«Un jour, mon éditeur m’a dit: "Julie Berthollet te ressemble, elle dégage quelque chose qui me rappelle toi." Moi, les amours arrangées, non merci. Généralement, ça ne marche pas.» Ainsi parlait le romancier canado-suisse Quentin Mouron, attablé à Paris à La Terrasse, une brasserie du XVIIe arrondissement.
En attendant sa chérie, il déguste un excellent pouilly fumé à l’arôme de pierre à fusil. A 30 ans, six titres au compteur, un air de bad boy romantique, les filles devraient tomber comme des mouches. Brillant garçon à la plume acérée, passionné, il est d’une nature réservée, limite timide. «J’ai galéré une année sur Tinder après ma dernière rupture en mai 2018. On pourrait croire que la notoriété vous aide, qu’il suffit de balancer trois photos sur une appli. Mais pas du tout.»
Amoureux après trois minutes
Julie le rejoint. Ils se dévorent des yeux. Entre l’écrivain et la musicienne, c’est une évidence. Quentin se met spontanément à l’écart lorsqu’on demande à sa chérie de nous parler. Elle enchaîne: «Ma mère est une grande lectrice. Un jour, elle m’a dit: "Quentin est fait pour toi!" Elle avait reçu son dernier roman.» Le picaresque «Vesoul, le 7 janvier 2015» (Ed. Olivier Morattel). «Je l’ai lu, beaucoup aimé et le lui ai fait savoir.»
Mouron a répondu, poliment. Le temps a passé et puis, comme dans les bonnes comédies romantiques, le destin a fait le reste. En mai, au dernier Salon du Livre de Genève, il était en dédicace. Julie était invitée à jouer avec sa sœur Camille. «J’étais curieuse de rencontrer Quentin. On s’est plu après trois minutes.» Désormais, ils vivent leur relation au grand jour. Un jeu de piste, des images sages postées sur Instagram.
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"Qui de nous deux?" par les soeurs Berthollet
Seraient-ce les bienfaits de l’amour? Depuis quatre mois, la violoniste, violoncelliste et pianiste de 22 ans n’est plus tout à fait la même. Le cheveu est plus clair que sur les images de promo partagées avec sa sœur. Cette crinière de feu signature, marque de fabrique des sœurs Berthollet. Julie porte une tresse émaillée d’anneaux argentés, un jean taille haute et un chemisier largement échancré sur sa peau claire. On en oublie l’artiste, on découvre la femme.
Question d'agenda
Elle retrouve Quentin lorsque leurs agendas le permettent. Parfois à Paris, où elle habite et travaille avec sa cadette dans un appartement déniché par l’animateur de M6 Stéphane Plaza. Parfois chez lui, en Suisse, à Vevey, où ce natif de Lausanne s’est installé depuis cinq mois. «D’habitude, les couples fonctionnent mal pendant l’année et sont heureux en vacances. Nous, à chaque fois qu’on se voit, c’est les vacances», dit-il. Derrière chaque phrase, on sent battre le pouls de leur bonheur, la joie des retrouvailles. Chaque minute compte.
Il est arrivé la veille, en pleine grève des transports. Une galère made in France. Julie achevait de poser avec Camille pour la pochette de leur cinquième album, agendé début 2020. Deux jours de shooting, dix heures par jour sous la houlette de Simon Fowler. Il a notamment travaillé avec Freddie Mercury et Queen.
Ce disque de 24 titres sera-t-il strictement classique, comme elles l’avaient confié à L’illustré? «Dans la première partie, oui. Puis, en miroir, ce sera mainstream. J’ai signé quatre compositions originales.» Une première pour elle. Lundi, elle rejoignait Toulouse pour enregistrer avec sa sœur et l’Orchestre national du Capitole.
Première fan
De son côté, Quentin a terminé un long poème intitulé «Lost». Une commande pour accompagner le travail du photographe romand Claude Dussez, parti aux Etats-Unis. «J’ignorais qu’il écrivait de la poésie. J’ai lu, ça m’a beaucoup émue», avoue Julie. Elle est devenue sa première lectrice.
