«Quand on a la chance d’avoir reçu un organe, en l’occurrence deux poumons, le 12 février 2010, on a envie de dire merci à la vie, mais en particulier à toutes celles et ceux qui disent oui au don d’organes, aux familles des donneurs et à l’ensemble des soignants. C’est à eux que vont ma reconnaissance et mon admiration. Des personnes ont pu renaître grâce à leur don et à leurs soins. Merci surtout à mon donneur qui me permet de respirer encore et encore, depuis 4900 jours. Comme tous les donneurs, il a fait du don d’organes un acte positif, altruiste, humain, évident, normal en fin de compte. Grâce à sa décision, ses proches ont peut-être vu leur douleur un peu allégée, puisque leur cher disparu permet à une autre personne de vivre. Pour nous tous, en attente, la transplantation est l’unique espoir. C’est d’ailleurs au nom des 1442 personnes se trouvant actuellement sur la liste d’attente que je témoigne. Mes pensées leur sont adressées, leur courage salué, leur quotidien partagé.
Comme eux, je mène un combat acharné, âpre, sans concession contre la maladie. Lorsqu’on est en état d’insuffisance respiratoire terminale, les choses les plus banales deviennent autant d’épreuves de force. Tout est essoufflement. Tenir une conversation, se doucher, enfiler ses chaussettes, ramasser un objet par terre. Chaque jour qui passe est difficilement descriptible. Ma capacité respiratoire oscille entre 16 et 18%. Cela représente 6 décilitres d’air, alors que la valeur normale pour une personne de ma constitution est de 4,1 litres. Mon objectif est simplement de rester en vie jusqu’à l’appel tant attendu et espéré. Le dolorisme n’est pourtant pas ma religion. Mais le futur m’inquiète car la mort m’apparaît comme une option de plus en plus probable. Espérer «re-respirer» est une quête de plus en plus ardue. Mais je souhaite rester digne vis-à-vis de moi-même, de ma compagne, de mes enfants de 8 ans et demi, Alexia et Mathias, de ma famille, de mes amis et de cette médecine hautement spécialisée de la transplantation qui œuvre pour la vie. Tous vivent cette attente comme une épreuve. Je n’oublie pas non plus que, derrière chaque organe greffé, une personne a consenti un don puis est décédée et que des familles sont endeuillées. Cette solidarité me donne l’énergie et la force d’honorer ma deuxième existence, qui m’a été offerte il y a treize ans et demi.
Aucun répit
Pour tout cela, je donne le meilleur de moi-même, souvent l’impossible pour rester à la hauteur de la chance d’être éligible, bien que cette traversée de «l’épaisseur des ténèbres» se traduise par d’innombrables moments de lassitude, rendez-vous médicaux, hospitalisations, soins complexes. Dans l’attente d’une transplantation, les instants de répit n’existent pas. Il faut lutter pour tout, tout le temps. Et espérer, continuer de se battre et paraphraser Christian Bobin, dans son livre «L’épuisement»: «La vie nous comble d’être si parfaitement menacée.» L’épuisement d’une personne inscrite sur liste d’attente est une constante. Lorsque la charge mentale devient trop lourde, une personne «normale» peut s’appuyer sur sa bonne santé pour se requinquer. Pour notre part, c’est non seulement impossible mais, de plus, il faut en faire davantage pour faire face aux choses les plus insignifiantes.
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Dès lors, des confins de mon combat, je me permets de vous délivrer un message simple: «Et si aujourd’hui, maintenant, là, tout de suite, était le bon moment pour dire à vos proches que vous êtes favorable au don d’organes?» Je suis conscient qu’en parler de son vivant demande du courage. Mais ce courage permet à l’entourage, au moment où la mort surgit, de connaître sa volonté.
Au fait, et s’il s’agissait un jour de votre propre vie ou de celle d’un ou d’une de vos proches? Y penser est déjà faire un bout de chemin. Et en si bon chemin, pourquoi s’arrêter?»
«Alexandre est tellement courageux!»
