée. En fait, j’ai l’impression de trouver enfin ma véritable identité.»
Elle a aussi pris ses distances avec la sexualisation de sa propre image. En 2020, la pochette de son EP «Sweet Latina» représentait un corps féminin nu derrière une vitre floutée. «Ce n’était pas moi», précise-t-elle. Sur son nouvel EP, elle apparaît vêtue d’un chemisier bleu ciel et de bottes noires. Posture de rappeuse, avec cravate s’il vous plaît.
«Les artistes féminines ont longtemps été hypersexualisées, parfois malgré elles, observe-t-elle. Désormais, elles n’ont plus besoin de personne pour affirmer leur pouvoir. Elles font comme elles veulent. Si elles ont envie de se déshabiller, elles le font pour elles-mêmes. On est dans un mouvement de récupération et d’affirmation de nos droits. Les femmes suivent leurs envies et elles ont bien raison.»
>> Lire aussi: Flèche Love: «Chanter sur la maltraitance n’est pas facile»
Sur le plan privé, Naomi Lareine, qui avait fait son coming out sur son single «Sweet Latina» en 2020, partage la vie de Gina depuis bientôt cinq ans. Le couple réside à Opfikon (ZH). Un projet de mariage était même évoqué ce printemps. S’est-il concrétisé? «Le mariage est quelque chose qui compte énormément à mes yeux, répond l’artiste. Je souhaite un jour me marier et je m’imagine très bien le faire avec Gina, mais pour l’instant, on n’est pas prêtes. On en parle comme d’un futur voyage qu’on rêve de faire et cela nous réjouit.»
>> Découvrez l'album de Naomi Lareine: «Where Were You?!» (Columbia), distr. Sony Music.