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Athlétisme

Mujinga Kambundji: «Je ne m’entraîne pas pour être deuxième»

Elle va défendre son titre européen du 200m à Rome puis s’embarquer pour les Jeux de Paris. A la veille de ces rendez-­vous intenses, la prodigieuse sprinteuse bernoise dévoile sa philosophie de sportive. Cash, elle décrit sa fulgurante discipline, «sans stratégie, sans tactique», où elle ne peut en vouloir qu’à elle-même.

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L'athlète suisse Mujinga Kambundji

Née en 1992 d’une mère bernoise et d’un père congolais arrivé en Suisse à 25 ans pour des études de théologie, Mujinga Kambundji est la Suissesse la plus rapide de l’histoire (10’89 sur 100m, 22’05 sur 200m). La première à avoir brisé la barrière mythique des 11 secondes sur 100m.

Anoush Abrar – Mise en beauté Francis Ases

Il pleut dru sur Berne quand notre équipe entreprend d’exalter la beauté de Mujinga Kambundji. Malgré les lieux et la lumière en... berne, ce n’est pas difficile. Avec elle, les escaliers du stade d’athlétisme du Wankdorf, où elle pose, se donnent des airs de Hollywood-sur-Aar. Précise, la championne répond aux questions tout en se faisant maquiller («Les cils de haut en bas, s’il te plaît») et tout en elle semble sans hésitation devant les immenses rendez-vous qui l’attendent. Elle sera bientôt à Rome (elle a planifié le 100 et le 200m aux Européens, dès le 7 juin) et à Paris (elle disputera probablement le 100m, le 200m et le relais 4 x 100m aux Jeux olympiques, dès le 26 juillet), les villes de l’amour. Elle y courra très vite, comme à Munich en 2022, où elle termina championne d’Europe du 200m. Ou à Tokyo en 2021, quand elle finit 6e et 7e des 100 et 200 m olympiques. La Suisse suivra ces quelques secondes en apesanteur, sans peut-être réaliser combien briller en sprint est fou: c’est une discipline où les pays de la planète entière sont concernés, tout être humain a couru un jour. Mujinga Kambundji a ouvert au sport helvète des portes qu’on croyait fermées à jamais.

- Rome en juin, Paris cet été. Comment vivez-vous ce compte à rebours?
- Mujinga Kambundji:
C’est bien que cela commence. L’hiver, on ne peut faire que la base, le gros travail. Ensuite, pendant les compétitions, tout devient concret et même les entraînements procurent plus de plaisir. C’est plus rapide, plus explosif. C’est autre chose. Tu peux te concentrer sur tes faiblesses du moment et, même après toutes ces années, il y a des surprises, c’est toujours différent. Cela fait du bien. En Chine, en début de saison, ce n’était pas si mauvais. Les chronos n’étaient pas encore top, mais c’était pareil chez tout le monde.

- Vous sortez d’une blessure. Avez-vous encore des douleurs?
- Ce n’est pas encore parfait, dans le sens où je dois toujours faire attention. Mais je n’ai plus de gêne ni de problèmes. Une athlète n’est de toute façon jamais à 100%, il y a toujours un petit truc qui fait mal. Mais rien ne me dérange à l’entraînement ou en compétition.

- Vos ex-collègues Lea Sprunger et Marisa Lavanchy avouaient parfois qu’il était difficile pour elles de se montrer égoïstes sur la piste, presque méchantes. Est-il facile pour vous de battre les autres?
- J’arrive à faire la part des choses, il n’y a aucun souci. J’ai beaucoup de personnes que j’apprécie parmi mes concurrentes, oui, je peux être sympa avant et après la course. Mais pendant, même si c’est ma sœur, je veux aller le plus vite possible.

- Vous avez toujours été ainsi?
- Au final, si tu t’entraînes autant, c’est que tu veux gagner. Je pratique un sport sans contact des corps. Chacun fait son truc dans son couloir, sans pouvoir influencer l’adversaire. Tu peux respecter et apprécier quelqu’un, et à la fois vouloir la battre.

L'athlète suisse Mujinga Kambundji

Pour Mujinga, battre ses adversaires ne pose aucun problème de conscience. «Même avec une amie comme la sprinteuse Alexandra Burghardt, j’espère qu’elle veut me battre en compétition, et moi aussi je veux la battre. Rien de malsain, c’est le sport.»

Anoush Abrar – Mise en beauté Francis Ases

- Même si elle pleure à la fin, que tout se joue au centième de seconde?
- Tout le monde sait que cela fait partie du sport. C’est une concurrence saine. On ne s’entraîne pas toute l’année avec l’ambition d’être deuxième. Même avec une amie proche, comme la sprinteuse allemande Alexandra Burghardt, j’espère qu’elle veut me battre en compétition, et moi aussi je veux la battre… Il n’y a là rien de malsain, c’est le sport; parfois tu gagnes parfois tu perds. Cela dit, aux Européens de Munich, je me suis réjouie qu’elle accède à la finale et elle s’est réjouie que je gagne. Il y a beaucoup de respect entre nous.

- N’y a-t-il jamais de provocation, par exemple avec les Américaines?
- Pas chez nous. Dans la «call room», avant le départ, personne ne se regarde, mais il n’y a pas de «trash-talking», non. Je ne l’ai jamais vécu.

- Arrivez-vous à deviner comment l’adversaire se sent, comme chez les cyclistes?
- Non, nous n’avons pas de stratégie, pas de tactique. En sprint, chacun y va à fond et fonce tout droit. Si l’autre est plus rapide, tu t’inclines.

- Un de vos premiers entraîneurs à Berne, Jacques Cordey, dit de vous que vous êtes «une fille pas compliquée». Vous êtes d’accord?
- C’est probablement vrai. J'essaie de ne pas réfléchir sur des aspects sur lesquels je n’ai pas de prise. Je me concentre sur ce que je peux influencer.