Né avec une hypoplasie du cœur gauche, une malformation cardiaque congénitale touchant un enfant sur 5000, le petit Fribourgeois de 5 ans attend une greffe de cœur depuis trois ans. Avec le sourire…
Une vraie tempête! Il court, saute, taquine sa grande sœur, vient se blottir dans les bras de sa maman, nous sourit, secoue le bras de son papa puis repart aussi vite qu’il est venu. La chaleur étouffante qui enserre Lausanne ne semble avoir aucune emprise sur Alexandre, un enfant comme un autre en apparence. Sauf que lui, il n’est pas en visite auprès de l’Association Intervalle qui met sa maison à disposition des familles d’enfants hospitalisés, au CHUV en l’occurrence. Un espace d’hospitalité chaleureux accessible aux personnes à revenu modeste qui permet à ses parents, Sorraya et Almeida, de se loger près de l’hôpital et de préserver ainsi un équilibre affectif déterminant pour la qualité du traitement de leur fils chéri. «Il s’accroche avec un courage admirable, toujours avec le sourire», confie sa maman, émue aux larmes.
Et pourtant, la vie d’Alexandre ne tient qu’à un fil, depuis avant sa naissance déjà. «L’échocardiographie a décelé une hypoplasie du cœur gauche à cinq mois de grossesse. En clair, un sous-développement extrêmement grave du côté gauche du cœur qui ne peut se résoudre que grâce à une greffe. La faculté nous a convoqués le 22 décembre pour nous présenter le diagnostic et nous énoncer tous les risques vitaux qui y sont liés. On nous a laissé jusqu’au 3 janvier pour décider de poursuivre la grossesse ou pas. Pour nous, il était hors de question d’abandonner.»
Finalement, une césarienne est réalisée à terme, le cœur du beau bébé (53 cm, 4,260 kg) ne supportant pas les contractions de sa maman. «Alexandre est né à 0h56 et le professeur Prêtre l’opérait pour la première fois à peine vingt-quatre heures après. Depuis, il a subi deux autres interventions. M. Prêtre est son sauveur», répètent Sorraya et Almeida, à jamais reconnaissants.
«Il revient de très loin»
Le combat n’est pas gagné pour autant. Hospitalisé depuis le 1er janvier de cette année, Alexandre poursuit un traitement pour faire baisser ses anticorps, passage obligé pour pouvoir recevoir un nouveau cœur et réduire le risque de rejet. «Il a déjà passé trois ans de sa vie ici», déclare Almeida, carreleur à plein temps, qui rallie tous les soirs Intervalle pour retrouver son fils. «On s’organise pour qu’il ne soit jamais seul», précise Sorraya qui, à l’instar de son mari, se dit perturbée par l’idée qu’un enfant devra forcément mourir pour que le sien puisse renaître. «Le jour où cela arrivera, on sera à la fois heureux et malheureux», confie Almeida. «A chaque fois que je regarderai Alexandre, j’aurai une pensée profonde pour cette famille», enchaîne son épouse, qui sait de quoi elle parle. «Je ne sais pas combien de fois, au plus fort des crises pulmonaires liées à son état que subit Alexandre, on a cru que c’était la fin. Il revient de très loin, ce petit bonhomme», lâche sa maman, les yeux brillants d’admiration et d’espoir.
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Donner ses organes, mode d’emploi
La carte de donneur: Elle peut être commandée gratuitement sur le site www.vivre-partager.ch. Gardez-la en permanence sur vous ou déposez-la dans un endroit connu de vos proches. Elle vous permet de faire part de votre volonté de façon très précise: vous pouvez faire don de tous vos organes ou tissus, ou seulement de certains.
Les directives anticipées: Elles vous permettent d’indiquer les mesures médicales que vous accepteriez ou refuseriez si, à la suite d’un accident ou d’une maladie, vous n’étiez plus en mesure de décider par vous-même. Vous pouvez également y faire figurer votre décision quant au don d’organes. Conservez vos directives de manière qu’elles puissent être retrouvées en cas de besoin.
Le dossier électronique du patient (DEP): Vous pouvez y enregistrer toutes sortes de documents en lien avec votre santé et définir qui peut y accéder. La carte de donneur peut également y être enregistrée. Pour ouvrir un dossier électronique du patient: dossierpatient.ch.
Informer également les proches: En cas d’incertitude, on demande aux proches s’ils connaissent la volonté de la personne décédée. De même, sous le principe du consentement présumé, on interroge les proches lorsque aucun document attestant la volonté de la personne décédée n’est trouvé.