«La force de notre relation m’aide à créer, dit-il. Je n’ai jamais écrit aussi vite et autant depuis que nous sommes ensemble. Chez moi, la littérature – la lecture comme l’écriture – comble son absence.» Une émulation? «Julie fait plein de choses très bien. Je n’allais pas rester à regarder le foot les pieds sur la table. D’ailleurs, je déteste le foot.»
Quentin écrit quand il en a le temps. Il enseigne aussi dans une école privée lausannoise. «Mes élèves ont de 12 à 20 ans. Je partage avec eux les auteurs que j’aime, Baudelaire, Jean Genet.»
Récemment, il a fait découvrir à Julie «Le double» de Dostoïevski. «Je l’avais offert à mon père (le dessinateur Didier Mouron, ndlr). Il en a fait le thème de sa prochaine expo, qui se tiendra début octobre dans son espace-galerie à Giez.»
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«La culture, c’est nous!»
Quentin connaît aussi bien la musique que Julie les lettres. Dans la conversation, les références fusent sans pédanterie. Qu’on leur demande ce qu’ils font de culturel lorsqu’ils se retrouvent et ils ouvrent le tiroir des sarcasmes. «Je suis assez nul pour organiser quoi que ce soit, avoue Mouron. On s’en fiche, la culture, c’est nous!»
Sa blague le fait rire et lui fait honte. On croirait entendre «La République, c’est moi!» de Jean-Luc Mélenchon. Sauf qu’ici c’est du dixième degré. Julie enchaîne: «En réalité, on irait dans une librairie, on mangerait une glace chez Berthillon et des caramels», dit-elle, candide. Elle ajoute: «Dès le début, j’ai aimé chez Quentin son côté politiquement incorrect.»
Dans ce registre, la demoiselle tient la dragée haute à son chevalier servant. «Nous avons fêté ses 30 ans en Italie. C’était notre premier voyage. Une fois arrivés dans un magnifique Relais & Châteaux, entre le lac de Garde et Vérone, la réceptionniste nous a demandé si nous avions des allergies. On lui a répondu sans se consulter: «Le peuple!»
Vannes
En vrai, Quentin ne supporte pas le goût du café. Un trait de famille. «La dernière bouchée au moka de notre excellent repas m’a fait courir aux toilettes. J’ai eu le hoquet le reste de la soirée. Julie était morte de rire.»
Avec Julie, ils se vannent par message. «Je ne garde que ce qui n’est pas pénal, prévient Quentin Mouron. Si l’un de nous écrit «Est-ce que ça te manque, le sexe quand je ne suis pas là?», l’autre répond: «Non, c’est mieux!»
Leur grinçante cotte de mailles abrite une sensibilité à vif. «Parfois, on n’apprécie même pas les applaudissements, avoue Julie. Il suffit de peu. Qu’un ancien prof me dise que je n’ai pas assez travaillé, que mon son baisse et je suis détruite. Des critiques m’ont marquée à vie.» Dans les moments de doute, ils se comprennent et s’épaulent.
Au fait, comment se disent-ils «je t’aime»? «Avec des grands sourires idiots. Le dire, c’est formidable. Le penser réellement, c’est encore mieux», souligne Quentin. Ce jeune homme aurait-il tout juste? «Evidemment, sinon je ne l’aurais pas choisi. J’aime Tchaïkovski, Mozart et Rilke, mais je ne veux pas admirer que des gens morts», balance Julie.
Songeraient-ils à franchir le pas? «Le mariage, jamais! Je n’aime pas beaucoup l’acquis», clame-t-elle. Il renchérit: «C’est un automatisme social. On peut s’aimer à fond avec cette distance.»
Clin d’œil du destin, on les quitte à la station de métro Hôtel de Ville. «Je cherche un complet bleu électrique», dit Quentin Mouron. Mariage ou pas, quelle meilleure façon de s’habiller lorsque l’on voit la vie en rose?