Nous l’avons attrapée au téléphone lundi, dans la voiture qui l’emmenait à un shooting de la Schweizer Illustrierte. La veille au soir, Mujinga Kambundji était apparue glamour pour la soirée des Sports Awards à Zurich, lors de laquelle elle a été consacrée sportive de l’année.
En octobre dernier, elle devenait la première sprinteuse helvétique à remporter une médaille dans un championnat du monde en plein air: le bronze sur 200 mètres à Doha. Une confirmation phénoménale après le bronze décroché l’année dernière sur 60 mètres aux Championnats du monde en salle de Birmingham. «Cette récompense est un grand honneur, le meilleur prix que puisse recevoir un sportif en Suisse. Je savais que j’avais de meilleures chances que lors des années précédentes, mais cela reste une grande surprise», salue-t-elle dans son français décomplexé, qu’elle entretient aussi avec son compagnon, un Valaisan.
Dès le lendemain matin, la jeune femme était de retour à l’entraînement au Stade de Suisse, qu’elle appelle toujours, en vraie Bernoise, le Wankdorf. Ces temps-ci, celle qui partage aussi son temps entre Zurich, Macolin et Londres (où est basé son entraîneur britannique Steve Fudge) privilégie la capitale. C’est là que vit sa famille, dont elle est très proche, et là qu’elle a grandi, auprès d’une mère bernoise et d’un père congolais qui lui parle français.
Les vacances à l’île Maurice semblent déjà loin. C’est là qu’elle s’est posée et où nous l’avons accompagnée après son triomphe à Doha. Quelques jours à souffler, à regarder «Game of Thrones», à prendre le petit déjeuner à 9 heures passées. Le farniente certes, mais l’esprit ouvert: la voilà qui interroge le chauffeur de taxi sur les nombreuses plantations de canne à sucre, découvre la production locale de rhum et savoure les noix de coco sur la plage publique de Flic en Flac. De la même manière, elle a voyagé sac au dos et dormi en auberge de jeunesse en Australie. Au Maroc, elle a vécu dans la famille d’une amie et n’a pas hésité à goûter à un mouton fraîchement tué lors d’une fête.
Si elle rêve de faire un safari en Afrique, Mujinga Kambundji aimerait surtout découvrir le pays natal de son père, Safuka. Pas plus que ses trois sœurs, elle ne connaît la République démocratique du Congo. La famille n’y est encore jamais allée ensemble, pour des questions de coût et de sécurité. «Un jour, absolument! Peut-être l’année prochaine.»
Mais pour l’heure, la sprinteuse a retrouvé la grisaille helvétique et l’entraînement. Pour elle, la saison 2020 a déjà commencé. En ligne de mire, les Jeux olympiques de Tokyo, qui se dérouleront du 24 juillet au 9 août prochains. Elle a d’ailleurs décidé de faire l’impasse sur les Championnats du monde d’athlétisme en salle, qui se tiendront à Nankin (Chine) en mars. «Cela va me permettre de me préparer le plus tranquillement possible.» Que peut-on lui souhaiter pour ces Jeux? «Que j’y réalise ma meilleure performance», sourit-elle. Elle espère bien décrocher une place «en finale du 100 mètres, ou au 200 mètres avec le relais».
Un relais suisse qui s’est vu décerner le titre d’équipe de l’année aux Sports Awards: avec Mujinga Kambundji, Ajla Del Ponte, Sarah Atcho et Salomé Kora avaient établi un record (42,18 secondes pour le 4x100 m) et frôlé le podium. Egalement récompensé, l’entraîneur suisse de la jeune femme, Adrian Rothenbühler. Pour Florian Clivaz, co-manager de la sprinteuse, c’est tout l’athlétisme suisse qui se voit ainsi célébrer. «Rendez-vous compte, en 2013, on me demandait encore si la Suisse comptait des athlètes professionnels», s’emballe le Valaisan, lui aussi sprinteur.
Aujourd’hui, sa protégée croule sous les appels des sponsors. «Elle a ce luxe de pouvoir choisir, elle est l’une des rares à bénéficier de cet intérêt gigantesque», salue-t-il. La jeune femme peut ainsi compter notamment sur le soutien de Nike, BMW, UBS…
Prié de décrire la sprinteuse dont il gère la carrière avec celles d’Angelica Moser, spécialiste du saut à la perche, et du sauteur en hauteur Jason Joseph, Florian Clivaz souligne le décalage entre celle qu’elle est dans la vie et dans les stades. «C’est une personne qui a les pieds sur terre, qui est normale, très sympa, très famille, proche de ses parents et de ses sœurs. Et tout d’un coup, la voilà qui se transforme en bête de compétition et explose sur la piste. C’est fascinant à observer.»
Comment l’intéressée explique-t-elle sa double personnalité? Mujinga Kambundji éclate de rire. «C’est difficile à dire! J’ai une passion, je veux tout donner pour, et c’est ainsi depuis que j’ai découvert le plaisir de courir contre les autres, à l’âge de 7 ans. C’est aussi pour moi un sentiment incroyable que de voir le résultat et de participer à un championnat après avoir travaillé dans ce but, comme à Doha où j’ai vécu des moments magnifiques!»
Aujourd’hui, la jeune femme semble s’accommoder de sa célébrité. En 2014, lors des Championnats d’Europe à Zurich et face à sa notoriété naissante, elle avait eu du mal. Désormais, elle s’amuse avec l’objectif, tout en protégeant sa vie privée: pas question par exemple de poser avec son compagnon, qui l’a accompagnée en vacances. «Je suis très ouverte, un peu moins en ce qui concerne ma relation», glisse-t-elle.
Prudence aussi à l’égard des feux de la rampe. «Je veux rester quelqu’un de proche des gens. Une femme forte et indépendante, qui a les choses en main et décide pour elle-même. Et qui peut être un exemple pour les autres, pas seulement dans le domaine du sport.»