- La vie de sportive est-elle plus compliquée que la vraie vie?
- En sport, c’est très simple: tout le monde connaît le lieu, la date et l’heure de la finale olympique ou des Championnats d’Europe. Tout le monde sait qu’il faudra être prêt ce jour-là. Tout est dans tes mains.

L'athlète suisse Mujinga Kambundji a été championne d’Europe du 200 m en 2022

Mujinga a été championne d’Europe du 200 m en 2022.

Matthias Hangst/Getty Images

- C’est un privilège?
- C’est aussi plus de risques, de responsabilités. Il serait plus facile d’accuser quelqu’un d’autre. Je trouve cela très intéressant, j’apprends tellement au travers du sport. Dans la vie, tu peux avoir des injustices ou des situations que tu ne peux pas influencer, avec des gens qui décident pour toi. Lors d’un championnat, personne ne décide à ta place. Si tu es la plus rapide, personne ne peut dire le contraire, même si on ne t’apprécie pas. Ce n’est pas une compétition où c’est le meilleur politicien qui l’emporte. Celui qui a tout fait juste gagne, juste parce qu’il est le plus rapide. J’aime être jugée sur mes actes.

- Vous avez souvent changé d’entraîneur...
- Même après une bonne année, j’ai toujours essayé de me remettre en question, d’effectuer une analyse honnête et de chercher à m’améliorer, avec cette seule interrogation: est-ce que les personnes autour de moi peuvent encore m’aider à avancer? Il m’est même arrivé de tout changer en cours d’année. Quand j’étais à Mannheim (Allemagne), j’ai constaté que l’entraîneur de là-bas n’arrivait pas à me donner ce dont j’avais besoin. Je suis seule sur la piste, j’en assume les conséquences. Si quelque chose ne marche pas, je préfère être seule responsable de cet échec.

- Quel est l’âge idéal pour un sprinteur?
- Il y a dix ans, j’aurais dit à 25-27 ans, parce que les meilleures sprinteuses se situaient dans ces âges-là. Or, aujourd’hui, les mêmes sont toujours présentes. La moyenne est plutôt au-dessus de 30 ans, avec des exemples comme Shelly-Ann Fraser-Pryce, Marie-José Ta Lou, Elaine Thompson-Herah. Beaucoup d’athlètes sont devenues plus fortes en prenant de l’âge. Tout dépend de la manière de s’entraîner.

- Et vous, votre corps de 31 ans?
- Il me pardonne moins que quand j’étais plus jeune, mais je me connais mieux. J’ai besoin de moins d’entraînements et ma technique est meilleure, grâce à toutes ces années d’expérience. Je comparerais avec des jeunes de 18 ans qui sortent pour faire la fête du jeudi au dimanche et ne ressentent rien le lundi. Alors qu’à 35 ans, si tu bois un peu trop, tu te sens mal pendant deux jours. Mais tu sais comment tu fonctionnes.

- Que vous apporte votre ami et coach valaisan, Florian Clivaz?
- Il était sprinteur et il comprend bien comment je fonctionne, à quoi il faut faire attention avec moi. Il saisit vite comment je me sens et ce dont j’ai besoin à chaque moment. Faut-il plus d’accélération? Plus d’intensité? Il arrive à combiner les aspects d’athlète et d’entraîneur, car il s’est entraîné seul pendant la dernière année de sa carrière. C’est important d’être flexible, de savoir s’adapter. Tu as beau faire des plans, cela ne se passe jamais comme prévu…

Mujinga a commencé sa saison 2024 lors de meetings de la Diamond League en Chine accompagnée par sa sœur Ditaji et son ami et coach Florian Clivaz

Mujinga a commencé sa saison 2024 lors de meetings de la Diamond League en Chine. Accompagnée par sa sœur Ditaji (à dr.), médaillée de bronze aux Européens sur 100 m haies en 2022. Et son ami et coach, l’ex-sprinteur valaisan Florian Clivaz (au centre).

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- Comment vous voyez-vous dans dix ans?
- Quelque part dans le sport, mais plus sur la piste. Et j’espère avoir une famille à moi, moi qui ai grandi dans une large famille.

- Jacques Cordey dit que, chez les Kambundji, tout se règle autour de la table de la cuisine...
- Oui, nous mangions tous ensemble, nous parlions beaucoup. Cela a changé, car une seule de mes sœurs vit encore à la maison. On se voit moins, même si on se téléphone souvent. Ma grande sœur a deux enfants, moi, j’ai le sport, la troisième habite à Londres. Ma famille, c’est hyper-important pour moi. Ils essaient de venir le plus possible dans les compétitions. A Tokyo, comme ils n’avaient pas le droit d’être là, j’ai adoré avoir ma sœur avec moi. Nous étions dans la même chambre, nous avons tout vécu ensemble. Là, lors de notre récent séjour en Chine, c’était parfait de faire toutes ces expériences avec elle, ainsi que Florian. Je peux apprendre d’elle, elle peut apprendre de moi.

- Qui va venir à Paris?
- Mes parents, ma tante, mon oncle. Mes sœurs verront. Avec Ditaji et moi, ils ont quatre disciplines à suivre, ce sera intense.

L'athlète suisse Mujinga Kambundji avec sa famille aux Jeux de Rio, en 2016

Mujinga avec sa famille aux Jeux de Rio, en 2016. A g., devant: sa mère Ruth, son père Safuka (2e rang), sa sœur Ditaji (4e rang). A dr.: ses sœurs Kaluanda (devant) et Muswama (3e rang).

Sven Thomann/Blicksport
Par Marc David publié le 6 juin 2024 - 11:46