On peut avoir été président de la Confédération, déclarer une septantaine bien avancée (78 ans) et continuer à rêver. En le regardant penché sur un sillon creusé dans la terre argileuse du Sahel, à Mbar Toubab, aux portes du Sahara, on se dit que Pascal Couchepin incarne à merveille l’idée que le rêve ne porte pas de date de péremption. A ses côtés, l’éditeur lausannois Pierre-Marcel Favre et l’ingénieur EPFZ fribourgeois Jean-Edouard Buchter, 76 ans tous deux, corroborent cet axiome. C’est à cause ou plutôt grâce à ce dernier que la délégation romande – à laquelle appartiennent également Pierre Lamunière, l’ex-patron de l’empire Edipresse, et l’ancien ambassadeur Raymond Loretan – est là en ce lundi 3 février. Comprenez: à l’entrée d’une vaste plaine écrasée par un soleil de plomb, qui s’étend jusqu’à la frontière mauritanienne.
C’est en effet de son livre, «Reverdir le Sahara», paru en octobre dernier, qu’est née la fondation du même nom, basée à Lausanne. «Son plaidoyer défendant des solutions tout à fait réalisables et crédibles pour fertiliser les zones arides a fait l’effet d’un électrochoc. Il a réveillé nos consciences», confie Pierre-Marcel Favre, initiateur du mouvement, déjà décoré par la Côte d’Ivoire et le Cameroun pour son engagement littéraire en faveur du continent noir. Quelques semaines suffisent au fondateur du Salon du livre, Saharien de cœur depuis 1962, pour convaincre ses amis de s’engager. Attiré par le défi, Pierre Landolt, héritier de la famille et de la société Sandoz (devenue Novartis), dont on connaît l’engagement écologique, rejoint lui aussi l’aventure.
«Il y a 5000 ans, le Sahara était encore couvert de végétation, détaille Jean-Edouard Buchter. Un environnement qui permettait aux communautés de se perpétuer au milieu de leurs troupeaux. De nombreuses peintures rupestres retrouvées à différents endroits du désert en témoignent.» Pour le citoyen de Montborget, raviver ne serait-ce qu’une petite partie de cette verdure permettrait non seulement de freiner le réchauffement climatique, mais ralentirait aussi l’exode rural ou, mieux, l’inverserait si l’on pouvait offrir aux populations un projet agro-écologique et de la nourriture en quantité suffisante.
Une planche de salut pour l’Afrique de l’Ouest et pour le monde, aux yeux de Pierre-Marcel Favre. «Les étés de plus en plus tropicaux que nous connaissons dans nos contrées sont en partie dus au sirocco, ce vent du Sahara porteur d’une chaleur étouffante. Avec de la végétation, ce phénomène serait au mieux annihilé ou à tout le moins affaibli.»
Les Africains n’ont pas attendu la fondation romande pour s’atteler au projet. En 2007 déjà, les onze Etats du Sahel encerclant le plus grand désert du monde portaient la Grande Muraille Verte sur les fonts baptismaux. Un projet gigantesque de corridor végétal, devisé à 600 milliards de dollars, visant à ralentir l’avancée du désert (2 km par année). L’idée: édifier une ceinture verte de 7800 km de long sur 15 km de large, soit environ 12 millions d’hectares, reliant l’Afrique d’ouest en est, depuis le Sénégal jusqu’à Djibouti.
Un concept déjà ébauché par l’Algérie dans les années 1970, mais qui peine à se concrétiser, entravé par les guerres, l’implication encore trop timide des populations et le manque de moyens surtout. Un constat que les visiteurs romands ont pu vérifier sur place même si, avec son engagement de reboiser 200 000 hectares par année d’ici 2030, le Sénégal fait office de porte-drapeau du programme, aux côtés du Burkina Faso, où l’équivalent de 8000 terrains de foot a été reverdi ces cinq dernières années, selon les autorités. Grâce, en particulier, à l’agronome tessinois Lindo Grandi. «La Grande Muraille est en réalité le symbole de cette volonté de fertiliser les zones arides», détaille Pierre-Marcel Favre, en brandissant les initiatives qui fleurissent un peu partout dans la région. Comme en Ethiopie, où le gouvernement affirme avoir planté 4 milliards d’arbres en 2019.
Avec ses 9 millions de km2, grand comme 16 fois la France, le Sahara est une autre chanson, si l’on peut dire. «D’autant plus que, question moyens, nous ne sommes ni en Arabie saoudite ni en Israël», poursuit l’éditeur aux 1800 livres. En clair, l’Afrique ne s’en sortira pas sans une solidarité internationale. «Elle n’a d’ailleurs pas à assumer seule le financement d’un projet dont toute la planète profitera», estime Pierre-Marcel Favre, en précisant l’objectif de la fondation qu’il préside. «Nous ferons tout ce qui est possible pour sensibiliser et informer l’opinion, stimuler les actions, chercher des financements et mobiliser les personnes et les communautés qui disposent de gros moyens.»
