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Le reportage

La muraille du Japon

Traumatisé par le tsunami qui ravageait ses côtes il y a huit ans, le 11 mars 2011, le Japon a fait ériger sur 450 kilomètres une muraille de béton contre le Pacifique. Une mesure terriblement coûteuse et à l’efficacité très controversée.

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A Ofunato, les murs s’élèvent désormais à 11 mètres de hauteur, contre 6 avant le tsunami de 2011. Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Il est 14 h 46, ce vendredi 11 mars 2011, lorsqu’un séisme d’une magnitude de 9,1 sur l’échelle de Richter survient au large de la côte Pacifique de la région du Tohoku, ébranlant jusqu’aux immeubles de Tokyo. Il déclenche un raz-de-marée dont les vagues monstrueuses s’abattent sur 600 kilomètres de côte. Près de 19'000 personnes perdront la vie. Dans le même temps, les systèmes de refroidissement de plusieurs centrales nucléaires, dont celle de Fukushima, s’arrêtent, provoquant une catastrophe nucléaire aussi grave que Tchernobyl. Des milliers de personnes sont évacuées.

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  Manuel Forney / L'illustré

Ce séisme, le plus puissant jamais enregistré au Japon, constitue évidemment un immense traumatisme pour le pays, archipel volcanique exposé et rompu aux colères des secousses telluriques. Très vite, les autorités proposent une solution radicale: l’érection de murs anti-tsunami bien plus hauts que les constructions existantes qui ont cédé face aux assauts des vagues.

Selon les experts, même si les tsunamis s’avèrent plus hauts que les barrages, ces derniers retarderont l’inondation et laisseront plus de temps pour l’évacuation.

450 kilomètres de béton

Dans un premier temps, les habitants du nord-est du pays, choqués et meurtris, acceptent volontiers ce projet. D’autant que, lors des séances d’information, ils sont prévenus: tout refus entraînera le blocage des reconstructions et du relogement. Il est vrai que le lobby de la construction est extrêmement puissant et que les travaux relancent l’économie locale. Ils sont aujourd’hui quasiment achevés, alors même que des habitants n’ont toujours pas été relogés.

D’ici à l’an prochain, 450 kilomètres de digues de béton feront barrage contre le Pacifique. Un projet pharaonique, dont les coûts, à la charge de l’Etat, s’élèvent à près de 12 milliards de francs.

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A gauche, l’une des images les plus spectaculaires du tsunami, une vague franchissant le mur qui protégeait le petit port de pêche de Miyako. Désormais, une nouvelle frontière de béton abrite la ville. Jiji Press / AFP - Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Originaire de Tokyo, le photographe Tadashi Ono, aujourd’hui installé en France, est d’abord retourné dans son pays natal entre 2011 et 2012 pour y photographier les conséquences du séisme. Lorsqu’il entend parler des murs en construction, il revient sur place en 2017 et 2018. Dans son spectaculaire travail «Coastal Motifs», présenté dans des festivals du monde entier et récemment projeté lors de la Nuit de la photo à La Chaux-de-Fonds, Tadashi Ono assure qu’il ne faut pas tenter de voir un message particulier. Il a voulu proposer «des documents photographiques qui décrivent notre environnement transformé par l’activité humaine. […] Je cherche tout simplement à traduire la beauté du paysage de cette région, avec l’intrusion de ces murs-ovnis.»

Cependant, lors des nombreuses interviews qu’il a accordées, l’artiste n’a pas caché qu’il était lui-même opposé à ces constructions. Pour lui, elles véhiculent «un message inédit de la part d’une nation maritime: le refus du dialogue avec l’océan qui l’a fait vivre durant deux mille ans».

Impact écologique inconnu

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La hauteur et l’épaisseur des murs dépendent de leur emplacement, ici à Ohno Bay. Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Cité par la revue L’Architecture d’aujourd’hui, le photographe estime que «la majorité des habitants, les pêcheurs ou les gens qui vivent du tourisme, est contre. Ils ne sont pas sûrs que cette digue anti-tsunami sera efficace lors du passage d’un prochain grand tsunami.» Sans parler de l’inconnue de l’impact écologique de la digue sur l’écosystème du littoral dont dépendent pêche et tourisme.

Par ailleurs, ces murs pourraient au final se révéler être une protection factice. «La digue nous donne un faux sentiment de sécurité et nous fait perdre l’instinct et la connaissance des tsunamis. L’histoire nous conseille de s’échapper vers la hauteur en cas de tremblement de terre – le tsunami arrive une demi-heure plus tard – or cette digue risque de nous faire rester près de la mer en cas d’alerte.» Enfin, leur entretien devra être assuré par des communes déjà fortement fragilisées économiquement.

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Ces ouvertures dans le mur, comme des meurtrières, offrent un aperçu dérisoire de l’océan. Ofunato Bay, préfecture d’Iwate. Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Côte défigurée

Certains, qui ont perdu des proches et fait faillite après la catastrophe, rechignent à se montrer trop critiques. Et tant pis pour le tourisme, qui va forcément souffrir de cette côte défigurée. Tant pis, surtout, pour ceux qui ont vécu avec les aléas de l’océan pendant des générations et trouvent cette séparation insupportable.

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Pour beaucoup, les digues, ici à Hirota Bay, constituent une séparation insupportable avec l’océan. Tadashi Ono / La Villa Kujoyama

Par Albertine Bourget publié le 12 mars 2019 - 08:47, modifié 18 janvier 2021 - 21:03