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«La morphine qui calmait mes douleurs était devenue une drogue»

Jade Melchior souffre de trois maladies, dont la mucoviscidose. A 24 ans, la jeune femme aux airs d’héroïne de manga a tatoué ses combats. Tout en affrontant ce qu’elle surnomme «le baiser salé de la vie», elle décide de se sevrer des opiacés.

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Jade a tatoué près de 40% de son corps. Entre des citations qui lui donnent de la force et des symboles comme le portrait de sa mère sur le bras droit, ces images lui donnent de la force au quotidien. Blaise Kormann

Avec son visage de poupée et son corps signé de citations littéraires à l’enrobage fleuri, la Lausannoise de 24 ans ne passe pas inaperçue. Derrière sa longue crinière blond platine, Jade Melchior n’est pas juste une énième «instagrammeuse». «Certains utilisent l’humour pour s’en sortir, moi je me suis construit une armure de fille superficielle», confie-t-elle, consciente de son allure très girly. Elle se pare de cuir et de dentelle pour cacher son quotidien rythmé par les traitements: contre la mucoviscidose d’abord, mais aussi contre une spondylarthrite ankylosante – une maladie inflammatoire de la colonne vertébrale – et un trouble génétique qui n’a pas encore été identifié.

«Je n’ai jamais aimé le terme "malade", même en crise aiguë avec 40°C de fièvre et alitée. Je m’applique toujours à avoir une qualité de vie la moins distordue possible.» Si bien que, face à des maux invisibles, elle a parfois fait l’objet de critiques. «Les gens disaient par exemple qu’elle était bien trop maquillée pour être vraiment à bout de souffle», se remémore sa maman, Jocelyne, encore choquée par les bruits de couloir.

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Sur le polaroïd, Jade est enlacée par sa maman, Jocelyne. Médecin, c’est elle qui a découvert que sa fille souffrait de la mucoviscidose. Blaise Kormann

Jade se bat pourtant nuit et jour pour vivre. Quand elle fête ses 20 ans, pour calmer des douleurs musculaires qui «rendent le moindre mouvement insupportable», on lui prescrit de la morphine. «Mon corps entier était enflammé. En fait, c’est comme si toute mon immunité m’attaquait.» Pour diminuer ses supplices chroniques, elle s’appuie de plus en plus sur les opiacés, des dérivés de l’opium. «C’est une drogue et j’étais devenue dépendante.» Le fléau autour de ces puissants analgésiques touche aujourd’hui beaucoup de patients. Nombreux sont les addicts à faire des overdoses.

Alors, en juillet dernier, alors qu’elle est clouée à l’hôpital pendant un mois avec une double pneumonie, la jeune femme prend une décision drastique. «Je m’étais habituée à des doses de plus en plus importantes qu’il fallait ensuite diminuer, ce qui a créé des douleurs de sevrage. Autant tout arrêter», raconte-t-elle en décrivant une désaccoutumance à la limite de la torture. «Elle a failli partir pour de bon, avant d’émerger de nouveau comme un phénix», soupire Jocelyne en revenant sur cet épisode éprouvant.

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La boîte de médicaments est la dose journalière que la jeune femme doit prendre pour ses différents traitements. Blaise Kormann

Pour comprendre ce destin hors norme, les deux femmes remontent le fil du temps. Médecin interniste et rhumatologue, Jocelyne livre un diagnostic alors que la petite Jade a 6 mois. «Quand je l’ai embrassée, elle avait un goût de sel sur la peau. Hippocrate décrit la mucoviscidose – qui obstrue les voies respiratoires – en parlant de «la maladie du baiser salé», raconte la docteure. Ses deux parents étaient tous deux porteurs sains mais l’ignoraient. Elle avait donc 25% de risques d’avoir un résultat positif. C’est la maladie congénitale la plus fréquente en Suisse, avec un enfant atteint sur 2500.

Depuis 2011, les dépistages néonataux sont obligatoires, ce qui augmente l’espérance de vie à 50 ans. «Soit tu te flingues, soit tu fais preuve d’autant de ressources que ton enfant qui se bat», lâche la maman louve qui ne cesse d’admirer la force de son «petit joyau», comme elle l’avait baptisé sur son faire-part de naissance. Un prénom sur mesure pour une jeune femme solide et résiliente.

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Sur ses doigts, la Lausannoise a gravé le mot «diversus», pour «différence». Blaise Kormann

Depuis toujours, Jade exécute un rituel qui compte une trentaine de comprimés par jour: médicaments et compléments alimentaires, suivis de sessions d’aérosol. Des traitements lourds qu’elle a souvent cachés à son entourage. Surtout à ses amoureux. A l’école, elle s’épuisait à faire du sport comme ses camarades. Elle avait de la facilité, mais les choses se sont corsées au gymnase. «A cause de mes soins, je manquais pas mal de cours. Juste avant ma maturité, j’ai été hospitalisée pendant six semaines. J’avais la gagne à mon retour, mais mon absentéisme a pesé trop lourd. Avec le recul, je trouve que l’accès aux cours à distance devrait s’améliorer. C’est trop souvent en fonction de la bonne volonté des professeurs.»

>> Voir le portrait en vidéo de Jade:

Témoignage

«Mon physique a été une arme pour me protéger»

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A 24 ans, Jade souffre de la mucoviscidose, couplée d’une résistance aux antibiotiques. Guérie d’une puissante addiction aux opioïdes, elle témoigne. Gabioud Simon

Sans même terminer ses études, elle suit son copain de l’époque et découvre l’univers du tatouage. Chaque souvenir marquant, elle le grave à l’encre noire. Pour elle, c’est aussi un moyen de se réapproprier son corps. A 18 ans, elle imprime la fin de sa première histoire d’amour. «Never a failure, always a lesson», lit Jade en repensant à l’adolescente farouche qu’elle était.

Aujourd’hui, ses œuvres recouvrent 40% de sa chair. Son inscription permanente fétiche, c’est une citation de Camus, un texte entouré de trois fleurs d’hibiscus. «Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible», récite-t-elle. Friande de grands classiques, elle dévore aussi des livres sur le développement personnel. Sur sa table de chevet trône «L’art subtil de s’en foutre» de Mark Manson.

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Pour se ressourcer, Jade peut compter sur ses deux cuhiens, Thor et Era, entre autres animaux domestiques. Blaise Kormann

Se foutre du regard des autres, c’est un peu le mantra de Jade. Sa pugnacité, elle la puise aussi chez le chanteur Grégory Lemarchal, son idole de la «Star Academy». «J’ai 24 ans aujourd’hui, l’âge qu’il avait quand il est mort. Il est la première célébrité à avoir parlé ouvertement de la mucoviscidose. J’y pense beaucoup.» Il faut savoir que, depuis un an, la jeune femme est résistante à de nombreux antibiotiques, mais elle garde confiance.

L’espoir d’un quotidien plus doux porte mère et fille. Joceylne explique que depuis début novembre, un médicament très attendu, le Trikafta, a été approuvé aux Etats-Unis. Il soignerait plusieurs mutations de la mucoviscidose. Elle attend la validation par l’Agence européenne des médicaments. Jade, de son côté, regarde ses mains où le mot diversus – pour «différence» – est immortalisé. «Je suis comme beaucoup de jeunes femmes: je pense à fonder un jour une famille, mais je redoute les risques. Je ne veux pas transmettre cette maladie à mes enfants et les voir souffrir. Je les ferai tester.»


 

Par Jade Albasini publié le 17 janvier 2020 - 15:40, modifié 18 janvier 2021 - 21:07