En essayant, par exemple, de remonter jusqu’à Bill Gates, dont la fondation soutient les systèmes de santé et d’éducation de 45 pays d’Afrique en injectant des milliards de dollars depuis 2016. «A nous de convaincre M. et Mme Gates de consacrer une partie de leur aide à l’écologie. En tant que Suisses, nous avons l’avantage d’échapper au soupçon de vouloir coloniser quoi que ce soit.»
Un travail de lobbying que les membres du conseil de Reverdir le Sahara se déclarent prêts à réaliser auprès du World Economic Forum (WEF) également. Et pour cause, le «club des riches», comme on l’appelle, ne vient-il pas de s’engager à planter 1000 milliards d’arbres dans le monde d’ici à 2030? Une déclaration tonitruante de Klaus Schwab, le fondateur de la grand-messe grisonne, qui fait sourire Pascal Couchepin et ses amis mais qui a le mérite, selon eux, d’attester la bonne volonté dont semblent animés les grands de ce monde. Les deux Valaisans Pascal Couchepin et Raymond Loretan comptent bien faire jouer leur carnet d’adresses. «L’influence d’un ancien conseiller fédéral et d’un ancien ambassadeur à New York peut s’avérer utile», concèdent les deux hommes avec modestie.
Les nombreux dignitaires sénégalais que nos personnalités ont rencontrés, au cours d’un séjour qu’ils ont eux-mêmes financé, ont affiché une certaine ambition. Du ministre de l’Environnement à l’archevêque de Dakar, en passant par le directeur du projet Reboisement et Grande Muraille Verte, tous ont martelé leur détermination à accélérer le processus de reverdissement. En mobilisant les populations et en empoignant le grave problème de la déforestation illégale. «Avec la loi récemment entrée en vigueur, toute personne coupant un arbre sans autorisation est lourdement sanctionnée», souligne Abdou Karim Sall, ministre du Développement durable. «Depuis 2008, nous avons planté 152 millions d’arbres, recouvert 15 600 hectares. Des acacias, des baobabs, des eucalyptus, des arbres fruitiers aussi. Tout le monde s’y met. Le projet carbone du Sénégal, le seul de la région référencé par l’ONU, concerne 428 villes et villages», s’enorgueillit à son tour son prédécesseur, Haïdar El Ali, qui évoque pas moins de 4000 opérations de reboisement passées ou à venir. «Le monde est en train de s’effondrer. Il faut sauver ce qui peut l’être. Maintenant!» décrète-t-il, avec la fougue de celui qui veut aller de l’avant. «Donnez-nous des moyens, supplie-t-il. Des foreuses, par exemple, et nous irons chercher l’eau là où elle est: à 150 mètres sous le sable.»
«Nous sommes venus ici en toute humilité, pour créer des contacts, accumuler de l’expérience et nous confronter aux réalités du terrain. De cette manière, on se rend vite compte si nous courons après une chimère ou pas», glissait Pascal Couchepin en posant le pied à Dakar. Cinq jours plus tard, dans le van qui nous ramène à l’aéroport, le rêve de Jean-Edouard Buchter, porté par nos «baroudeurs», paraît déjà beaucoup moins fou. «Plutôt que dépenser des centaines de milliards pour explorer Mars, où nous n’irons jamais, pourquoi ne pas investir dans notre bonne vieille Terre? Dans une ou deux décennies, elle se porterait beaucoup mieux», évalue l’ingénieur fribourgeois, passé à l’enseignement à l’âge de 33 ans pour, dit-il, ne plus être contraint de participer à la fuite en avant technologique et énergétique du monde.
Vingt ans plus tard, à la fin des années 1990, l’auteur du livre qui a tout déclenché se met en mode «I have a dream», à l’occasion d’un voyage au Burkina Faso. «Alors que nous survolions le Sahara, j’ai regardé par le hublot et je me suis imaginé une société métissée et joyeuse, s’épanouissant dans un environnement préservé et une nature luxuriante. A cet instant, j’ai compris que l’heure était venue de trouver des issues, de se détourner des énergies fossiles, du béton et de la déforestation», raconte le Martin Luther King de la Broye. Un rêve bientôt réalité.
La Grande Muraille Verte
>> Le livre: «Reverdir le Sahara», de Jean-Edouard Buchter, Editions Favre.
>> Le site: www.reverdirlesahara.org